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Interview

Interview : magazines & iPad (2)

Entretien croisé avec Avosmac, iCreate & Vous et Votre Mac (2e partie)

Itoo

Publié le

 

Par

2e partie de l’entretien croisé accordé à Macplus par Nicolas Gozian et Alexandre Lenoir (iCreate), Bernard Le Du (Vous et Votre Mac) et Xavier Maudet (Avosmac). Lire la 1e partie de l’entretien.

MacPlus : Vous et votre équipe, réfléchissez vous à une forme et à un contenu spécifique, par exemple des tutoriels achetés “à la pièce” ?

Avosmac Magazine : Nous proposons déjà des hors-série thématiques (le dernier sur la sécurité rencontre un franc succès) et des compilations d’articles (Gimp, AppleScript, Terminal, etc). Nous allons poursuivre sans nous aventurer dans la vidéo ou le podcast, ça n’est pas notre truc.

iCreate : Si nous aboutissons dans notre réflexion, la forme sera forcément spécifique, puisqu’électronique. Pour le contenu, il est trop tôt pour le dire. Ça dépendra aussi, bien sûr, du succès de l’iPad dans le public. Ce qui est sûr, c’est qu’il est plus facile pour nous de produire du contenu éditorial tel que nous savons déjà le faire que d’animer un site web !

Vous et Votre Mac : Le problème qu’on a déjà connu avec le Web, c’est qu’on ne peut pas faire passer d’un coup de baguette magique une publication papier à l’âge numérique. Il faut re-concevoir totalement les choses, car les lecteurs sur la toile, sur leur portable ou leur tablette attendent un rapport interactif très différent de celui du papier – où ça se limite à tourner les pages.
Or, personne ne le fait.

Les premières démonstrations des quelques grands quotidiens américains ou magazines sont à mon sens dérisoires. Il ne suffit pas de remplacer dans les pages les photos par des séquences vidéos !
Alors, pourquoi personne ne l’a et ne le fait ?

Parce qu’il faut changer du tout au tout les métiers de la presse (papier comme audiovisuelle, qui n’est à mon sens pas plus avantagée, car si elle joue sur l’image, elle n’a pas plus d’interactivité avec ses spectateurs que nous avec nos lecteurs).
Et puis, parce que ça coûtera des fortunes à réaliser. Et que seuls de très grands groupes de presse, américains essentiellement, ont les moyens de se lancer éventuellement aujourd’hui dans de telles expériences.

Enfin, la gratuité des contenus sur Internet reste de règle et compte tenu des investissements nécessaires, ça bloque complètement le système.—–

MacPlus : Quel modèle économique pourrait ménager les intérêts à la fois d’Apple et ceux de la presse papier, sachant que la suppression des intermédiaires pourrait inciter de nouveau les lecteurs à mettre la main à la poche, moyennant une baisse des prix… ?

Avosmac Magazine : Je ne sais pas si la baisse du prix est un critère. Une certitude, Apple veut se substituer aux diffuseurs de presse de quartier. Comme Apple a remplacé les disquaires du coin. Et les vendeurs et loueurs de vidéo. Comment se réjouir d’une telle tendance ? Elle semble pourtant inéluctable. Supprimer des intermédiaires c’est priver des milliers de foyers de vivre de leurs revenus. C’est triste.

iCreate : Ce que vous appelez les intermédiaires, les marchands de journaux, sont un rouage essentiel de la diffusion de la presse. Sans eux, aujourd’hui, iCreate n’existerait pas. Avec un marché publicitaire en berne depuis de longues années sur notre famille de presse, nous avons appris à vivre grâce à nos lecteurs et donc grâce aux marchands de journaux. Si Apple se pose en intermédiaire, la donne ne change pas vraiment. La diffusion de la presse en kiosque coûte déjà très cher. Si nous vendions sur iPad via l’intermédiaire d’Apple, il faudrait soit que ça soit un revenu de complément.

Cela dit, l’iPad ne sauvera pas la presse. C’est le contenu qui sauvera la presse. Personne n’achèterait un mauvais journal juste parce qu’il est sur l’iPad moins cher que dans un kiosque.

Vous et Votre Mac : Il faut savoir que le deal que propose Apple est loin d’être scandaleux. Quand nous avions approché par le passé, il y a trois ans environ, des entreprises américaines et françaises qui s’essaient à vendre du PDF via Internet, la répartition des recettes qui nous était proposée était totalement inverse, de l’ordre de 70 % pour la plate-forme de distribution et 30% pour l’éditeur. 

