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Événement

Samsung : fin de l’effet de “Allô” ?

La présentation du Galaxy S6 au Mobile World Congress de Barcelone a été loin de soulever l’enthousiasme, et la comparaison avec l’iPhone 6 est sur toutes les lèvres. Début d’un nouveau retournement de tendance ?

Boro

Publié le

 

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© N.C.

Le sort promis à Samsung dans la téléphonie mobile s’apparente-t-il à celui de Sony dans les téléviseurs, au tout début des années 2000 ? Le Coréen, qui ironie du sort avait déboulonné le japonais de son piédestal à la faveur du changement de technologie des écrans et du basculement vers le LCD, semble bel et bien devoir endosser à son tour la défroque mangée par les mites de l’icône déchue de l’électronique mondiale. Les spécialistes du secteur et des « newsmags » de la planète entière réunis à Barcelone à l’occasion du Mobile World Congress sont en tout cas pour le moins réservés quant à la probabilité de voir le Coréen rester à long terme numéro un mondial de la téléphonie

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Il n’est pas question ici d’enterrer prématurément Samsung Electronics :

  • d’une part parce que des millions de poches, de bureaux et de cartables d’utilisateurs ravis, sont occupés par des appareils fabriqués et conçus par une marque dont tout un tas de gens très compétents avaient annoncé la fin prochaine voici plus de 15 ans ;
  • ensuite parce que le Coréen continue à disposer d’une base solide sur son cœur de métier du composant électronique, tant en termes stratégiques qu’en matière de sources de revenus, d’autant que la marque s’est également diversifiée sur nombre de marchés contigus à celui du smartphone, comme celui de la télévision ou de la photo par exemple ;
  • enfin parce que le chaebol qui souffre depuis plus d’1 an sur un secteur du smartphone dont il avait fait le porte étendard de sa marque s’est mis en capacité de réagir, en se séparant d’actifs non stratégiques comme les disques durs ou la fibre optique, et en puisant dans les universités américaines qui sont le vivier habituel de son principal concurrent. Samsung a même recruté au MIT en 2012 un petit génie de la trempe de Pranav Mistry pour diriger sa recherche aux États-Unis, et plus récemment Hyun-Yeul Lee pour travailler sur ses futures interfaces utilisateurs.

    “L’amour dure trois ans…”

    Pour autant, l’effet de halo qui avait entouré les smartphones de Samsung depuis janvier 2012 avec l’annonce-surprise de sa nouvelle place de numéro 1 un petit trimestre à peine après Apple, semble en train de se dissiper. Barcelone et son Mobile World Congress, où le fabricant du Galaxy S avait fini année après année par jouer à domicile, ont accueilli la présentation du Galaxy S6 avec un brin d’ennui, voire une indifférence polie. Malgré ses réelles qualités, en particulier la recharge partielle ultra rapide de sa batterie et son appareil photo, le nouveau fer de lance de la gamme du Coréen semble marqué du sceau prophétique lancé en septembre 2013 par sa future vice-présidente, alors enseignante à l’université de Boston :

    « Aujourd’hui tous les deux, Apple et Samsung, sont dans le même bateau avec des problèmes d’innovation, malgré leurs derniers produits tout récents, comme l’iPhone 5c et le Samsung Galaxy Gear. Les deux sociétés échouent à se connecter au public. Elles semblent scotchées sur les fonctionnalités au lieu de prendre un peu de recul, et de faire passer un message plus large sur la manière dont leurs produits vont transformer nos vies. Cette fois-ci, Apple a fait porter davantage ses efforts pour faire de l’iPhone un positionnement esthétique que pour proposer une innovation fonctionnelle »

    On passera sur le caractère partiel de l’appréciation recueillie alors par MacNewsWorld, alors que Apple commercialisait au même moment l’iPhone 5s : la perception de l’universitaire est fausse parce que la communication d’Apple avait d’ores et déjà changé depuis plusieurs mois, comme on le voit sur la vidéo ci-dessous qui regroupe les publicités Apple pour l’iPhone 5 dans un étonnant raccourci. Mais c’est également toute l’organisation de la société qui dès cette date est déjà remobilisée pour faire face à la menace de Samsung, et à sa stratégie du « carnet de chèques ».

     

    Or les premières réactions des « Newsmags » après la présentation de ce fameux Galaxy S6 que plus personne ne se risque à présenter comme un « iPhone killer », montre que ce fameux « effet de halo », longtemps attribué à Apple, n’opère plus en ce qui concerne Samsung… fût-ce auprès de ces faiseurs d’opinion que l’ensemble des marques rivalise d’ingéniosité et de séduction pour mettre dans leur poche. Pour une raison simple : c’est que le fameux concept dégagé dans les années 20 décrit comment les perceptions d’un observateur – fut-il expert et qualifié – sont faussées par les a priori et les présupposés que suscite en lui « l’objet » de ses observations. À ceci près que ces présupposés finissent par céder face à des éléments objectifs, et le fameux effet avec eux. Or, c’est précisément ce qui est en train de se produire avec Samsung.

Un plan presque parfait

Parmi d’autres éléments, la cascade des procès engagés par Apple contre Samsung Electronics a permis de mettre en évidence le calcul fait par le Coréen. Celui-ci est simple, et pas forcément illégitime d’ailleurs pour peu que l’on se place de son point de vue. À la rentrée 2010, il est évident pour la division électronique du conglomérat que son positionnement sur le milieu de gamme de la téléphonie mobile devient intenable, et que chaque année qui passe Apple siphonne avec chaque nouveau modèle d’iPhone une part sans cesse croissante, non seulement de la valeur mais également du volume du marché stratégique du smartphone. Et ce au niveau mondial. De plus, le californien est en train de « bétonner » sa position grâce à son écosystème d’applications sans équivalent sur Android. Apple est le premier client de Samsung, et depuis 2005 et l’iPod Nano, c’est en grande partie grâce à la sécurisation de ses approvisionnements auprès du Coréen que Cupertino a pu asseoir son succès, en misant sur la différenciation face à la concurrence avec des composants quasi exclusifs, en pesant avec sa puissance d’achat : mémoire NAND, écrans capacitifs projetés, etc.

