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Prospective

Leopard : direction l’Entreprise?

On a beaucoup brodé sur le thème “le Mac, un PC comme les autres” depuis l’annonce du passage à Intel. Est-ce finalement Xserve et Leopard Server qui ouvriront la porte du marché professionnel?

Boro

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Faut-il y voir un signe des temps? Tôt mardi matin la Keynote de la WWDC 06 était encore inaccessible pour cause de “demande exceptionnelle“, preuve s’il en était besoin de l’effervescence qui règne désormais autour d’OS X – le système d’exploitation d’Apple – et plus seulement son petit baladeur devenu grand-public à force d’être de s’être montré si tendance. Mais ne nous y trompons pas : si les annonces et les nouveautés de Leopard, présentées lundi soir n’ont semble-t-il rien d’ébouriffant, du moins sur le papier, celles-ci n’en témoignent pas moins de l’évolution à l’œuvre à Cupertino… et de ses ambitions. Décryptage.

La puissance de nouveau au rendez-vous

Comme à son habitude, Steve Jobs a donc rappelé aux 4 200 développeurs venus de plus de 48 pays qui avaient fait le déplacement de San Francisco cette année combien le Mac était désormais sexy, avec les chiffres qu’il affectionne tant : pas moins de 1,33 millions de Mac vendus au trimestre dernier, dont 50% des acquéreurs qui avaient fait leur emplette dans l’un des 157 magasins de la marque étaient nouveaux sur la plate-forme. Et de rappeler sans bouder son plaisir les 12% de parts sur le marché des ordinateurs portables aux Etats-Unis ce trimestre : de quoi mettre en appétit pour la suite l’aréopage de programmeurs présents, déjà tout entier acquis à la cause de La Pomme!

C’est pourtant à Phil Schiller, le Vice-Président Senior Marketing Produits qu’il est revenu le soin d’entrer dans le vif du sujet, avec la présentation du Mac Pro et du Xserve enfin dopés par l’arrivée du Woodcrest d’Intel, rebaptisé Xeon. Noyau double, vitesse d’horloge jusqu’à 3 Ghz, mémoire cache L2 de 4 Mo et bus frontaux indépendants à 1,33 GHz, si l’on ajoute à cela une architecture mémoire sur 256 bits à très large bande passante, on se rend compte que c’est l’ensemble de l’architecture de la machine qui a été travaillée pour supprimer le moindre goulot d’étranglement. Et surtout – Phil Schiller a pris soin de souligner combien on y tenait chez Apple – l’architecture 64 bit et l’unité de calcul vectoriel 128 bit du Xeon serie 5100 permettent de tirer partie de tout le travail d’optimisation autour du 64 bit réalisé pour le Power PC G5 d’IBM et de sa puissance de calcul… la débauche calorifique en moins. C’est du moins ce que l’on doit espérer au 1, Infinite Loop, Cupertino, les intervenants s’étant à nouveau félicités publiquement de la collaboration avec Intel.

Mais outre le fait que celle-ci lui a permis de renouer avec la puissance de calcul, l’adoption de la microarchitecture Core 2 l’autorise enfin, grâce à son efficacité énergétique, à débarrasser le châssis du Power Mac de toute la tuyauterie destinée à le refroidir et qui l’encombrait. Ce faisant, elle a donné à Apple les moyens de s’attaquer au dernier bastion qui lui résiste.

“Entreprise, l’ultime frontière”…

On a semblé en effet lundi soir particulièrement décidé à tordre le cou aux vieilles lunes qui pèsent encore sur la perception du Macintosh : le prix, et la personnalisation. Peter Oppenheimer et Tim Cook l’avaient promis lors de la dernière conférence de présentation des résultats trimestriels, la firme à la Pomme va poursuivre dans la voie de la politique tarifaire qualifiée “d’agressive” qui semble devoir lui réussir depuis plusieurs trimestres. Et si Phil Schiller s’est plu à souligner l’écart de prix de l’ordre de 25 à 30% qui séparent Xserve et Mac Pro quadri-core de leurs concurrents chez Dell, il s’agissait des configurations les plus musclées où le rival faisait probablement jusqu’à présent ses plus fortes marges.

C’est de l’intérieur du boîtier – inchangé pour bien montrer que la transition se fait sans heurts – que le changement est le plus en profondeur : si Jon Rubenstein ne travaille plus à la société qu’un jour par semaine, sa “patte” est toujours là et il a visiblement fait école. Les astucieux “tunnels” de refroidissement nécessaires pour rafraîchir le Power Mac G5 ont laissé suffisamment de place pour 2 lecteurs-graveurs optiques, 4 disques durs connectables à chaud, trois connecteurs longs d’extension PCI Express et un emplacement graphique large PCI Express, 8 “slots” pour barettes-mémoires pour aller jusqu’à 16 Go de mémoire vive. Quant au nouvel Xserve, il peut lui être poussé jusqu’à 32 Go de RAM.

C’est bien Dell qui est ici visé : si l’on a pu reprocher à Apple – qui avait été la première à adapter au web le modèle de personnalisation à la demande inventé par le texan – d’avoir offert trop peu de possibilités de configurations en build to order, le constructeur californien n’était pas peu fier d’annoncer plus de 4,9 millions de combinaisons de personnalisation pour le Mac Pro qualifié de “station de travail”, et plus d’1 million pour le Xserve. Histoire d’enfoncer un peu plus le clou, Apple se paie pourtant le luxe d’afficher une unique configuration de base, suggérée pour chacune des 2 machines, quand la vitrine de son concurrent est infiniment plus complexe à force de se vouloir exhaustive.