Nous avons toujours refusé de jouer ce jeu-là. Et notre absence sur ce circuit ne nous a nui en aucune façon pour l’instant.
Le système de distribution de la presse papier en France est nettement moins gourmand, et a pourtant des dépenses de structure incommensurablement plus importantes (transports, stockages, rémunérations d’une foule d’intermédiaires…) qu’une plate-forme de serveurs.

Pour revenir sur le prix, je ne peux entrer dans le détail, mais sachez que la part que représente les coûts de réalisation d’un magazine papier (papier, impression) n’est pas aussi importante qu’on le croit. Le poste le plus important, ce sont les salaires et rémunérations des collaborateurs et autres frais et droits d’auteurs. Ces coûts, que le magazine soit imprimé ou au format numérique restent les mêmes.

La baisse de prix pourrait donc ne pas être très importante. Et de fait, jusqu’alors les éditeurs ont rarement “bradé” leurs éditions numériques.

En fait, la baisse des coûts de fabrications pourrait être totalement “perdue” à cause d’un mécanisme que peu de gens savent : un exemplaire de magazine électronique (même produit par une société de presse bénéficiant d’un numéro de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse) est  taxé à 19,6%, alors qu’un exemplaire papier l’est à seulement 2,1%. Cette question a été un des grands points discutés lors des assises et du grand débat sur l’avenir de la presse qui a été organisé en France l’an passé. À diffusion égale, le numérique est donc moins intéressant pour un éditeur que l’édition papier. Je comprends que c’est l’inverse de ce que tout le monde pense, mais c’est la vérité. En France, du moins, la révolution numérique, ce n’est pas pour aujourd’hui. 

Enfin, plane bien entendu le spectre du piratage. Un problème qu’il faudra régler à terme, car ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. On le voit avec les applications, les DRM d’Apple ne sont pas inviolables. Nous surveillons les différentes possibilités qui émergent, mais c’est un domaine très complexe où il faut à la fois garantir la sécurité pour l’éditeur et la facilité de lecture pour l’utilisateur.

MacPlus : Seriez-vous prêts dans ce cas à négocier avec Apple une part de la manne publicitaire, quitte à utiliser les services de leur propre régie publicitaire ?

Avosmac Magazine : Nous ne crachons pas sur la pub mais la pub n’a jamais été notre objectif prioritaire et il en sera longtemps ainsi.
Nous écouterons Apple si d’aventure ses représentants de commerce retrouvent notre mail, numéro de téléphone ou adresse postale pour nous parler autrement que par messages publicitaires envahissants.

iCreate : Il est trop tôt pour le dire, mais d’expérience, on ne négocie pas avec Apple, on s’adapte à leur volonté. Malheureusement. 

Vous et Votre Mac : Quelle manne publicitaire ? Mais dans quel monde vivez-vous pour poser de telles questions ? La publicité dans les grands féminins, ça rapporte sans doute encore beaucoup d’argent. Dans la presse spécialisée et informatique en particulier, la pub ce n’est plus rien. Vraiment rien ! Bien que cela satisfasse beaucoup mon égo de “vieil homme de presse” d’avoir un magazine qui vit de ses lecteurs, croyez bien que je regrette tout de même un peu qu’il n’y ait presque plus de pub…Faites un petit test : comptez le nombre d’annonceurs et le nombre de pages de publicité dans n’importe quel  magazine Mac.—–

MacPlus : Un kiosque numérique tenu par Apple sur le modèle de l’App Store ou du iBooks Store est-il nécessaire selon vous pour la presse magazine, ou est-il préférable que chacun préserve son originalité avec son application spécifique, et le modèle d’achat tel qu’il est prévu actuellement par la version 3.0 d’iPhone OS ?

Avosmac Magazine : Un tel kiosque serait sans doute très pratique et redoutable d’efficacité. Au risque de paraître vieux jeu, nous préférons le papier.

iCreate : Si la presse dans son ensemble veut tirer pleinement profit de l’iPad, je pense qu’il lui faudra absolument un kiosque numérique pour gagner en visibilité. On voit bien que faire sa place sur le Store au milieu des centaines de milliers d’applications est un défi que peu d’éditeurs parviennent à surmonter sur la durée. Un kiosque numérique ne sera pas un frein à l’originalité, bien au contraire, car tout le éditeurs voudront justement se distinguer comme c’est déjà le cas dans les kiosques dits classiques. Mais l’image du kiosque a ses limites : jusqu’à quel point pourra-t-on feuilleter un journal numérique avant de l’acheter ?