Or, se dit Samsung, il n’y a aucune raison que nous nous laissions éjecter d’un marché avec nos propres composants. En janvier 2010, décision est donc prise de mettre sur pied une « task force » chargée d’élaborer une réponse à l’iPhone, dans un premier temps en « collant » au plus près des caractéristiques de l’objectif pour « lui couper le vent », et le priver de son principal avantage concurrentiel – la différenciation par rapport à la concurrence [[tout en jouant de sa propre maîtrise du calendrier en matière de composants : le « navire-amiral » de Samsung aura donc l’exclusivité des écrans AMOLED, d’autant que les quantités en cause sont peu significatives]]. Dans un 2e temps, une fois prise la température du marché, Samsung passe véritablement à l’attaque au 4e trimestre 2011, en « noyant » les canaux de distribution à l’occasion de la sortie du Galaxy SII sur le marché américain, et pour brouiller ainsi les évaluations des cabinets d’analyse sur le trimestre plus scruté de l’année.

 

Le procédé est classique, bien qu’inédit à cette échelle puisque ce sont 60 millions de smartphones et pas moins de 20 modèles sous Android, sans compter les différentes capacités ou les coloris, qui sont ainsi injectés par Samsung sur 2011. À charge pour le Coréen de purger les fameux canaux en sortant son carnet de chèques ou ses bons de réduction à tous les niveaux, depuis les distributeurs et les opérateurs jusqu’au client final, fidèle à son modèle de vente du « poisson cru » : au prix fort lors de la sortie et avec des tarifs de plus en plus agressifs au fur et à mesure que le temps passe.

Dans le même temps, Apple n’en propose que trois et peine souvent à satisfaire la demande après son lancement de septembre et, circonstance aggravante, la firme de Cupertino a dû faire face à un moment très difficile avec la rechute puis le décès de son fondateur, lequel a consacré ses dernières forces à essayer de transmettre ce qui faisait l’essence même de son leadership. Le calcul de Samsung est donc simple : le temps qu’Apple se remette au travail, si toutefois le successeur en a la capacité, le paradigme de « Samsung maître de l’innovation » sera bien installé et le « matelas » de la base installée sera suffisant pour qu’au niveau de l’écosystème et des applications, il ne soit plus possible de revenir en arrière.

 

Or ce pari a échoué, comme on le voit sur la courbe des bénéfices du secteur, publiée par Business Insider : non seulement Apple n’a pas été poussée hors du jeu, mais elle réalise même 93 % des bénéfices du secteur, c’est-à-dire que l’ensemble de ses concurrents travaille à perte, ou peu s’en faut. Cela fait d’ailleurs plus d”un an que Samsung voit son chiffre d’affaires puis ses bénéfices dans le secteur fondre comme neige au soleil, comme on le voit sur le graphique ci-dessus qui montre également la subvention massive du Galaxy SII au 4e trimestre 2011, et le moment de la rupture avec le lancement des iPhones 5s et 5c.

Les affaires reprennent…

Quant à la stratégie d’Apple, elle est claire depuis maintenant quelques trimestres. Il s’agit de s’imposer en s’appuyant sur ses propres points forts, qui sont la sécurité de son écosystème – que ce soit sous OS X ou sur iOS – vis-à-vis des particuliers mais également ce qui est nouveau vis-à-vis des entreprises, et la confidentialité des données, en s’appuyant sur les services. Cela est vrai pour ses clients à titre particulier, avec par exemple ApplePay et Touch ID, mais c’est surtout le cas des entreprises avec son partenariat avec IBM, et alors que la marque à la pomme laboure ce marché depuis des années, que ce soit avec l’iPhone ou l’iPad. Big Blue vient ainsi de profiter du Barcelone Mobile World Congress pour annoncer l’extension de son programme IBM MobileFirst pour iOS portfolio, en direction des industries du transport aérien, de la banque et de la distribution de détail.

C’est ainsi un véritable cheval de Troie qu’IBM et Apple sont en train de construire en direction de l’entreprise, en l’occurrence celles pour qui les gisements de productivité ou de croissance grâce au Big Data sont les plus prometteuses, en se positionnant pour prendre la place d’un Microsoft au moment où « l’ère du post-PC » annonce des bouleversements dans la manière de travailler comparables à ceux induits par l’ordinateur personnel dans les années 80.

L’expérience globale dont Apple est en train patiemment de mettre en place tous les éléments, depuis la maison jusqu’au bureau et en passant par la voiture, s’appuie sur bientôt 40 ans d’ un savoir-faire unique d’intégration matérielle et logicielle, avec déjà près de 5 ans d’avance dans le service et désormais des ressources financières quasi illimitées au service d’une vision claire sur son avenir, et un écosystème global ira bientôt du poignet à la voiture. Il n’est pas certain que Samsung, qui malgré ses atouts ne dispose ni des uns ni des autres et qui paye dans les esprits son échec à créer un marché de la montre connectée, puisse encore longtemps faire illusion avec des « Samsung Pay » et des lecteurs d’empreintes digitales, alors qu’il est à présent attaqué sur l’ensemble de ses marchés…