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Édito

Apple dans un nouveau cycle

Les annonces de mardi témoignent de la remise en ordre de marche de la société

Boro

Publié le

 

Par

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À chaque Keynote ses invariants, qu’ il s’agisse des épithètes utilisées on stage pour l’auto congratulation («gorgeous», «stunning», «amazing», «most popular») ou de la frustration exprimée dans l’après-coup par les fans et les observateurs. Non moins rituelle également, la véritable « phase de résolution » encaissée par la cote du titre AAPL, immédiatement après l’acmé des annonces et une fois évanouie l’excitation croissante des dernières semaines, à mesure que l’événement se rapprochait.

A l’évidence certains boursicoteurs en ont donc profité pour déboucler leurs positions selon l’expression consacrée, comme c’est maintenant le cas depuis que le titre Apple s’est mis à attirer la convoitise des spéculateurs d’autant que d’autres rituels, beaucoup plus récents ceux-là, n’ont pas non plus manqué. On a ainsi vu refleurir le marronnier des questionnements faussement compatissants du style «Apple est-elle encore capable d’innover ?», tandis qu’on assistait évidemment aux non moins saisonnières pâmoisons des «Appleistas» de service.

L’essentiel des commentaires s’est ainsi cristallisé autour des deux annonces-produit – l’iPhone 5c et l’iPhone 5s – pour en tirer des conclusions de préférence définitives. 0r pour séduisants qu’ils soient, les deux nouveaux téléphones présentés par Apple ne sont pourtant qu’une réponse tactique, valable pour l’année qui vient, à la situation provisoire que traverse la firme. A contrario, l’essentiel du message, plus stratégique, témoigne de l’efficacité de sa remise en ordre de bataille.

Une boucle infinie ?

La problématique à laquelle la société est confrontée est en effet particulière, et à bien des égards la situation que Tim Cook a dû s’attacher à déminer des son arrivée avec l’iPhone n’est pas sans rappeler, en raccourci, celle à laquelle Steve Jobs avait dû faire face, avec le Mac, durant les cinq premières années qui ont suivi son retour à la tête d’Apple… à ceci-près, bien entendu, que la trésorerie de l’Apple de 2013 ne ressemble en rien à celle d’Apple en 1997 : tel le Leprechaun, Tim Cook doit au contraire assumer la présence d’un certain nombre de magots disséminés aux quatre coins du monde, à Cork en particulier.

En 1997, Steve s’était lui aussi trouvé confronté sur son volet logiciel – c’est-à-dire le cœur de sa différenciation – à une panne d’innovation, mise à profit par un copieur servile qui avait d’abord été un partenaire et un prestataire de service, avant de se mettre à piller sa propriété intellectuelle. Même souci en ce qui concerne le catalogue d’ordinateurs, à la fois mal différencié vis-à-vis de la concurrence, mais également en ce qui concerne les modèles entre eux.

Dans le même temps, le PDG par intérim avait également du batailler avec des circuits de distribution pas toujours efficaces ou bienveillants. Pour dire les choses a minima, qui poursuivaient des intérêts qui leur étaient propres, engagés avec des constructeurs concurrents. Avec par exemple, pour ne parler que du marché européen, un certain Pascal Cagni réussissant à imposer la « vérité provisoire » d’un Packard Bell fabricant de « PC de marque » – c’est-à-dire du bon côté de la classification en vigueur à l’époque – avant de décider l’angevin d’adoption à prendre le risque de rejoindre Apple.

Confrontés à la banalisation de son système d’exploitation et de ses ordinateurs, mal soutenus par son réseau de distribution, Steve Jobs et son état-major avaient décidé d’une rupture au niveau du matériel, tout en temporisant sur le système d’exploitation le temps de pouvoir se différencier franchement au niveau logiciel, en menant à bien la fusion de Mac OS avec OS X. Le résultat : une séparation franche entre la gamme professionnelle, à forte valeur ajoutée, et une gamme grand public plus abordable, et surtout multicolore dès la première révision du fameux iMac « berlingot », à présent entré dans la légende et les musées d’Art moderne.

iPhone 5c, «C» comme Couleur, ou comme “Commodization”?

Tim Cook qui a du procéder à la réorganisation de la société en urgence dans la perspective de l’après-Steve, a en outre été contraint de mener de front les deux chantiers. D’une part, la refonte du système d’exploitation, un peu plus de cinq ans après la décision fondatrice de réorganiser iPhone OS autour de la matrice d’un véritable kit de développement logiciel capable de favoriser l’éclosion d’un nouvel écosystème. D’autre part, la démocratisation « dans la joie » de son offre matérielle, avec une proposition plus saine renouvelée régulièrement et non plus par le vieillissement progressif de sa gamme, ringardisée de fait par une concurrence plus réactive.

C’est à cette logique qu’obéit le lancement de l’iPhone 5c, en qui on aurait tort de voir le simple « refitage » de son aîné l’iPhone 5, et à laquelle obéissait déjà l’introduction de l’iPod mini en janvier 2004, soit à peine trois ans après le lancement du premier iPod, À ceci près qu’elle intervenait alors qu’Apple faisait déjà la course en tête sur le marché du baladeur, avec un management parfaitement en ordre de marche. Comme l’imac G3 ou l’iPod mini en son temps, l’iPhone 5c apporte une nouvelle fonctionnalité – l’accès quasi généralisé au réseaux LTE quand l’iPod mini se faisait encore plus portable ou l’iMac connectait à Internet en deux coups de cuillère à pot– le « fun » de la couleur qui sont d’ailleurs à peu près comparables, et la démocratisation tarifaire.

Mais surtout, de la même manière que janvier 2004 avait vu l’ouverture de la distribution de l’iPod à des distributeurs tiers (y compris avec HP), l’iPhone 5c tente de remettre dans sa poche l’homme clé, le vendeur de la boutique de « l’opérateur Trucmuche », celui-là même qui était incité à pousser du Galaxy auprès du client final. Dans le cas particulier de l’iPhone, ce sont en effet les opérateurs qui jouent le rôle de grossiste vis-à-vis de leurs différents canaux de distribution (Boutique, Web de la marque premium, marque Low cost). Ceux-ci en tirent d’ailleurs de substantiels revenus grâce a la subvention des terminaux, qui viennent indirectement financer les nouvelles infrastructures, quand le secteur est par ailleurs en pleine guerre des prix…

Le segment des Smartphones est à présent entré dans une phase de maturité, dans un marché de renouvellement qu’Apple a appris, à ses dépens, à maîtriser parfaitement. C’est donc bien l’iPhone 5c et non pas le navire amiral 5s, fut-il habillé à la feuille d’or, qui est mis en avant et qui fait l’objet d’une montée en pression grâce aux pré-commandes, et pas seulement pour de probables soucis de mise au point du capteur biométrique. Bien naïfs ou peut-être bien roués ceux qui avaient fait mine de croire à un iPhone «Low Cost», et d’imaginer qu’Apple se mettrait tout à coup à confondre «diffusion plus large» avec la banalisation de sa marque…