Interview: magazines & iPad (1)
Entretien croisé avec Avosmac, iCreate & Vous et Votre Mac (1e partie)
La cause semble entendue : l’iPad est la planche de salut grâce à laquelle la presse pourra échapper à un naufrage qui dure maintenant depuis plusieurs années, tandis qu’elle peine à trouver un modèle économique sur internet et que ses recettes font eau de toutes parts… Le secteur compte bien d’ailleurs, une fois le rétablissement de sa situation opéré, pouvoir surfer sur la vague de la popularité d’Apple devenue symbole de la dématérialisation, grâce à ladite planche. Voilà pour le scénario hollywoodien…
Dans la réalité, dans quel état d’esprit les dirigeants des PME du secteur, et singulièrement de la presse magazine que les qualités de l’iPad auraient tout pour séduire, accueilleront-ils la tablette d’Apple ? La presse Mac francophone indépendante, parce qu’elle a su tracer sa route elle-même en privilégiant le service rendu au lecteur tout en connaissant bien le comportement du californien avec ses partenaires, a sûrement un témoignage à apporter. Nous avons interrogé ceux qui président aux destinées des 3 plus anciens d’entre eux, et qui bien souvent étaient aussi à leur origine. Nous voudrions les remercier d’avoir répondu sincèrement, se sachant sous le regard de leurs confrères…
Première partie de l’entretien croisé avec Nicolas Gozian et Alexandre Lenoir (iCreate), Bernard Le Du (Vous et Votre Mac) et Xavier Maudet (Avosmac)
MacPlus : Vous été un acteur de longue date de la presse Mac en France : quelle est votre analyse du secteur au printemps 2010, et comment voyez-vous l’avenir de celle-ci ?
Avosmac Magazine : La presse papier en général est en crise, à de rares exceptions. La presse informatique est particulièrement concernée par cette crise.
C’est un peu normal, la presse informatique a eu son heure de gloire avec la montée en puissance des ordinateurs familiaux puis d’internet. Nous ne sommes plus dans ces schémas de nouveauté et de découverte. Le marché est mature.
Il est bien difficile de prédire ce que deviendra la presse Mac au regard de l’évolution des produits proposés par Apple et des changements de comportements des utilisateurs d’ordinateurs. On peut se réjouir du nouvel engouement suscité par les produits Mac en France ce qui permet sans nul doute à la presse Mac de tenir le cap. Avosmac a réalisé en 2009 une meilleure année que 2008, ce qui n’était pas gagné d’avance !
Nous ne sommes donc pas super inquiets même si nous restons vigilants.
Jamais il n’y a eu autant de titres consacrés au Mac en kiosque en même temps. La chance que les lecteurs ont est la diversité de l’offre avec des titres qui ne fondent plus leur “business plan” sur les rentrées publicitaires mais sur l’intérêt des lecteurs. C’est une excellente chose.
iCreate : Évidemment, nous n’en sommes plus à l’opulence des années 90 en matière de diffusion, mais si la presse en général est en crise depuis de nombreuses années, la presse Mac elle, s’en sort plutôt bien, avec cinq titres dédiés disponibles en kiosque. C’est en grande partie du, il faut l’avouer, aux fabuleux résultats qu’engendre Apple depuis quelques années, et qui font qu’une importante communauté d’utilisateurs est à la recherche d’informations. iCreate, qui vient de fêter ses cinq ans, profite certes à plein de cet engouement, mais à aussi rencontré le succès en proposant à ses lecteurs un ton original et une approche éditoriale différente pour se distinguer des sites web d’informations qui ont connu le même essor durant cette période.
Concernant l’avenir, nous sommes plutôt confiants puisque l’intérêt pour les produits Apple ne va pas faiblir et devrait même décuplé par l’ouverture de nombreux AppleStore en France dans les mois à venir.
Vous et Votre Mac : Nous ne savons pas comment le marché en général de la presse Mac va puisque nous n’avons pas vraiment d’idée de comment se portent nos confrères et concurrents. Nous nous ne sommes pas un groupe de presse avec plusieurs titres. Nous ne faisons que VVMac et nous n’avions aucune stratégie de conquête quand nous l’avons créé en novembre 2004. Il s’est développé tout seul, et pratiquement grâce à ses lecteurs – car les rentrées liées aux pages de publicité, très peu nombreuses (contrairement à ce qu’écrivent sur les forums des gens qui visiblement ne nous lisent pas, nous ni les autres), sont une goutte d’eau.
