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Édito

Tim Cook, la revanche du second rôle

Apple plus ouverte sur l’extérieur, plus réactive, mais toujours maîtresse de son sujet. Entre continuité et rupture, Tim Cook impose sa marque. Tranquillement.

Boro

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Apple, que la presse anglo-saxonne surnomme depuis des années « la compagnie aux lèvres closes » en raison de sa communication ultra maîtrisée, est-elle en passe de s’ouvrir un peu plus largement sur l’extérieur ? C’est du moins ce qu’a laissé entendre Tim Cook au cours de la séance de questions et réponses qui a suivi la publication de ses résultats du 3e trimestre 2014, qui clôt l’année fiscale de la société. On aurait tort de croire à une simple posture, affichage concocté par on ne sait quel « pool » de communicants à la ramasse, la plupart du temps d’ailleurs en retard d’une guerre. De nombreux indices montrent, qu’au contraire, il s’agit également d’un infléchissement dans sa pratique, qui s’est mise en place dès le dernier intérim de Tim Cook, et qui tend à devenir à présent l’une des marques de fabrique de son style de management, tout en respectant ce qui fait l’essence même de la société dont il partage le destin depuis 16 ans.

Des résultats en forte hausse

On l’a dit, ces résultats sont exceptionnels, tant au niveau du chiffre d’affaires (42,1 milliard de dollars) que des bénéfices (8,5 milliards de dollars), lesquels traduisent des ventes solides que ce soit de l’iPhone (plus 20 % en Europe de l’Ouest) et surtout du Mac (plus 20 % au niveau mondial). Un petit détail, mais qui illustre parfaitement ce qui est en train de se passer : Apple a à présent retrouvé sur le marché mondial du PC les parts de marché qui étaient les siennes avant le lancement de Windows 95. Il n’est guère que l’iPod qui continue paisiblement sa rentrée dans l’atmosphère, avec tout de même un chiffre d’affaires de 410 millions de dollars – c’est l’équivalent de plus de 10 fois les résultats du français Archos sur la même période –, et l’iPad qui marque une phase de plateau à -13 %, le temps de purger les circuits de distribution avant le lancement de la nouvelle gamme. Disponible dans la 2e moitié du mois d’octobre, la tablette d’Apple n’a en effet pas pu bénéficier de « l’effet lancement » qui a à coup sûr ripoliné quelque peu le total des ventes d’iPhone, accueilli en fanfare au milieu du mois de septembre, lequel clôt précisément ce fameux 4e trimestre fiscal.

Or en dépit des prévisions alarmistes qui avaient suivi le départ, puis le décès de Steve Jobs, Tim Cook a non seulement multiplié par 2 le chiffre d’affaires et le bénéfice de la société depuis qu’il en a pris les rênes voici 3 ans, mais il a également su, après l’iPod, l’iPhone iPad de l’ère Steve, orienter la firme de Cupertino vers les écosystèmes de demain qui sont « le soi » et « la maison quantifiée », ainsi que les services autour d’une nébuleuse d’objets connectés tout en prenant appui sur les points forts de la marque. L’Apple Watch n’est probablement que la première d’une longue série de devices et de services à venir, beaucoup plus centrée sur l’utilisateur.

De fait, il est commode de ne voir dans les dernières annonces-produits intervenues ces dernières semaines qu’une simple resucée, vague rafraîchissement de ce que la société ou ses concurrents avaient pu produire de meilleur les années précédentes. Incontestablement, il est un certain nombre de choses qui ne changent pas, et la firme à la pomme qui sait être disruptive sur le design et une interface lorsqu’elle entre sur un marché sur lequel elle sait pouvoir apporter une amélioration décisive dans l’expérience utilisateur, sait aussi parfaitement jouer la continuité et s’appuyer sur ses points forts, patiemment mis en œuvre et développés depuis des années. C’est typiquement le cas du logiciel, depuis NeXT jusqu’à iOS en passant par OS X.

L’innovation et les fondamentaux

Continuité, ou plutôt Continuity, c’est d’ailleurs la clé de voûte de l’arche jetée entre les 2 piliers de l’expérience utilisateur d’Apple que sont iOS et OS X, avec Hand off [c’est-à-dire littéralement « passation de témoin »]. Mais là où Microsoft a pu s’enfermer dans la confusion entre expérience utilisateur sur un ordinateur classique et la façon spécifique de travailler sur une tablette ou sur un iPhone, Apple s’est contentée de jeter un pont entre ces 2 situations en respectant chacune de leurs particularité, tout en s’efforçant de gommer les points de friction qui pouvaient altérer la productivité ou le plaisir de l’utilisation,au delà même de la notion de «Cloud ».

Cela fut-il moins immédiatement facile à saisir qu’une multiplication artificielle des cœurs logiques du processeur ou une rupture radicale du facteur de forme de l’un ou l’autre des appareils, le choix stratégique a été pris suffisamment au sérieux par Google, le principal concurrent du moment en matière de logiciels, pour que Hiroshi Lockheimer, le vice-président chargé d’Android soit pressenti, selon le Wall Street Journal, pour cornaquer également le développement de Chrome OS. « Les bonnes idées ne meurent jamais », selon l’expression de l’un des membres historiques de la rédaction, pas plus d’ailleurs que ne désarment les trolls plus ou moins verruqueux, toujours les mêmes, à la limite du conflit d’intérêts, qui n’en finissent pas d’épancher leur bile à chaque nouvelle annonce de la firme à la pomme.

