Faut-il avoir peur de la biométrie ?
Les futures technologies de surveillance et de contrôle, devraient nous apporter plus de sécurité et plus de confort. Mais encore…?
J’invite tous les utilisateurs de nouvelles technologies à se rendre à la Cité des Sciences et de l’Industrie du Parc de la Villette de PARIS, afin de visiter jusqu’au 07 janvier prochain une exposition scientifique consacrée à la biométrie. Au-delà de l’aspect purement technologique qui peut être très intéressant pour un « passionné numérique », il s’agit d’une invitation à voyager dans un futur proche qui pourrait bien ressembler à un univers déshumanisé de type Blade Runner ou 1984, si nos sociétés n’y prennent pas garde. Un espace où l’humanité serait contrôlée, où la liberté reculerait ; où la vie serait complètement bouleversée par rapport à celle que nous connaissons aujourd’hui.
Il semblerait que nos sociétés soient un peu à la croisée des chemins, cette « science » extraordinaire pourrait bien transformer notre vie de tous les jours en un cauchemar éveillé. Ou a contrario, épauler l’humanité pour l’aider à progresser, si les aspects positifs sont dominants, et les contraintes limitées.
Le 11 septembre 2001 est une date tragique pour les Etats-Unis, mais c’est aussi LE facteur accélérateur dans le cadre du développement de la biométrie au niveau mondial. Car à la différence du Pakistan, de l’Irak, de la Palestine, d’Israël, de la Thaïlande, du Sri Lanka, de la France, etc. ; ces attentats contre la « puissante » Amérique auront eu des conséquences majeures pour l’ordre des choses. L’adoption du Patriot Act, à l’initiative du président américain, est l’une des conséquences majeures dans l’adoption « exponentielle » des technologies sécuritaires basées sur la biométrie. La Malaisie par exemple délivre des cartes biométriques baptisées Mykad, et qui regroupe différentes pièces d’identité ainsi que des données multiples (taille, poids, état de santé, allergies) et enfin fait office de porte-monnaie. L’espace européen SCHENGEN regroupe des pays du Vieux continent qui oblige dès à présent leurs ressortissants à se doter d’un passeport biométrique. De même que les visas d’entrée dans cet espace SCHENGEN requiert une image numérisée du visage et des dix doigts du prétendant.
Cette science découle logiquement de l’anthropométrie, nous l’avons connue en France avec Bertillon et ses fameuses empreintes digitales. C’est l’anthropométrie qui a permis la naissance de la police scientifique au début du XX ème siècle dans l’hexagone. Sauf que pour le moment, vos empreintes ne sont relevées que si vous avez commis une infraction à la loi pénale, et ce durant le temps de garde-à-vue (mesure coercitive contrôlée par un cadre judiciaire sous l’autorité du Procureur de la République). Mais la biométrie va encore plus loin que la prise d’empreintes. Car elle permet de faire autre chose de vos données, de les prendre même à votre insu, et c’est ce caractère « indolore et incolore » qui est inquiétant pour l’avenir des sociétés modernes.
Quoi qu’il en soit, il semble à ce stade de nos connaissances qu’un monde inconnu se profile. Cela pourrait être un univers totalement inhumain et anxiogène que nous prépare l’adoption généralisée de la biométrie au nom de la sécurité, en reniant une grande partie des libertés individuelles conquises au fil des siècles. Ou au contraire un monde hyper sécurisé dans lequel chaque citoyen sera protégé et ne risquera presque plus rien ? La vérité du futur doit se situer entre ces deux extrêmes…
L’ensemble des activités humaines actuelles, pourrait être revue par la moulinette biométrique. Presque tous les secteurs marchands devraient bénéficier de l’apport technologique pour simplifier leurs modes de production jusqu’aux consommateurs. Les démarches administratives devraient aussi connaître une nouvelle révolution, après l’adoption massive des nouvelles technologies. Le citoyen de demain deviendrait un homme connecté en permanence. Il franchirait les portiques biométriques d’un magasin et un vendeur connaîtrait tous ses goûts vestimentaires pour l’orienter immédiatement vers les rayons intéressants. Bref, vous l’aurez compris, les applications sont multiples et infinies pour améliorer notre vie quotidienne.