Vous et Votre Mac : Je pense que si nous faisons quelque chose à l’avenir dans le numérique, le format libre d’une application est bien plus intéressant que l’insipide iBooks qui ne fait que reproduire la lecture papier d’un livre. On tourne les pages, et basta. C’est assez peu visionnaire.

Laissons les éditeurs libres de proposer ce qu’ils veulent – des choses simples ou des choses hyper sophistiquées. 
Mais qu’Apple joue le rôle de grand kiosque avec une section applications/Presse spécifique, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement puisque de toute façon tout passe par Apple. C’est aussi de toute manière souhaitable.

MacPlus : L’iPad est-il le support que vous attendiez, ou une diversion qui va finalement  brouiller inutilement les cartes sachant que les articles sur papier peuvent être conservés eux plusieurs dizaines d’années ?

Avosmac Magazine : L’iPad est sympa. Mais bon, on va pas se damner non plus pour cet engin que nous n’attendions pas pour notre petit commerce. Sans doute nous aidera-t-il à diffuser un peu plus d’Avosmac en PDF. Mais la quantité aujourd’hui est ridicule par rapport au poids que représentent les kiosques (plus de 75 % des ventes totales), les abonnés et le PDF (à peine plus de 1 % des ventes).

Par contre pour le brancher à un vidéo-projecteur et visionner des films qui seraient loués sur l’iTunes Store, ça oui, nous l’espérons possible.

iCreate : Vous avez raison de souligner la pérennité du papier.  On présente le numérique comme la panacée, mais son grand défi est la préservation des données dans le temps. L’idéal serait que les médias numériques soient facilement archivables sur des supports pérennes. Aujourd’hui, en dehors du stockage en ligne à la manière des bijoux que l’on met au coffre à la banque, aucun support physique (disque dur, disque optique, mémorie flash) ne garantit la conservation des données dans la durée. Vous aviez peut-être des cartouches SyQuest ou Zip, voire des bandes DAT pour sauvegarder vos données il y a 10 ou 15 ans. Aujourd’hui, que pouvez vous faire de ces archives ? Si vous n’avez pas conservé le lecteur en état de marche et l’ordinateur sur lequel le connecter, ces données sont perdues.

Nous avons, dans ma famille, retrouvé des photos tirées sur plaque de verre ou sur papier datant de plus d’un siècle dans un état de conservation irréprochable. Ces techniques de l’époque qui semblent désuètes aujourd’hui sont un défi au temps. Évidemment, un vol à la banque est toujours possible, mais le cambriolage d’un domicile se finit souvent avec le vol de l’ordinateur et des disques de sauvegardes, rarement des magazines papier même s’il s’agit d’iCreate :-), des albums photos ou des négatifs.

La réalité du numérique, c’est que le consommateur va devoir s’habituer à payer pour garantir la préservation de ses données. Y est-il prêt ? Je ne le pense pas car l’industriel qui fabrique et lui vend un appareil photo numérique ou un iPad omet de l’éduquer à cela, même si Apple possède un embryon de système de sauvegarde en ligne avec MobileMe. Ce sera notre boulot de le faire.

Maintenant, tout le monde ne souhaite pas archiver ses lectures, et nombreux seront sans doute très satisfaits d’avoir une consultation éphémère de leurs magazines sur un tel support, ne serait-ce que parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, dans le cas d’un éloignement géographique par exemple.

Vous et Votre Mac : L’iPad est un ordinateur. Point à la ligne. Tout le monde va le découvrir dans moins d’un mois. Pour le meilleur ou pour le pire. 

Pour ma part, il est exactement ce que j’avais imaginé qu’une tablette Apple soit (à quelques menus détails près – de basse quincaillerie – qui ne méritent pas qu’on s’égorge sur les forums).

L’iPad et l’accent mis sur l’application de lecture ont quelque peu brouillé l’esprit des gens qui ne connaissent rien à la presse.  Imaginer que demain, l’iPad va révolutionner le secteur, c’est faire preuve d’une méconnaissance grave des mécanismes économiques et statutaires de la presse, du moins en France.