Continuité, encore, dans l’offre de valeur de la marque, depuis l’Apple Watch jusqu’au Mac, non seulement en termes d’unicité dans une expérience utilisateur « comme sur du velours », mais également dans la gradation tarifaire avec en particulier le maintien dans la gamme du premier iPad mini à un prix presque identique à celui du premier modèle d’iPod touch, prêt à en assurer la transition dans la douceur. Continuité enfin, sur ce qui fait l’essence même de la société, avec cependant une inflexion, sinon une rupture, dans le style de management et cap donné à la société qui tient autant de la personnalité du nouveau capitaine que de la taille, sans cesse plus imposante, du paquebot dont il a la charge.

Un outil industriel à sa main

Pour autant, Tim Cook n’en a pas moins peu à peu repris à sa main le magnifique outil industriel, commercial et surtout créatif que lui a légué Steve, lequel avait fait de lui son dauphin officiel dès 2004, outil qu’il a d’ailleurs très largement contribué à forger dès son arrivée dans la société en 1998. Petit à petit, et avec beaucoup de tact, Cook est ainsi parvenu à réussir la triple gageure de faire surmonter aux équipes le double traumatisme de la disparition du fondateur et de la double trahison de ses partenaires de référence, de la perte du leadership d’Apple sur le marché des smartphones qui semblait écrite pour les siècles des siècles, et de remettre les équipes au travail en focalisant la créativité des équipes sur un nouvel objectif stratégique. Hors de portée des ses compétiteurs avant un bon moment, celui-ci se trouve en effet au confluent de l’électronique, du logiciel et du service.

Et cette personnalisation dans le style vaut également en matière de communication, que celle-ci soit interne ou externe, en direction de l’opinion ou même des actionnaires… Ce qui ne veut pas dire que le successeur de Steve se montre moins doué que son prédécesseur dans l’art d’escamoter la réalité au nez et à la barbe de ses interlocuteurs, bien au contraire ! Dernier exemple en date, l’annonce en direction des analystes et des investisseurs du changement qui n’intervient pas de facilitation des résultats trimestriels à partir de janvier 2015. À compter de cette date, les chapitres qui font référence aux résultats de chacune des grandes entités régionales (Amériques, Europe Afrique Moyen-Orient et Inde, Chine continentale, Japon et Asie-Pacifique) comprendront également le chiffre d’affaires et les bénéfices jusqu’ici regroupés sous l’appellation « ventes de détail ». Voilà pour la transparence.

Mais à compter de janvier 2015 également, tous les services qui étaient jusqu’ici regroupés sous l’appellation «iTunes » le seront désormais sous l’appellation « Service », y compris les licences et les revenus générés par Apple Pay, et une nouvelle catégorie sera créée, intitulée « autre produits », pour regrouper tous les accessoires de type écouteurs, docks, casque et haut-parleurs de marque Beats, mais également l’iPod déclinant et l’Apple Watch à l’étoile montante. Autant dire que le fameux brouillard de guerre a encore de beaux jours devant lui…

Un style à part

Reste que le style, c’est l’homme, et l’on aurait tort de prendre les différentes prises de parole, les différentes rencontres avec telle ou telle catégories d’employés des différents sites ou fournisseurs qui travaillent pour Apple pour un simple affichage. D’une part, ces visites aux 4 coins du monde ont longtemps fait partie intégrante des attributions de son poste de Directeur Exécutif de la firme, au même titre que les négociations avec les partenaires, et Tim Cook semble d’ailleurs ne pas bouder son plaisir. D’autre part, l’actuel CEO d’Apple sait bien sait bien qu’il n’a pas reçu dans son berceau le même charisme magnétique que son prédécesseur. C’est sans doute également la raison pour laquelle il continue à multiplier les meetings devant les campus, les emails à« l’équipe» ou la tournée des popotes, au plus près de la réalité de la marque pour faire passer son message, auprès de ceux qui se seraient mis en 4 pour satisfaire le moindre des désirs de Steve mais qui auraient également tremblés de le croiser dans l’ascenseur.

Bien que natif de l’Alabama et arrivé en Californie en passant par le Texas, l’actuel patron d’Apple a fait sien et symbolise au même titre que son prédécesseur ce mélange d’exigences et de décontraction, de candeur et de pragmatisme californien pour faire des affaires avec leurs convictions profondes, là où quelqu’un dans un pays européen aurait déployé la même énergie pour mettre en place une association, ou une organisation non-gouvernementale. N’en doutez pas, si Tim Cook répète à l’envi qu’Apple contribue à rendre le monde meilleur en protégeant l’environnement, en faisant avancer les droits de l’homme, en améliorant les conditions de travail à chaque maillon de sa chaîne logistique et en faisant évoluer la manière dont les professeurs enseignent et les élèves apprennent, c’est qu’il en est intimement persuadé. Et c’est sans doute l’un des atouts importants d’Apple pour la suite de la compétition.