Le Mac “fermé” tel qu’on a parfois pu le stigmatiser semble donc devoir être à ranger au musée, mais c’est pourtant toujours sur son système d’exploitation que reposent l’essentiel des chances de Cupertino de gagner son pari. Et pour la première fois sans doute dans son histoire c’est sur la version Server tout autant que sur la version utilisateur de celui-ci. —–

OS X Server, nouveau joker d’Apple ?

Car si l’on a autant daubé sur le plateau de Moscone Center West à propos des talents de copiste de Microsoft, c’est bien parce que la menace du retour de Redmond dans la course n’est pas prise à la légère. L’intervention de Bertrand Serlet y a d’ailleurs été entièrement consacrée : l’interface utilisateur de Vista tente de reproduire le “look and feel” de Mac OS X ; “faute d’innover, je suppose qu’on peut seulement imiter…” avant que Steve Jobs ne glisse qu’un certain nombre de nouveautés très importantes de Leopard étaient gardées secrètes, pour éviter que Redmond ne recommence à faire fonctionner prématurément ses photocopieuses… Gros bobard pour masquer le fait qu’il reste encore beaucoup de pain sur la planche? A Redmond on a en tous cas déjà montré qu’on savait d’autant plus puiser son inspiration chez Apple que celle-ci lui avait ouvert un certain nombre de ses brevets… et Vista n’en est plus à un report près !

Mais si Microsoft tente de se replacer derrière Apple sur le terrain de l’expérience utilisateur, chez Apple on semble maintenant décidé à porter le fer dans le point fort de Microsoft, celui qui l’a jusqu’à présent empêché de regagner significativement du terrain dans les grandes organisations au parc informatique important : les serveurs d’entreprises et les groupes de travail collaboratifs.

Au delà de l’utilisation personnelle qui peut être faite des différents outils présentés (voir le transcript de la Keynote) comme Spotlight,Time Machine, l’utilitaire de sauvegarde et avant tout interface de récupération des données, Spaces l’organisateur d’espace de travail, iChat Theater ou iChat Screen Sharing et les nouvelles fonctions collaboratives ajoutées à iCal, au Carnet d’Adresses ou à Mail sont à replacer dans le contexte du saut majeur effectué par Leopard Server. Celui-ci permet désormais de mettre en œuvre un serveur Spotlight, un serveur de calendriers de groupes et même un Wiki, tandis que iChat Server 2 monte également en puissance. Les interfaces de maintenance et d’installation des postes clients et serveurs ont encore été simplifiées : Mac OS X Server veut désormais se poser en alternative aux serveurs Windows Server 2003 – mais aussi Linux – d’abord auprès des PME et des groupes qui ne disposent pas encore de ce type d’outil, mais également ceux qui sont lassés de tous les risques qui découlent des failles de conception de Windows ou de la difficulté de configuration de Linux.

OS X 10.5 Server est ainsi annoncé comme livré avec plus de 100 des principaux projets open source et applications standards leaders. Le Mac a eu des difficultés à trouver sa place en entreprise dans des réseaux très majoritairement sous Windows? Leopard Server comprend des outils de gestion pour faciliter son déploiement sur des parcs de clients Mac, mais également (surtout?) Windows et Linux. Apple n’a donc pas renoncé à sa stratégie du Xserve, Cheval de Troie de la plate-forme au sein de parcs informatiques très massivement constitués de PC : sa montée en puissance et sa toute nouvelle modularité montrent qu’au contraire il s’agit toujours d’une pièce importante dans la stratégie imaginée à Cupertino. Dans ces conditions, il serait étonnant qu’un serveur spécifiquement retravaillé par Apple autour de Mail ne fasse pas son apparition tôt ou tard dans la panoplie livrée avec OS X Server…

Une page en train de se tourner…

Le Mac a depuis son lancement toutes les peines du monde à se débarrasser d’un certain nombre d’étiquettes particulièrement collantes, lesquelles n’ont pas toujours été fausses d’ailleurs. Les tarifs du Mac sont depuis un bon moment maintenant représentatifs de ce qui se pratique dans le secteur et, du moins en ce qui concerne l’offre professionnelle présentée lundi, Apple a montré qu’elle savait non seulement baisser ses tarifs sans renoncer à ses marges, mais également “ouvrir” ses machines à la personnalisation comme elle ne l’avait pas fait depuis l’ouverture de l’Apple Store en ligne.

La transition vers la plate-forme Intel qui s’est achevée lundi – en 210 jours selon le décompte de la marque, si l’on passe sur le fait que le nouvel Xserve ne sera livré qu’en octobre – n’est pourtant pas la seule. Elle aura pourtant été sans doute la condition nécessaire à une mutation plus profonde voulue à Cupertino, celle des esprits qui vont devoir s’habituer à considérer le Macintosh comme une machine de bureau “ordinaire” connectée à un réseau d’entreprise et plus seulement le poste de créatifs plus ou moins farfelus. Un paradoxe pour un ordinateur dont le système d’exploitation actuel a été construit dès l’origine autour de la communication en réseau. La transition menée tambour battant par Jobs et ses troupes donne à Apple une fenêtre intéressante, avant que Microsoft ne rende son propre OS : les innovations “top secrètes” promises dans Leopard suffiront-elles à éviter que se répète le scénario de 1995, qui avait vu la copie massivement préférée à l’original?