La biométrie devrait donc nous apporter un confort de vie inégalé jusqu’à présent. Plus besoin de se soucier de savoir où se trouvent ses clés (voiture, appartement et autres) car nous utiliserons notre iris ou notre empreinte digitale, pour ouvrir les portes de notre maison, de notre voiture, de notre bureau.
Les criminels ne pourraient plus échapper aux forces de l’ordre qui seront amenées à vous « scanner » en permanence lors de contrôles inopinés dans la rue grâce à des périphériques de lecture intégrés dans leur besace. Il faudra montrer son iris à la porte des stades sportifs pour être sûr que vous n’êtes pas interdit de supporter par l’Etat.
Dans ce monde parfait, il serait impossible à quiconque d’usurper votre identité et de se servir de votre compte en banque sans votre consentement. Vous déclencherez des tonnes de fonctionnalités dans votre environnement, rien qu’en effleurant avec l’un de vos doigts une surface de reconnaissance biométrique. Bref, un monde de rêve. Et puis, laissez ses traces, même les plus intimes, quand on n’a rien à se reprocher, ce n’est pas si grave…—–
Cette science qui s’appuie sur la reconnaissance des caractères uniques d’un individu (un iris, une empreinte, un faciès, etc.) doit en effet être infaillible, puisqu’il n’existe pas deux êtres humains absolument identiques (mis à part les vrais jumeaux, et encore…). Mais de la même façon que la sécurité 100% est une chimère, l’infaillibilité de cette science peut être remise en cause.
Dans le cadre d’une empreinte digitale, pour faire simple, la numérisation s’effectue en prenant en compte 17 points sur la main. Ce nombre est jugé satisfaisant, pour avoir une donnée unique au monde et donc éviter de se tromper d’individu. Soit. Mais une empreinte digitale, intègre au total entre 50 et 100 points de reconnaissance, ce qui est nettement supérieur aux 17 points requis par la numérisation.
Imaginons qu’un individu, ayant été mis en cause dans une procédure judiciaire en France, soit signalisé (terme employé pour décrire l’opération de la prise d’empreinte dans les services de Police et de Gendarmerie). Les données sont ensuite stockées dans une « méga base », qui elle-même sera interconnectée avec les bases des autres pays européens ou d’un espace judiciaire international (qui n’existe pas pour le moment, mais cela ne saurait tarder…). Le but étant de pouvoir fouiller dans cette monumentale base de données, des profils enregistrés, qui pourraient correspondre aux empreintes relevées sur des scènes de crimes (ou délictuelles) et dont l’auteur est inconnu. Les enquêteurs relèvent donc une ou plusieurs empreintes sur une scène de crime, et ils interrogent la base de données « mondiale » précédemment décrite. Si l’auteur n’a jamais été signalisé, il ne devrait pas y avoir de réponses logiquement. Et il n’y en aura pas. Mais l’ordinateur peut proposer aussi des profils « avoisinants », histoire de ne pas passer à côté d’un meurtrier potentiel si l’enquêteur veut élargir son champ d’investigations. Notre suspect va devoir alors s’expliquer devant les autorités policières, de toute façon. Pour peu que son alibi ne tienne pas la route ou qu’il ne puisse se doter d’un avocat compétent (à honoraires élevés), il pourrait bien alimenter la chronique des erreurs judiciaires.
Pour le simple motif que 11, 12, 13 ou 14 points sur 17 seraient concordants avec l’empreinte découverte sur la scène de crime. Il faudrait donc s’assurer de numériser les empreintes digitales, avec un minimum de 50 points, pour être sûr d’éliminer au maximum ce genre d’erreurs. Et former les agents assermentés à ne retenir que LA donnée numérique.
Mais les empreintes ne sont que la surface de cet iceberg biométrique, qui dérive tout doucement, mais sûrement vers l’ensemble des pays de la planète. Car il va falloir s’habituer à donner son œil en pâture aux milliers de caméras disséminées dans l’ensemble des espaces publics de nos villes, de nos contrées dans quelques années. À « offrir » son visage et son asymétrie naturelle à votre banquier, pour qu’il vous remette les clés de votre coffre personnel. Ou bien encore, à se laisser prélever un peu de salive pour que votre acide désoxyribonucléique (A.D.N) puisse servir de sésame à l’ouverture de la porte d’entrée de votre résidence.
