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Prospective

Jobs et Woz toujours fringants…

A deux jours d’intervalle, les deux Steve ont semblé à contre-pied l’un de l’autre. Une apparente contradiction qui ne les empêche pas de partager l’essentiel… même si l’évolution d’Apple les éloigne chaque jour davantage.

Boro

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Les deux co-fondateurs les plus connus d’Apple ont livré le fond de leur pensée jeudi et vendredi, invités qu’ils étaient à prendre la parole à plus de 3 000 kilomètres l’un de l’autre, au cours de deux manifestations qui se tenaient l’une à Montréal au Québec, l’autre à Austin au Texas.

Jobs et les profs…

Signe des temps ? Steve Jobs partageait la vedette de la conférence intitulée Améliorer l’éducation grâce à la technologie avec son vieux rival Michael Dell de retour aux commandes de la société qu’il a fondée, lequel Michael Dell jouait il est vrai à domicile puisque le Statewide Education Submit (Sommet sur l’état des lieux de l’éducation [au Texas]) qui les accueillait se tenait à l’hôtel Hyatt Regency d’Austin…

Plus connu pour ces capacités d’analyse et de synthèse hors du commun que pour son sens de la diplomatie, Jobs n’a pas failli à sa réputation en taclant sévèrement le système éducatif public américain, considérant que toute la technologie du monde ne pourrait améliorer les écoles publiques de son pays, tant que les proviseurs ne pourraient mettre à la porte les enseignants les plus mauvais. Et le CEO, qui rappelle volontiers que l’éducation est au cœur-même des gènes d’Apple, de poursuivre sa philippique entrecoupée d’applaudissements de l’assistance, pointant du doigt la syndicalisation et la sécurité de l’emploi des enseignants du primaire et du secondaire comme le problème essentiel du système… sous l’œil goguenard de Dell avec la société duquel il est en concurrence frontale sur le marché de l’éducation, lequel a fait mine de tempérer les propos de son challenger pour mieux en rajouter une couche sur le thème…

Avant de glisser « Je suis sûr qu’Apple vient de perdre quelques marchés dans cet État » avec l’humour qu’on lui connaît, Jobs avait tout de même livré sa vision d’une école débarrassée de ses livres de classe, où les connaissances nécessaires seraient librement accessibles sur des sources d’information en ligne, constamment remises à jour par des experts à la manière de Wikipedia. [Et de plaider pour un tel système qui dégagerait une part supplémentaire considérable sur les fonds déjà alloués au secteur, non seulement pour des matériels plus puissants, mais également des connexions internet plus rapides, ainsi qu’une mobilisation impliquant les cerveaux les plus brillants pour y particiciper.]

… et Woz, iTunes et l’iPhone

Quand à Woz, connu pour être resté un observateur avisé et n’avoir pas non plus sa langue dans sa poche, il était l’invité d’honneur de l’évènement Boule de Cristal organisé par le Centre de Recherche Informatique de Montréal (CRIM), au Palais des Congrès de Montréal. Livrant sa vision de l’innovation des technologies et des facteurs-clés de la réussite aux entrepreneurs québécois du secteur NTIC réunis pour l’occasion, Woz a entrelardé son intervention de quelques remarques sur l’iPhone et sur la question du monopole, renvoyant semble-t-il Apple et Microsoft dos-à-dos sur ce point… Remarques bien entendu relevées avec gourmandise par les journalistes présents.

En ce qui concerne l’iPhone, Woz ne comprend pas pourquoi l’iPhone ne bénéficie par de la technologie 3G, quand celle-ci est en train de se développer, y compris aux États-Unis, et se demandant même comment Apple pouvait être si en retard sur ce point… avant de confier que l’iPhone serait peut-être le premier téléphone évolué qu’il aimerait. Ce qui semble vouloir indiquer qu’il ne l’avait toujours pas essayé…

Pour ce qui est de la question du monopole, celui-ci n’est pas une mauvaise chose en soi pour celui qui est à l’origine de l’explosion de l’informatique personnelle, du moins tant que cela ne mène pas à des pratiques anti-concurrentielles… comme c’est à présent le cas d’Apple avec iTunes, poursuit Woz, pour qui une grosse société fait toujours nécessairement du dégât, plus ou moins selon sa culture d’entreprise…