Ce ne fut pas le cas dans la presse Mac des années 90 où les pages étaient très, très nombreuses et où l’argent de la pub coulait à flot. Je me souviens que MacWorld France que je dirigeais rapportait alors beaucoup d’argent, assez pour faire vivre d’autres magazines et salariés d’un groupe qui fut malheureusement à un moment mal géré.
Toujours est-il que nous sommes tout à fait satisfaits de l’évolution actuelle de VVMac. Le titre se porte vraiment très bien, alors que nous ne jouons en rien sur la facilité, mais privilégions la curiosité de nos lecteurs envers lesquels nous sommes exigeants.—–
MacPlus : Vous avez une approche assez nuancée les uns par rapport aux autres vis à vis du média internet : quelle est votre réflexion par rapport au web en tant que support ?
Avosmac Magazine : Nous sommes des journalistes dans la presse informatique mais aussi dans la presse quotidienne régionale. Nous savons combien nos écrits ont un poids et les risques que nous courons à ne pas respecter la loi, laquelle a vocation avant tout à protéger les individus. Or, internet est tout sauf un lieu protecteur pour les individus. Tant que le grand déballage continuera dans une anarchie qui passe de la joie à la haine, il sera difficile de travailler en toute sérénité avec internet.
Quant à voir internet comme support, c’est évidemment déjà le cas. Mais c’est un support complémentaire aux autres. Il contribuera sans doute à faire disparaître certains titres papier. Mais pas tous.
iCreate : Notre démarche Internet est plutôt passive. Non pas que nous n’aimerions pas disposer d’un site puissant mais nous devons avant tout nous concentrer sur ce qui nous permet aujourd’hui de vivre, à savoir le magazine papier. Notre site nous sert donc principalement à relayer des informations qui concernant notre magazine et, ponctuellement, à distiller quelques informations sur l’univers Apple.
Cela dit, nous animons tout de même une communauté qui compte aujourd’hui plus de 3200 personnes autour de notre profil Facebook et avons également ouvert un fil sur Twitter sur lequel nous relayons quelques informations.
Vous et Votre Mac : Nous n’utilisons pas Internet comme support de diffusion de contenus. Et ne prévoyons pas de le faire.
Notre site web ne fait qu’accompagner le magazine (sommaire des numéros, recherche par mots clés…) et sert de lien avec certains lecteurs qui apprécient de communiquer entre eux et avec nous sur un forum. C’est aussi un excellent support de vente des abonnements et anciens numéros. C’est tout.-
MacPlus : l’iPad est-il, selon vous, susceptible de changer la donne ? Vous proposez déjà du contenu rédactionnel dématérialisé sous forme de pdf à vos lecteurs…
Avosmac Magazine : L’iPad va permettre aux amateurs de PDF de se lever le cul de leur chaise et de quitter leur clavier et leur écran. C’est une très bonne nouvelle ! Mais guère plus.
iCreate : Contrairement à Vous et votre Mac, nous ne proposons pas de contenu en PDF même si de nombreux lecteurs nous le réclament. L’iPad nous intéresse en tant que support et nous réfléchissons à la manière dont nous pourrions être présent dessus. Contrairement à l’iPhone, l’iPad offre un confort de lecture qui ouvre des perspectives.
Vous et Votre Mac : Les PDF que nous proposons à la vente ne sont pas ceux du numéro en kiosque, mais des numéros passés.
Nous ne les diffusons donc qu’auprès de lecteurs qui ont raté un numéro en kiosque, ou sont soit dans des pays où envoyer le magazine est trop aléatoire, soit qui s’en servent comme base de données documentaires. Ces fichiers sont personnalisés (sorte de filigrane invisible, au nom de l’acheteur) et protégés autant que le PDF le permet.
Les ventes de ces PDF restent très marginales..—–
MacPlus : Que pourrait apporter l’iPad de différent par rapport aux autres tablettes ou “supports” électroniques ultra-nomades ?
