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Apple Intelligence : l’art de ne pas nous livrer ce que l’on nous annonce

Chez Apple, l’IA est privée, peut-être même beaucoup trop privée.

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© Pexels / Paula Schmidt

En 2018, Craig Federighi (vice-président principal de l’ingénierie logicielle chez Apple) l’annonçait comme la pièce manquante du puzzle : John Giannandrea, transfuge de Google, devait enfin donner une colonne vertébrale à l’intelligence artificielle chez Apple. Six ans plus tard, le chantier n’est pas achevé. Le nouveau Siri n’est qu’une vague chimère qui prend un retard fou, les modèles de langage maison ne sont toujours pas déployés et Apple Intelligence inquiète les employés de la firme eux-mêmes. Selon un membre senior de l’équipe cité par Bloomberg, « le navire prend l’eau depuis longtemps ».

Ce n’est pourtant pas faute d’intérêt. Steve Jobs lui-même avait appelé le co-fondateur de Siri – Dag Kittlaus – 24 jours d’affilée pour sceller son rachat. Toutefois, l’IA, chez Apple, a toujours été une promesse en demi-teinte. Bien présente dans les discours ; beaucoup moins dans les usages. Aujourd’hui, face à l’accélération portée par OpenAI, Google ou Microsoft, Apple tente de reprendre la main, mais vu d’ici, leur tactique ressemble plus à une série de contorsions qu’à un vrai plan d’action.

Apple Intelligence ou Apple Illusion ?

À la WWDC 2024, Apple a dévoilé au grand public sa vision tardive de l’intelligence artificielle, sous le nom d’Apple Intelligence. Un ensemble de fonctions censées transformer en profondeur l’expérience utilisateur : Siri repensé, génération de texte automatique, résumés d’e-mails ou de notifications, suggestions personnalisées. Sur scène, tout semblait fluide, et pleinement maîtrisé : l’ambiance habituelle d’un keynote de cette envergure.

Mais si l’on en croit les informations de Bloomberg, ces démonstrations étaient en réalité des vidéos enregistrées à partir de prototypes encore instables ; aucun des outils présentés ne fonctionnait en temps réel. Plutôt que de proposer une riposte technique face à ses concurrents, Apple nous avait donc conté un récit.

Pourquoi cette Bérézina, pour une entreprise qui nous avait habitué à cette équation : « Annonce de x produit = livraison du x produit dans les mois qui suivent » ? Historiquement, Apple a toujours vendu des promesses qui se matérialisent.

L’un des obstacles tient à l’organisation même des équipes : Siri, par exemple, reste répartie sur plusieurs équipes, avec des visions discordantes. Mike Rockwell, qui supervise désormais l’ingénierie Siri, refusait d’abord de reporter à Federighi, encore sceptique il y a quelques années sur l’utilité réelle de l’IA dans iOS.

En interne, la culture du cloisonnement a ralenti davantage les évolutions attendues. Le projet de « LLM Siri », piloté depuis Zurich, doit justement unifier l’assistante autour d’un modèle conversationnel. Un autre chantier, commencé bien plus tard que chez les concurrents, qui n’est pas près de sortir du laboratoire.

Pas de données, pas de miracle : l’impasse du modèle Apple

Apple a longtemps vu l’IA avec prudence, voire méfiance. Un terrain miné : trop bavarde, trop invasive, trop incontrôlable – tout ce qui est détestable à ses yeux. Giannandrea aurait même fait valoir, en interne, que la plupart des utilisateurs préfèrent désactiver les fonctions d’IA générative. La firme a donc choisi une voie autre que la concurrence : embarquer les modèles en local, éviter les serveurs distants, et respecter un strict cadre de confidentialité. Le problème, c’est que cette posture limite considérablement l’entraînement de ses modèles.

Faire le choix de ne pas collecter massivement de données, c’est faire un choix éthique, mais aussi technologique. Cela revient, en pratique, à accepter un entraînement plus lent, moins nourri, donc moins performant. Aussi puissant soit-il, un iPhone 16 Pro/Pro Max reste un appareil personnel, pas un cluster de supercalculateurs refroidis à l’azote.

À puissance locale égale, les modèles embarqués ne peuvent tout simplement pas rivaliser avec ceux d’OpenAI ou de Google DeepMind, abreuvés chaque jour par des volumes colossaux de requêtes, de textes et d’interactions humaines.

Le crawler Applebot, par exemple, respecte les balises d’exclusion utilisées par les sites web (robots.txt). Résultat : peu de données externes exploitables. Pour compenser, Apple aurait misé sur des techniques d’entraînement synthétique en analysant localement des fragments d’e-mails, sans que ces données ne quittent l’appareil. Un choix cohérent avec la philosophie Apple, mais qui, sur le plan technique, fonctionne comme un frein à main tiré en permanence. Impossible d’atteindre la vitesse des géants de l’IA quand on refuse d’utiliser les mêmes autoroutes de données.

La firme multiplie les pistes pour rester à flot. Intégration de ChatGPT, discussions avec Perplexity AI, développement d’un chatbot interne jugé « équivalent à GPT-4 » selon des cadres. L’idée serait de renforcer Siri et de se préparer à une éventuelle rupture du contrat lucratif qui fait de Google le moteur par défaut de Safari : un accord désormais dans le collimateur des autorités de régulation.

Chez Cupertino, l’IA est devenue un sujet trop visible pour être ignoré, mais encore bien trop sensible pour être assumé pleinement. D’où cette gymnastique maladroite à laquelle nous assistons depuis près d’un an : montrer sans trop exposer, annoncer en grande pompe sans rien nous livrer et repousser en maintenant la communication. Et maintenant, tout cela porte un nom : Apple Intelligence.

  • Apple peine toujours à concrétiser ses ambitions en intelligence artificielle, malgré des annonces répétées et des démonstrations soigneusement mises en scène.
  • En interne, le projet est ralenti par des tensions organisationnelles, une stratégie morcelée et une approche prudente des données.
  • Résultat : la firme avance à contretemps face à ses concurrents, prisonnière de son modèle fermé et de sa culture du secret.
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