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Édito

Rapport Lescure, à l’écoute des Majors

A part Fleur Pellerin, quelqu’un dans ce pays a-t-il compris quelque chose aux enjeux de la dématérialisation des contenus ? Après la mise en place d’une mission confiée sur le sujet à un type aussi intelligent, ouvert et volontiers iconoclaste que Pierre Lescure, tous les espoirs semblaient permis.

Boro

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Un an plus tard, à la lecture du catalogue des « 80 propositions sur les contenus culturels numériques » de l’acte 2 de la Culture remis, ce 13 mai à François Hollande et à Aurélie Filippetti, la déception est à la mesure des espoirs soulevés. 80, pas moins, quand ce sont 75 propositions qui avaient un premier temps été annoncées, jusque sur le site du Ministère de la Culture : l’histoire dira peut-être quelles sont les 5 mesures qui ont ainsi pu monter dans le train in extrémis…

Certes, il y a dans le lot des propositions utiles, des suggestions futées et des mesures frappées au coin du bon sens : en particulier, on est passés au bord de la catastrophe et le rapport propose de placer les contenus culturels sous la responsabilité du CSA qui a montré qu’il savait faire, plutôt que sous l’autre tutelle comme il en a été un moment question, et qui a réussi le tour de force de laisser le pays rater le déploiement du WiMax, de la Fibre optique et du LTE.

Bien-sûr sont enfin soulevées les problématiques du partage de la valeur et du rapport de force entre les créateurs et les industriels, forcément déséquilibré pour tous ceux qui débutent une carrière ou ne sont pas adossés à un volume de vente suffisant, ou celles de la disponibilité des œuvres en « jachère » pour des raisons spéculative ou de simple rentabilité, celles enfin des distorsions de chronologie dans la mise à disposition des œuvres, de la TVA entre les supports ou entre les différents pays, en attendant (on peut toujours rêver) celles dans la fiscalité qui permettent à Amazon, Google mais également à Apple d’échapper à l’impôt.

Conforter le «Modus Vivendi» de l’industrie du contenu ?

Or, quelles que soient les bonnes intentions, au final le résultat est resté cantonné à la proposition de départ du chargé de mission : mettre le carnet d’adresse du directeur du théâtre Marigny à la disposition de son pote candidat à l’élection présidentielle. Formulée dès le départ, est affichée la volonté d’œuvrer à la pédagogie du public à l’égard des impératifs rencontrés par les industriels du contenu. De fait, rien – ou presque – dans le rapport ne les force à se projeter dans l’avenir et à abandonner leur rente de situation érigée en modèle économique.

Parmi les 80 propositions avancées – mais pour combien, et surtout quelles priorités ? – deux ont été par avance « vendues » à la presse, l’une susceptible de plaire aux internautes – l’édulcoration de l’Hadopi (il était temps !) – l’autre flattant l’appétit toujours inassouvi du secteur pour les subventions – faire participer à la création les détaillants et les diffuseurs de contenus dématérialisés sur le modèle du cinéma (pourquoi pas . Mais force est de constater que lesdits « professionnels de la profession » n’ont pas renoncé à leurs vieilles lunes, et pis encore, n’ont tiré aucune leçon de la dématérialisation du marché de la musique.

Pour faire court, et pour prendre seulement deux exemples parmi ce qui concerne Apple pour l’heure :

NON l’interopérabilité entre les Mesures Techniques de Protection (DRM) n’est pas une solution (mesures 26, 27 et 28). Une obligation dans ce sens constituerait un frein à l’émergence de nouveaux entrants sur le marché en même temps qu’une prime aux mastodontes du secteur, seuls capables de se payer un « passe » pour «ouvrir» toutes les serrures du marché. Et que dire de la fameuse course à l’obsolescence programmée, puisqu’il faudrait bien un surcroit de puissance et d’autonomie aux divers appareils pour faire fonctionner à la volée nimporte lequel de ces « ouvres-boites », en situation de mobilité.

Le marché de la musique a montré au contraire que c’est l’absence de Mesures Techniques de Protection qui est la seule interopérabilité qui vaille, comme l’a prouvé d’abord à partir de 2007 sur le catalogue de la seule E.M.I. – après une première expérience sur un blockbuster fin 2006, et vraisemblablement au prix de la tête des n°1 et n°2 de la Major britannique – puis à compter de 2009 l’abandon des DRM par l’ensemble de l’industrie musicale… qu’elle avait elle-même imposés à Apple. Quitte à maintenir un «tatouage» des œuvres, pour responsabiliser les utilisateurs.

