Thomico , désinformation
“N’en déplaise aux fans de la firme de Cupertino (Californie) qui ne supportent pas la moindre critique d’une entreprise à laquelle ils vouent une telle dévotion qu’elle mérite de compter parmi les actifs de la société…”
Le Monde Interactif
15/09/99
page 2, 3ème colonne
Si on arrondit, hein
Une fois de plus, le Monde Interactif a frappé avec un article “d’analyse” marqué du sceau de la Pensée Unique certifiée conforme. Le problème de ce genre de papier est qu’il est tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et qu’il s’adresse à une tranche de population appelée “décideurs”. Or, il est rempli d’approximations et de de contre-vérités dignes des sites de rumeurs qui eux, ne sont visités que par quelques centaines, voire quelques milliers, de personnes.
Les approximations
“…une action dont la valeur est passée de 13 à 67 $…en 24 mois.”
Faux : l’action d’Apple a dépassé les 70 $ au début de Septembre et s’est stabilisée aux alentours de 75 $ après avoir dépassé 76 $, son plus haut historique depuis son introduction en bourse en 1981. La moindre des choses, aurait été de donner le dernier cours de l’action au lieu de le minorer arbitrairement.
“… et ses innovations annoncées ne cessaient d’être repoussées (système d’exploitation Rhapsody)…”
Rhapsody était le nom de code de ce qui devait devenir Mac OS X. Or, Rhapsody marque précisément le retour d’Apple à une politique d’annonce qu’elle a su respecter, à quelques semaines près.
“(Le G4 est) si puissant que les autorités militaires américaines se sont alarmées de voir un tel potentiel de calcul tomber entre n’importe quelles mains…”
Aussi flatteur que ce commentaire puisse être pour Apple, il s’agit encore d’une approximation. En fait, le G4 tombe sous le coup d’un embargo sur les technologies de pointe dont les caractéristiques avaient été fixées il y a une vingtaine d’années. Parmi les matériels frappés d’embargo, figuraient les “super-calculateurs” dont la puissance dépassait le gigaflop (un milliard d’opérations à la seconde). Les “super-calculateurs” d’aujourd’hui dépassent le teraflop (mille milliards d’opérations à la seconde) et les caractéristiques de l’embargo font actuellement l’objet d’une révision de la part des autorités américaines.
“…l’intégration de composants fabriqués spécialement pour elle…”
Décidément Michel Alberganti n’a pas du tout suivi l’évolution d’Apple ces dernières années. Ce qui différencie actuellement un Macintosh d’un PC, c’est le processeur et le système d’exploitation, point final. En effet, jamais l’architecture d’un Mac n’aura été aussi proche de celle d’un PC : bus PCI, bus USB, port AGP (autant de technologies Intel implémentées sur les PC), mémoire PC100. Même les nouveaux moniteurs d’Apple sont dotés de prise VGA. De la même manière, Motorola et IBM font des efforts pour étendre la distribution des PowerPC. De fait, Apple est devenu un “assembleur” de composants de plus en plus standards.
Et bien évidemment, toutes ces approximations servent de préambule à des assertions spécieuses et sans justification.
Manipulations de masse
Apple reste fragile
Il s’agit-là du titre même de l’article. Après avoir annoncé que le bilan d’Apple affichait (seulement ?) 18 milliards de francs de liquidités, que l’iMac représentait 25 % des ventes de micro-ordinateurs de la FNAC, qu’elle représentait 4% des parts de marché au lieu de 2,7 il y a un an, cette affirmation à de quoi surprendre.
Si avec de tels résultats une entreprise est fragile, des milliers d’autres sont alors au bord du gouffre ! Mais l’auteur a bien pris soin d’étayer cette affirmation péremptoire avec des arguments canons.
“…Apple semble condamnée à la marginalité…”
Si l’on considère les parts de marché de Mac OS par rapport à la plateforme Wintel c’est la vérité de La Palice. Mais alors, que dire de Solaris (SUN), HP/UX (l’Unix de Hewlett-Packard), OS/2 d’IBM. Peut-on en conclure que SUN, HP ou IBM sont fragiles parce que marginaux ?
Mais ce n’est pas seulement la “marginalité” d’Apple qui la fragilise selon cet article. C’est que la capacité d’Apple à innover SERA battue en brèche par la plateforme Wintel.
“…Demain les fabricants de PC vont s’inspirer du design de l’iMac, Intel va commercialiser des processeurs plus puissants, l’intégration de l’accès à Internet va se généraliser à l’ensemble des fabricants…”
Cette phrase à elle seule résume l’argumentaire courant des tenants de la plateforme Wintel ces dernières années. Le design de l’iMac sera (est) copié, tout comme l’interface du Mac a été pillée par Windows. Intel va commercialiser des processeurs plus puissants : quand le G5 sortira ? L’intégration de l’accès à Internet va se généraliser…
En fait, la manipulation de masse prend toute sa force dans ces affirmations. Elles consistent en effet à comparer ce qui existe, est vendu et remporte le succès que l’on connaît avec CE QUI SORTIRA on ne sait quand. Toute la stratégie de Microsoft ou d’Intel est basée sur le “vaporware”, c’est-à-dire l’art de vendre de l’air. Ça consiste à dire : “OK, tout cela est bien, mais vous n’avez encore rien vu”.
Mais qu’Intel ou Microsoft fassent du marketing en vendant des produits qui n’existent pas encore, c’est légitime : ils protègent leur marché. Que la presse s’en fasse l’écho en assénant des sophismes, des approximations et des contre-vérités, cela devient de la désinformation. Et c’est proprement inacceptable de la part d’un organe comme Le Monde.