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Événement

Apple à la recherche d’un second souffle

Boro

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Une expérience de psychologie sociale, bien documentée et maintes fois reproduite dans les universités du monde entier, consiste à placer un groupe d’une dizaine de personnes dans une pièce, avec pour consigne d’évaluer, d’abord individuellement et chacun pour lui-même, le déplacement d’un point lumineux projeté sur l’un des murs de la pièce. Dans un second temps, on demande au groupe de se mettre d’accord sur les propriétés de ce déplacement (distance parcourue, direction) : au bout d’un temps variable, en général communiqué au départ par les expérimentateurs, les sujets sont à même de définir les caractéristiques attendues, en dégageant grosso modo un consensus à partir de l’ensemble des évaluations individuelles. C’est ce qu’on appelle une norme.

Le seul problème, mais il est tout de même de taille, c’est que le stimulus lumineux proposé au départ est resté parfaitement immobile tout au long de l’expérience, immobilité parfaite qui constitue d’ailleurs le fondement-même de ladite expérience…On aura donc compris tout le crédit que l’on accorde ici à la valeur du «consensus des analystes» d’une manière générale, et en particulier aux glapissements de dépit qui ont accompagné la publication hier soir des résultats trimestriels, parfaitement cohérents d’ailleurs avec l’incompétence crasse dont les mêmes ont fait preuve depuis des années dans leur suivi du titre.

Le thème du blues du tiroir-caisse ? Malgré le record pour un trimestre de juin sur les ventes d’iPad et de Mac, avec un renouvellement de gamme portable 3 semaines à peine avant la fin du trimestre après 1 an de stagnation, c’est la baisse séquentielle des ventes d’iPhone par rapport au trimestre de mars – 26 millions contre 35,1 – quand il est d’usage de comparer les trimestres équivalents de l’année précédente… ce qui donne une augmentation de 28% par rapport au trimestre équivalent de l’année dernière.

L’Europe en attente de l’iPhone 5

Que l’Europe de l’Ouest qui représente ordinairement le deuxième débouché pour l’iPhone – et donc un marché mature – connaisse une grave crise économique, et manifeste un comportement d’attente vis-à-vis du prochain iPhone importe peu : seul compte le fait que la marque à la Pomme ait déçu par rapport au fameux consensus. Quant aux 35 milliards de chiffre d’affaires et 8,8 milliards de bénéfices, respectivement en hausse de 23 et 21%… Nous parlons bien d’une société qui a encore accru ses réserves de 7 milliards de dollars ce trimestre, à 117 milliards au total, et qui s’apprête à distribuer un dividende de 2,55$ par action pour la première fois, en ayant dégagé un bénéfice par action de 9,32$ toujours sur ce seul trimestre. C’est pourtant bien ce même titre qui a décroché de presque 5%, après l’annonce de ces mêmes résultats, et qui prévoit au passage un bénéfice par action de 7,65$ pour le trimestre prochain.

Apple est cependant confrontée à d’autres difficultés, structurelles celles-là, et dont il n’est pourtant question nulle part. Il s’agit cependant d’une véritable équation différentielle, et dont l’équipe dirigeante ne maîtrise visiblement pas encore tous les termes.

La société est en effet très attachée à son fonctionnement de start-up, organisée autour de véritables groupes centrés en fonction des projets. La contrepartie, c’est qu’en bout de chaîne, ce sont les mêmes personnes ou les mêmes groupes qui sont en charge de la finalisation et de la validation de l’ensemble des projets qui remontent. Or Apple a connu une croissance quasi exponentielle au cours des 10 dernières années, et se confronte désormais à des marchés de consommation gigantesques, celui de la téléphonie dépassant et de loin tout ce à quoi elle a été confrontée jusqu’à présent.

En particulier en ce qui concerne le hardware, ce fonctionnement est rendu d’autant plus complexe qu’Apple procède à partir du design extérieur des produits, se débrouillant ensuite pour faire entrer ce dont elle a besoin dans le design mis au point par Jonathan Ive et son équipe. De plus, elle s’est mise à marche forcée à élaborer elle-même les composants dont elle a besoin, composant qui comme les batteries, les processeurs ou même les mémoires SSD doivent répondre aux besoins de produits et d’équipes différentes.

Apple se voit en effet confrontée à un nouveau compétiteur auquel elle ne s’était sans doute pas préparée, et au fonctionnement radicalement différent de ses concurrents traditionnels, auxquels elle s’était habituée à damer le pion par l’excellence d’un tout petit nombre de produits, dont elle est «fière» et que les gens s’arrachent, peu importe si elle n’arrive pas à fournir.

Des yeux plus gros que le ventre ?

Or Samsung Electronics, qui était jusqu’il y a peu le principal fournisseur de composants de Cupertino, a fait de la banalisation des innovations apportées par le Californien la clef de son succès, grâce à sa réactivité hors du commun et à l’avantage concurrentiel que lui donne par ailleurs sa maîtrise des composants… sur des marchés qui de toute manière grossissent plus vite qu’Apple ne serait capable de les satisfaire ! On a d’ailleurs-là l’explication à l’accumulation de chausses-trappes judiciaires dont se gratifient les deux compétiteurs dans leur course à la taille critique.

Apple a commencé à mettre en œuvre un certain nombre de solutions : personnalisation de ses composants on l’a vu, changement dans le timing des lancements et raccourcissement de la montée en puissance des capacités de production, accentuation de l’innovation sur le volet logiciel qui reste le point faible de ses concurrents. Mais si elle veut pouvoir être présente à la hauteur de ses ambitions sur le marché des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), elle va devoir paradoxalement rapprocher un certain nombre de lignes de production de ses différents marchés locaux, non seulement au Brésil ou en Turquie comme il en est question, mais également dans les pays européens.

Il ne sera peut-être pas si étonnant de voir des iPhone ou des iPad fabriqués par Foxconn dans ses usines de Hongrie : la Chine ne pourra éternellement fournir à elle-seule suffisamment d’ingénieurs pour produire tous les iPhone ou les iPad de la planète, alors qu’avec l’augmentation de son niveau de vie son marché intérieur est appelé à absorber de plus en plus d’appareils de ce type…