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Édito

Apple trop “facile” avec l’iPad ?

Le Salon Educatice ferme aujourd’hui ses portes, alors que les tablettes sont en passe de révolutionner les pratiques. Mais Apple la joue-t-elle un peu trop désinvolte sur le marché français ?

Boro

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On sait que parmi les chantiers auxquels Steve désirait s’attaquer, pour peu que la Camarde lui laisse encore un peu de temps, figurait en bonne place le secteur du manuel scolaire (lire Les 3 projets de Steve Jobs).

Comme on l’a rappelé à de plusieurs reprises ici, il était clair dès 2007 que Jobs avait une idée précise, non seulement de ce qui serait le devise idéal pour l’Education, mais également de la façon dont les contenus pédagogiques pourraient s’y organiser, rompant ainsi avec le modèle pluriséculaire enseignant groupe-classe (lire Jobs et Woz, toujours fringants). Dès cet instant, il était évident qu’après l’iPhone il y avait bien dans les labos d’Apple un projet bien balancé de tablette, successeur numérique de la bonne vieille ardoise de la communale.

Elève doué mais résultats trop contrastés

Or pour séduisant et en avance que soit l’iPad (lire iPad en expérimentation nationale), il n’est pas dit que la concurrence doive rester les deux pieds dans le même sabot sur le marché de l’Education non plus, comme le prouvent d’ailleurs le lobbying patriotique actif mené par Archos ces dernières semaines, ou l’activisme procédural entretenu tous azimuts par Samsung aux 4 coins du monde. De fait, les équipes locales de la Pomme auraient bien tort de croire que “c’est arrivé”, sous prétexte que Cupertino leur a mis dans les mains un appareil magique, et quels que soient par ailleurs les excellents résultats obtenus dans le secteur de l’Education.

Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la France, où les scores mirobolants totalisés dans l’Education (lire Education, Apple au dessus des 52%) ne doivent pas masquer la dichotomie de la réalité, où l’essentiel des chiffres se fait dans un secteur du Supérieur et de la Recherche traditionnellement acquis à la cause pommée, tandis que le secteur du Primaire Secondaire dit K-12 est à l’inverse beaucoup plus disputé et d’autant moins a priori favorable à Apple, et malgré les qualités de ses solutions de “classes mobiles” que la concurrence s’est empressée de copier.

Bis repetita placet ?

Or si cette fois-ci encore Apple est partie avec un device exceptionnel et plusieurs longueurs d’avance côté expérimentations voire même déploiements, il n’en reste pas moins que les partenaires habituels de la Place d’Iéna sur un certain nombre de projets sont prêts à mener des expérimentations pédagogiques, préalable obligé à la sortie du carnet de chèques, avec des matériels proposés par ses concurrents les plus sérieux.

C’est par exemple le cas de l’Académie de Versailles et du Conseil Général des Yvelines, qui annoncent avec Orange l’expérimentation Tablette Elève Nomade basée sur la Galaxy Tab 10,1 de Samsung, dans un premier temps sur 2 classes de 6e à Trappes et à Sartrouville. Lancée à l’initiative de Samsung – lequel a su proposer des tarifs attractifs à Orange – l’expérimentation cherchera à évaluer d’une part les usages que ce soit en classe, au CDI ou à la maison, du travail personnel ou bien en groupe, en situation de cours ou bien pour la résolution d’exercice ; d’autre part les contenus et les ressources les plus adaptés, manuels numériques, applications à téléchargées, sites web, livres, vidéos, podcasts, dictionnaires, etc. Un rapport d’étape de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan devrait être disponible en février 2012.

On appréciera au passage le rôle de “coach numérique” qu’Orange est désormais décidé à prendre à son compte, au delà de ses compétences traditionnelles de prestataire technique en infrastructures réseaux, en assumant auprès des collectivités locales celui de prescripteur et d’intégrateur de projets. L’opérateur historique mobilise à présent ses Orange Labs pour lui fournir de véritables “solutions” ficelées, adaptées aux problématiques des élus de terrain à qui il a entrepris de s’adresser.

Un gros potentiel, mais a tendance à se laisser vivre ?

Or s’il est convenu qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, pas plus d’ailleurs qu’un passage de palombes ne fait l’arrivée de l’hiver, il n’en demeure pas moins que le climat qui s’était singulièrement réchauffé à l’égard d’Apple ces derniers trimestres, grâce à l’iPod et la généralisation de l’usage du podcast dans la pratique quotidienne est en train de fraîchir. Les Académies ont en effet l’impression en tant qu’enfants du Bon Dieu d’être pris pour des canards sauvages, les équipes de la Pomme ne se déplaçant pas aux réunions pour présenter l’iPad. Pire : de plus en plus d’équipementiers se voient demander si leur produit fonctionne “avec autre chose que l’iPad”.

Les lecteurs de MacPlus les plus âgés se souviennent sans doute de l’incroyable raté du plan Informatique Pour Tous de 1984, raconté avec talent par Jean-Luc Michel qui en avait été l’un de ses arisants, sur son blog Apple Passion. En bref, 350 000 Macintosh d’un modèle spécial destinés aux écoles et aux adultes, fabriqué dans une usine spéciale implantée en Bretagne, avec tous les transferts de technologie afférents, auraient du changer très en avance les pratiques pédagogiques en France, et probablement le paysage industriel europoréen. Au lieu de quoi, une solution franco-française fut en définitive privilégiée sans que de véritables explications ne soient fournies. Moyennant quoi, Apple est allée installer son usine à Cork en Irlande, de l’autre côté de la mer celtique.

L’excellente biographie de Steve publiée par Walter Isaacson livre peut-être une parcelle explicative de ce côté-là : Danièle Mitterrand elle aussi tout récemment disparue, était alors invitée à visiter l’usine entièrement automatisée de Freemont dont la jumelle devait être installée en Bretagne. Selon le biographe, l’agacement aurait été réciproque entre un Steve Jobs plus enclin à s’extasier devant le ballet des automates de l’usine qu’à s’étendre sur les conditions de travail de ses ouvriers, malgré les questions réitérées de la 1ere Dame Française, peu satisfaite des réponses évasives et pour finir du black out du jeune patron sur le sujet. La puissance du Champ de Distorsion de la Réalité une fois dissipée, les contraintes budgétaires de l’époque ont sans doute fait le reste, sur fond de patriotisme économique (déjà !).

Or il ne suffit pas d’avoir une nouvelle fois dans les mains, avec une longueur d’avance, l’outil idéal. Vingt-cinq ans plus tard, il ne serait pas indécent que les intervenants en charge de la promotion de l’iPad, successeur du Macintosh et au moins aussi révolutionnaire, mouillassent un peu leur chemise pour défendre un dossier sur lequel leur patron a travaillé jusqu’à la limite de ses forces… et en faire bénéficier les élèves de leur pays.