Deux personnalités bien trempées…

La culture d’entreprise d’Apple est-elle décidément en train de s’éloigner de la société qu’il a fondée voici trente ans, dans le garage des parents de son copain de lycée ? Steve Wozniak est toujours resté très cohérent sur ses principes qui prennent racine dans la contre-culture née précisément du bouillonnement créatif sur le pourtour de la Baie de San Francisco, et l’on oublie trop souvent que Woz est l’un des initiateurs de l’Electronic Frontier Foundation, laquelle a notamment pris la défense des sites internet poursuivis par Apple. Steve Jobs s’est lui glissé avec délice dans les habits d’un entrepreneur non seulement visionnaire, mais également reconnu par ses pairs pour ses qualités de manager… avec toutes les décisions que cela sous-entend…—–

Woz devait dédicacer sa biographie intitulée iWoz lors de la dernière MacWorld Conference Expo, ce qui n’a semble-t-il pas été possible. Il ne faut sans doute pas chercher trop loin : pratiquement dès sa sortie, la version Audible (livre audio) d’iWoz était disponible sur l’iTunes Store. L’amitié entre les figures de la Silicon Valley est connue pour être solide, et dure depuis maintenant toute une vie.

Pour autant, l’inflexion radicale que Jobs a fait prendre à Apple (voir la chronique du 7 février) l’éloigne encore un peu plus de la société telle qu’il l’a fondée en 1976, tandis que Woz a lancé avec Gil Amelio et Ellen Hanckok, – respectivement CEO et CTO d’Apple pour la période qui a précédé immédiatement le rachat de NeXT, et que Jobs tenait notoirement en bien piètre estime – une bank check company (sorte de société de capital-risque) baptisée Acquicor… Encore plus récemment, Steve Wozniak est entré dans le pool d’une société qui regroupe une poignée d’«ex-quelque chose» et tarife ses prestations de conférencier à son catalogue, à l’occasion du lancement de sa biographie. « Mais que diable allait-il faire dans cette galère »…

En février 96, Steve Jobs encore PDG de NeXT avait accordé une interview au magazine Wired, où il avait développé exactement les même arguments, tout en confessant ne plus croire à la toute-puissance de la technologie dans l’éducation au regard de l’humain… Dès les débuts d’Apple et l’Apple II, Jobs comme son compère Woz avaient tenu un rôle pionnier dans l’adoption de l’ordinateur dans l’enseignement, et Jobs avait même porté sur ses épaules un projet fédéral dans ce sens.

… qui restent néanmoins complémentaires.

Même si chacune des thématiques abordée par l’un réveille un écho particulier dans l’existence de l’autre compère – Woz s’est beaucoup investi dans la communauté éducative (secteur public) de Los Gatos où il réside, et l’on sait combien la musique et l’iPod et ses successeurs ont pris une place importante dans le modèle industriel d’Apple – on aurait tort pourtant de voir autre chose dans ce télescopage que la réaffirmation par ces deux fortes personnalités de ce qui les animait étant jeunes.

Chacune des deux légendes a non seulement gardé son goût pour les blagues : Jobs a brièvement appelé le Starbuck du coin à l’occasion de la présentation de l’iPhone lors de la Keynote du 9 janvier dernier, et a également rappelé ce matin-là comment Woz et lui s’amusaient à semer la confusion dans les salles télé des cités-U de Berkeley, en brouillant Star Trek grâce au TV Jammer mis au point par Woz… (voir la chronique du 7 février). Quant à Woz, invité sur le plateau de The Colbert Report pour faire la promo de son livre, il avait expliqué d’un air rigolard au clown télévisuel qui le recevait comment en pleine paranoïa sécuritaire, il prend un malin plaisir à couper systématiquement son steak avec sa carte de visite métallique chaque fois qu’il prend l’avion… :langue

Comme bien souvent, on a souvent cherché à opposer l’image de ces deux-là ; même si la personnalité et le parcours de Woz sont incontestablement très attachants, la réalité est sans doute beaucoup plus complexe que le clivage habituel tel qu’il perdure chez les nerds. Mais chacun d’entre eux a également su conserver son franc-parler, ses valeurs propres, et d’une certaine manière la foi dans la technologie… avec désormais également la conscience de ses limitations.
Qui s’en plaindra, à l’heure des discours marketing policés des dirigeants – quand ce n’est pas la communication sur les œuvres de bienfaisance qui l’escamote – et alors que la capacité d’innovation de Microsoft semble devoir se borner à compliquer à l’envi la tarification de son « nouveau » système d’exploitation…

Steve Jobs au Statewide Education Submit
– [Steve Wozniak à l’évènement « Boule de Cristal »->http://technaute.lapresseaffaires.com/nouvelles/texte_complet.php?id=81,1239
9,0,022007,1332107.html&ref=nouvelles]
(Merci à André Bouchard pour le lien).