NON la taxe sur les supports vierges pour la rémunération de la copie privée n’est pas applicable au champ des contenus numériques (mesure 40), et non seulement elle est devenue pour les « ayants droits » une fin en soi, aussi injuste qu’une Gabelle, mais indolore ou pas, elle est aussi contre-productive pour le développement du marché solvable des contenus en ligne qu’un impôt sur les portes et fenêtre le serait à l’heure des bâtiments bio-climatiques. Comment justifier que le support interrne nécessaire à la location ou même l’achat d’un contenu dématérialisé soit taxé indifféremment, que celui-ci ait été téléchargé légalement ou pas, sauf à considérer le piratage comme un fait acquis.

Instituée pour compenser la perte de la rente de l’obsolescence programmée et du renouvellement des supports enregistrés (disques microsillon et musicassette) sur laquelle les industriels du phonogramme avaient bâti un pan entier de leur modèle économique, la rémunération pour copie privée prélevée sur les supports vierges d’enregistrement avait été instituée sur les copies supplémentaires permises par la généralisation des copies sur des platines Haute-Fidélité. Pour les clients, il s’agissait de remédier à l’usure rapide des supports de l’œuvre, et même temps qu’une première tentative de partage et de diffusion virale de ce qui comptait pour eux.

Mais ce qui restait légitime avec le Compact Disc et son pendant le graveur ne l’est plus dans le paradigme de la musique dématérialisée, dans la mesure où dès l’origine c’est le client final qui fournit le support original sur lequel va reposer l’œuvre dont il a acquis légalement le droit d’utilisation. Il est possible, et même souhaitable, d’envisager une contribution vertueuse à la création, financée par une assiette la plus large possible étendue à tous les maillons de la chaîne, mais moyennant une remise à plat de la fiscalité indirecte au bénéfice du secteur… sauf à instituer une taxe sur la taxe… sauf à stimuler la créativité des comportements pour y échapper et à banaliser le piratage.

Malgré le – ou à cause du – désir évident de bien faire et la volonté d’être exhaustif, le visionnaire qui avait su bousculer le modèle, les codes et les rentes de la télé de papa, hérités de l’ORTF, pour forger Canal et Canal Sat a rendu un inventaire à la Prévert là où une nouvelle fois il aurait fallu une vision, une rupture. Les réactions n’ont d’ailleurs pas manqué, et sans doute prisonnier du paradigme et du cadre conceptuel de ces nouveaux rentiers que sont les Vivendi et autres industriels du contenu, le rapport de 486 pages et 2,3 Kg n’aura au final satisfait personne, à se cantonner à prévoir un petit quelque chose pour chacun.

La Révolution SERA télévisée, «Man»

Or la Révolution, Industrielle certes mais également sociétale, induite par la dématérialisation des contenus et à présent bien engagée, réclame une nuit du 4 août quand on n’a eu au final qu’un cahier de doléances. Le prochain évènement que sera la disruption de la TV connectée – la traduction française de l’anglais « Smart TV » restera un oxymore tant que les responsables de TF1, M6 et France Télévisions n’auront pas mangé leur chapeau avec leurs grilles de programme – promet d’être l’équivalent d’une prise de la Bastille.

Non qu’il s’agisse, de nouveau, de la «fête du slip» pour les téléchargeurs et les gens des supports, comme aurait pu le dire l’auteur du rapport avec le sens de la formule qui le caractérise. Mais bien parce c’est le symbole de la toute-puissance des Directeurs de Programmes qui va tomber avec ce nouvel outil, vers lequel vont converger non seulement d’éventuels « nouveaux entrants », mais surtout les contenus produits par Mme & M. Tout-le-Monde, en même temps que la multitude des usages aujourd’hui dispersés sur une myriade d’écrans également capable de produire des images Haute-Définition… lorsque certains acteurs institutionnels en sont encore à produire des images au format SD.

Au final, la puissance publique prendra ce qu’elle croira devoir prendre, c’est-à-dire vraisemblablement ce que les groupes de pression les mieux en cour lui diront de prendre, au mieux de leurs intérêts immédiats et à défaut du reste. Eviter de solder DailyMotion comme Thomson failli l’être en 1997 est une chose. Bâtir un grand dessein pour l’ere du numérique – pourquoi pas à l’échelle du continent européen à l’heure où les grands ensembles géostratégique s’emploient à « pousser » leurs contenus culturels, comme autant de Chevaux de Troie de leur « Soft Power » réel ou en devenir, en est une autre. Mais c’est à cette condition que nous éviterons de l’avoir, cette fois encore, mais pour de bon, « In The Baba ».