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Interview

42 : le pari de Xavier Niel & Nicolas Sadirac

C’est bien connu, et même formalisé depuis René Kaës : c’est dans la crise elle-même que l’on trouve les ressources nécessaires à la rupture, et au dépassement de celle-ci. Ou que l’on y reste, de toutes façons pour laisser place à autre chose.

Boro

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C’est forts de ce constat sur l’inadéquation grandissante du système scolaire français face au changement de paradigme actuel que Nicolas Sadirac et Xavier Niel ont décidé de mettre en place «42», le premier à la direction de l’école et le second au carnet de chèques, avec un premier investissement de 20 millions d’euros et un objectif de 50 à 100 millions à moyen terme (lire 1000 iMac pour le “42”).

Une rupture de paradigme

Une école d’informatique aux méthodes non seulement peu conventionnelles – il en existe d’autres, dont l’Epitech également fondée par le même N. Sadirac – mais peut-être surtout aux méthodes de sélection peu orthodoxes et dignes d’un stage de sélection d’une école de commandos, contrepartie de la gratuité des études. Ouvertes sans condition de diplôme aux jeunes de 18 à 30 ans, celles-ci sont conditionnées à la réussite d’un concours pratique dans des contions réelles, à raison de 15h de travail par jour pendant 30 jours. Dernière particularité, e6t non des moindres au pays où le bagage universitaire servait habituellement de viatique vers le marché de l’emploi, 42 ne délivre pas de diplôme national à l’issue des trois années de scolarité.

Un minimum quand on se veut à ce point en rupture avec le fonctionnement de l’Establishment pédagogique hexagonal, mais Nicolas Sadirac accepte la contrepartie de son indépendance. Pour autant, les plâtres ne sont pas encore posés dans les locaux qu’un certain nombre de DSI d’entreprises importantes viennent déjà tester l’eau du bain auprès de lui, et pourquoi pas proposer quelques places à la sortie. Interrogé par Macplus, Nicolas Sadirac le Directeur Générale de l’Ecole aime ainsi à rappeler qu’il il y a moins d’une dizaine d’années que Polytechnique délivre un diplôme reconnu par l’Education Nationale, et que la toute récente reconnaissance de l’Epita n’a rien changé au niveau de salaire proposés à ses diplômés.

Le diagnostic posé sur le système est en fait sans appel, et pas seulement en ce qui concerne l’éducatif français, même si c’est celui qui préoccupe les deux hommes. Xavier Niel chef d’entreprise, peine à recruter les les ingénieurs capable de produire le code informatique dont il a besoin, tandis que Nicolas Sadirac, enseignant, constate année après année le fossé croissant qui se creuse entre l’institution scolaire qui a la charge de la formation générale de la génération qu’il accompagne vers la professionnalisation et le métier de programmeur.

Des besoins non-satisfaits

Or, avec 30 offres d’emploi pour chaque étudiant « capé » sortant de l’école ou de l’université, la France est en train passer à coté de la maturation rapide de l’économie de la connaissance et de la dématérialisation. Cinquième puissance économique mondiale, la France ne pointe qu’au 20e rang en ce qui concerne l’économie numérique. Dans le même temps, le pays se prive de l’énergie créatrice d’une part toujours croissante de sa jeunesse, de part l’inadéquation de son système éducatif, en décalage constant avec les normes et la sociologie des jeunes qu’il prétend accompagner.

Nicolas Sadirac dresse ainsi un portrait sans concessions d’une Education Nationale – Secondaire, Supérieur et filières d’excellence confondus – mis en place à la fin du XIXe siècle sur des bases héritées du XVIIe, « davantage fait pour normer que pour former, et à présent impossible à se réformer » et dont le mythe – « le gâchis » – de la sélection par les maths pour les carrières scientifiques est un véritable symbole.

Un suicide collectif à terme, quand on sait que le numérique participe d’ores et déjà à hauteur de 25 % au PIB français, et que la plupart des métiers aujourd’hui « en tension » n’existait pas il y a de cela ne serait-ce que cinq ans et, souligne-t’il, certains petits pays des Balkans ou même la Corée ont déjà fait ce choix du numérique, tout simplement parce qu’il y va de leur survie !

L’ancien hacker passé par UCLA, Stanford, l’EPITA et HEC avant de fonder l’EPITECH sait d’ailleurs de quoi il parle, et cite volontiers l’exemple de cette jeune fille sortie du système scolaire qui s’ennuyait comme vendeuse dans une animalerie, et qui s’éclate à présent à créer du code chez Free en ayant plus que doublé son salaire. Le système fonctionne aussi en grande partie pour lui-même, non seulement pour reproduire les mêmes élites à l’infini, mais également pour justifier de son propre fonctionnement comme tout système bureaucratique. [Quitte à continuer à enseigner des sujets, et même des langages !, en dépit des besoins réels de métiers]. D’où la décision de faire quelque chose, mais « à côté », avec comme outils la valorisation et le plaisir d’apprendre plutôt qu’un système plus ou moins basé sur la hiérarchie et la crainte d’échouer. Et bien entendu la co-production des connaissances !

Une proximité culturelle avec Apple revendiquée

Le constat est très proche de celui que Steve Jobs posait en 1996 dans sa fameuse interview de Wired sur l’éducation, relevant que la technologie ne pourrait pas aider l’éducation à s’améliorer tant que les professeurs n’ accepteraient pas d’évoluer eux aussi, mais aussi en 2008 peu après l’élection de Barack Obama, en plein débat sur la ré-industrialisation des États-Unis, objectant que quoi qu’il arrive le pays de l’oncle Sam ne formait pas suffisamment d’ingénieurs pour envisager de rapatrier la production de l’iPhone…

La proximité culturelle du «42» avec Apple ne s’arrête d’ailleurs pas là, et c’est tout sauf par hasard si les 1 000 étudiants, futurs chefs d’entreprises, bénéficieront d’autant d’iMac dernier modèle comme poste de travail. Nicolas Sadirac revendique haut et fort cette proximité, y compris au niveau des valeurs. “Nous avons un partenariat et une relation de confiance avec Apple depuis plusieurs années, et c’est une société dont nous partageons réellement l’ADN. Il nous ont accompagné très en amont sur ce projet, et on a travaillé ensemble on peut dire en osmose sur cette collaboration. D’ailleurs, on aurait pas pu faire ce choix de machines s’ils ne nous avaient pas fait des tarifs formidables”. Le compagnonnage va ainsi bien au-delà de la sa plate-forme de développement pour tous les bidules iOS présents et à venir.

Cette collaboration peut-elle aller jusqu’au niveau pédagogique ? Rien du contenu des enseignements, définitivement orientés vers les projets et la mise en situation, ne devrait filtrer avant de l’été. Quant aux premiers diplômés du millésime 2013, ils ne terminerons pas leur voyage intergalactique avant 2016. Avant de devenir les « soutiers » de la «nouvelle nouvelle économie» ?

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