Dans un tel monde, connaissant l’hyper surveillance, votre profil génétique pourrait être enregistré des dizaines de fois et stockés sur des dizaines de disques durs éparpillés au gré de vos déplacements. Qui ne dit pas que par erreur, par maladresse ou par volonté de nuire ; certains de ses profils ne soient utilisés à mauvais escient ; ou ne se retrouve par accident dans une base de données criminelles ? Voilà un des dangers de la biométrie. Celui du stockage des données ramassées à la volée avec ou sans votre consentement. Et les bugs informatiques ?…
C’est bien le problème numéro un qui s’impose aux dirigeants des états actuels, celui du stockage des données recueillies au fil du temps. La Commission Nationale Informatique et Liberté (C.N.I.L) s’est résignée dernièrement à autoriser de fait la mise en place sans autorisation de machines biométriques dans les cantines des établissements scolaires pour lutter contre la fraude. En effet, dans certaines écoles françaises, des élèves passent leur main sur un appareil biométrique, afin de s’identifier avant de prendre leur plateau-repas. Le but de la manœuvre étant d’éviter que certains enfants ne mangent deux fois, car les repas sont limités au nombre d’enfants préalablement inscrits. Nous allons alimenter de multiples bases de données dans un avenir assez proche, cela est presque assuré.
D’où l’importance de savoir qui stocke, pourquoi et comment. Quelles sont les voies de recours contre des utilisations frauduleuses, abusives. Il y a toute une législation qui devrait être préparée, en amont, de l’adoption des solutions biométriques.
Pourtant, aujourd’hui nous laissons des traces, même si elles ne sont pas d’origine génétique : des transactions financières via nos cartes de crédit (péages, retrait d’argent), notre téléphone portable GSM, notre ordinateur et son IP fixe, etc. Nous ne devrions donc pas être inquiets, des possibles dérives liées à l’adoption de la biométrie de masse, puisque nous sommes déjà phagocytés par Big Brother en quelque sorte.
Sauf que la biométrie inclus un cran supplémentaire dans l’identification personnelle de chacun. L’utilisation frauduleuse d’un formulaire internet contenant nom et prénom au profit d’un spammeur professionnel, d’un numéro de carte de crédit ; de tout ceci en découlera des conséquences moins graves que si votre code A.D.N est retrouvé sur un mégot de cigarette. Ce dernier s’étant « malencontreusement » égaré grâce aux rafales de vent sur une scène de crime qui s’est déroulée en pleine rue… et comparé à la base de données, dans laquelle votre iris aura cligné plusieurs fois par jour depuis des mois, vous risquez d’avoir des surprises.
La C.N.I.L est régulièrement saisie ces derniers temps, par des salariés inquiets de voir leurs données personnelles stockées par leur entreprise à leur insu, ou bien de voir leur correspondance privée entre leur ordinateur professionnel et le reste du réseau, décryptée pour analyse sous prétexte officiel de lutter contre l’espionnage industriel. Elle ne semble pas pouvoir tout régenter et permettre d’apporter une relative sérénité dans ce domaine.
La biométrie est une science en pleine croissance, qui connaît un facteur accélérateur puissant avec les événements américains du 11 septembre 2001. Le monde est en train de généraliser les documents administratifs dotés d’éléments biométriques : passeport, carte nationale d’identité sécurisée, permis de conduire, etc.
Une grande partie de l’humanité semble prête à sacrifier ses libertés individuelles au nom d’une plus grande sécurité. Une autre partie de cette même humanité, n’aura pas le choix car elle subira les directives d’un état autoritaire qui les opprime déjà sans utiliser les technologies biométriques. Surtout que ces dernières sont indolores. Plus personne ne remarquera que son iris est numérisé, « checké », plusieurs fois par jour par des caméras intelligentes, lors de ses déplacements personnels et professionnels. La révolution biométrique est en ordre de marche et rien ne peut pour le moment l’arrêter.1984 ne paraît plus aussi loin, finalement, en ce début du XXIe siècle. A moins que nous ne trouvions un équilibre satisfaisant ?
Et puis, ouvrir sa porte en crachant sur la sonnette, ne sera plus un problème : tout le monde le fera ! 🙂