Avosmac Magazine : Nous sommes des inconditionnels de l’iPod Touch et utilisateurs à nos heures d’un EeePC d’Asus sous Linux. Ce que l’iPad peut apporter de plus c’est toute la magie Apple, l’ergonomie, la “sensualité” du design, et surtout la facilité d’utilisation et la convergence des contenus. Le risque est l’hégémonie d’Apple en matière de contenu, précisément. Google en fait autant.
iCreate : Avant tout le savoir faire d’Apple en matière de logiciel et d’ergonomie. Apple a depuis longtemps construit sa différence sur ces deux aspects et son succès sur le nouveau marché qu’a représenté pour elle la téléphonie mobile démontre son incontestable maîtrise en la matière. À la base, un iPhone embarquait une technologie plutôt moins évoluée que certains concurrents. Il n’offrait par exemple pas le support de la 3G. En revanche, une seule pièce à fait la différence : l’écran multitouch et le software capable de le gérer. Une fois en main, ça avait l’air tellement évident que les gens ne voulaient plus autre chose. Ne nous y trompons pas, c’est l’interface utilisateur qui a fait le succès de l’iPhone. Au départ, les gens se moquaient bien que son appareil photo soit mauvais, qu’il ne sache pas filmer, etc.
Les tablettes déjà existantes sur le marché savent faire des tas de choses mais on peut penser que c’est à nouveau sur l’interface qu’Apple fera la différence. Le client aura de toute façon raison.
Vous et Votre Mac : L’iPad n’est, pour moi, absolument pas une “liseuse”. Ce peut être une de ses fonctions, mais c’est avant tout un ordinateur tout aussi capable de consommer des contenus que d’en créer ! L’iPad est donc simplement un ordinateur ultra portable
MacPlus : Le format de l’iPad – à peu-près celui du format classique 18×24 – et son interface utilisateur peuvent-ils à eux seuls changer la façon de présenter des contenus au lecteur? Ou bien ses capacités multimédia héritées de l”iPod sont-elles davantage essentielles, en particulier la vidéo ?
Avosmac Magazine : Le gros risque de l’iPad c’est précisément la taille. Nous attendons de voir, de tester, d’utiliser sur longue distance pour être vraiment convaincus. Pour les films, ce sera sympa, mais tenir 700 gr à main levée au lit, ce sera moins agréable qu’avec l’iPod Touch (sur lequel du reste nous ne regardons plus de films, nous sommes revenus au video-projecteur). Pour les magazines, le confort sera indéniablement plus grand. Les pages internet seront enfin lisibles. Il y a beaucoup de points positifs mais la fragilité et l’encombrement de l’iPad risquent d’être un handicap au moment du transport.
Un magazine peut échapper des mains, pas l’iPad.
iCreate : Les deux ! Notre journaliste qui a eu la chance de manipuler l’iPad nous a bien rapporté que ce format était idéal pour la consultation web. Le simulateur du SDK permet d’ailleurs de s’en rendre compte, l’interface tactile en moins. Le multimédia est un plus, mais il va pour ainsi dire de soi. En revanche, je ne suis pas certain qu’on utilisera avant tout un iPad pour regarder une vidéo dans son canapé, il y a la télé pour ça. Mais en déplacement, oui, certainement. Il sera bien plus confortable qu’un iPod ou un iPhone !
Vous et Votre Mac : Il est clair que se trimballer avec un portable pour quasiment rien en faire est le lot de millions de personnes de par le monde.
L’iPad change beaucoup de choses. Il n’y a rien de comparable sur le marché aujourd’hui.
Ni le Kindle, qui n’est qu’une liseuse en noir et blanc, d’un intérêt à mon avis mineur. Ni les “tablettes” sous Windows qui existent (on devrait d’ailleurs parler de portables sans clavier). Ce sont des outils professionnels, lourds et très onéreux. Tout comme l’est le Mac sans clavier que fabrique artisanalement une société américaine (dont je ne me souviens même pas le nom) sur la base de Macbook désossés. C’est d’un intérêt totalement marginal.
Je l’avais dit dans plusieurs de mes éditos, bien avant que l’iPad ne soit dévoilé : si Apple fait une tablette, elle ne sera pas sous Mac OS X et sera avant tout un objet grand public. Cette fois-ci au moins, j’ai vu juste.
(A suivre)
