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Prospective

DADVSI : un boomerang…

La plupart des mesures de la loi dite DADVSI ont été commentées. Et si les dispositions relatives à l’interopérabilité étaient en définitive tout simplement protectionnistes, et au final contre-productives?

Boro

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Le soulagement prévalait mardi après-midi à l’Assemblée, on avait bien joué à se faire peur mais pour finir, les dangereux indiens collectivistes en auront été – comme il se doit – déc… du moins écrasés sous le nombre : le projet de loi relatif au Droit d’Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l’Information (DADVSI) a en effet été adopté le mardi 21 mars 2006 à l’Assemblée Nationale, par 296 voix pour et 193 contre.

Parmi les supporters du très controversé projet, on ne trouve d’ailleurs que la majorité UMP de l’Assemblée, l’ensemble des députés PS, PC et Verts ainsi que la majorité des inscrits de l’UDF ayant voté contre, tout comme une poignée d’UMP ayant été au bout de leur opposition à l’image de Nicolas Dupont-Aignant ou de Christine Boutin. Présenté selon la procédure d’urgence, la loi ne bénéficie donc pas des navettes ordinaires entre Assemble Nationale et Sénat – ce dernier devant être semble-t-il saisi au mois de mai – le texte devant être ensuite adopté à l’issue d’un compromis en commission mixte paritaire… avant l’examen probable par le Conseil Constitutionnel, le Parti Socialiste ayant d’ores-et-déjà annoncé sa détermination à déposer une saisine, sans se prononcer pour autant sur une éventuelle abrogation de la loi dans l’éventualité de son retour aux affaires…

Un projet particulièrement crétin

Peu de textes législatifs auront été aussi mal ficelés et présentés à la représentation nationale dans un amateurisme aussi flagrant. Au total, il aura été voté par moins de 50% des 577 députés élus au Palais Bourbon, dans le scrutin le plus serré de la législature. Rappelons-en les grands traits :

• la loi institue de nouvelles exceptions au droit d’auteur, pour les copies provisoires de type “cache” liées à la technique d’internet, les adaptations d’œuvres à destinations de personnes handicapées, les bibliothèques, archives et musées, et pour finir la presse.
• des sanctions “graduées” sont instaurées à l’encontre des différents “profils” de contrevenants : amende de 38 euros pour le téléchargement pour son usage personnel – voire 150 euros s’il s’accompagne de “partage” – amende de 750 euros pour la détention ou l’utilisation d’un logiciel de contournement des Mesures Techniques de Protection, 3 750 pour le petit curieux qui s’y attèle dans son coin, et 6 mois de prison et 30 000 euros d’amende pour le “pourvoyeur” desdits moyens de contournement, la “chasse” aux contrevenants étant du ressort d’une unité spécifique de la Police Nationale, constituée spécialement à cet effet…
• la copie privée est confiée à l’appréciation d’un collège de médiateurs, également chargé d’arbitrer les litiges entre utilisateurs et ayants droits. L’exercice de la copie est désormais limité par le détenteur des droits, grâce à des Mesures Techniques de Protection, la contrepartie étant que ces MTP ne peuvent théoriquement empêcher l’utilisation normale de l’œuvre sur le support de son choix : l’interopérabilité entre les différents formats de fichiers et leurs MTP devient – en principe – obligatoire…

Outre la sottise qui a consisté à se priver de la source de revenus supplémentaires pour la création que pouvait représenter une licence de téléchargement rémunérée dans un secteur où les dépenses des ménages ont visiblement atteint un palier, pour la remplacer par un régime d’amendes dont le Trésor sera seul bénéficiaire, on notera pêle-mêle quelques incohérences dans un texte qui en comporte beaucoup, et dont tous s’accordent sur le fait qu’il a cédé au moindre des caprices des industriels de la filière musicale et celle du cinéma, et du contenu au sens large, allant jusqu’à intégrer un amendement directement écrit au sein de Vivendi Universal :

• le soin scrupuleux affiché par le ministre à l’égard du respect des droits des auteurs s’arrête apparemment avec l’exception accordée aux groupes de presse et à l’enseignement et la recherche qui a fait monter au créneau journalistes et photographes, lesquels avaient manifesté en masse leur opposition au projet ;
• les “sanctions graduées” sont considérées de l’avis général comme peu dissuasives pour les simples usagers du téléchargement, et vont “criminaliser” les réseaux d’échanges, en les contraignant à “s’enfouir” dans des pratiques de type “WareZ”, avec tous les risques que cela comporte pour les utilisateurs ;
• le règlement des litiges est confié à un “collège”, à la fois espace de conciliation et instance civile habilitée à prononcer des sanctions : difficile de faire mieux dans le mélange des genres ; si le contournement des Mesures Techniques de Protection est lourdement sanctionné pour un usage personnel ou des échanges, elle est en principe autorisée à des fins de recherche ou d’interopérabilité : la membrane entre les 2 catégories est trop perméable pour ne pas donner matière à futurs imbroglios juridiques ; les prestataires de MTP et les maisons de disques ont échappé à un sous-amendement engageant leur responsabilité dans le cas où celles-ci entraîneraient des dommages au matériel des “consommateurs”, comme dans l’affaire du rootkit de SONY-BMG, par exemple : les petits curieux qui risqueront l’embastillement pour crime de lèse-DRM apprécieront sans-doute…

L’interopérabilité pour favoriser… la concentration !

Mais là où la stupidité ministérielle touche au sublime, c’est quand le texte accède à la vieille requête des industriels du contenu et des distributeurs en ligne concurrents d’Apple, en imposant l’interopérabilité entre les différents DRM – c’est à dire en clair faire sauter le verrou FairPlay qui protège l’accès à l’iPod – empêchant ainsi selon toute vraisemblance un éventuel nouveau-venu de faire prospérer une solution innovante et originale à l’abri de son système de DRM, comme le petit Poucet qu’était iTunes Music Store voici à peine 3 ans ; il met en place les conditions pour que la compétition entre les différentes solutions qui aurait théoriquement du profiter au consommateur se limite en fait à un face-à-face entre les 2 acteurs qui atteint une “masse critique” susceptible d’attirer à eux la grande majorité des clients d’un nouveau marché à peine émergent, avec à terme la domination d’un “super-champion” :

• Apple qui peut s’appuyer sur la montée en puissance de l’iPod sur le marché hexagonal – 2 ans après les États-Unis et 1 an après le marché britannique – pour drainer vers l’iPod les fichiers vendus par ses concurrents, mais aussi sur les Mesures Techniques de Protection les plus avantageuses du marché, et le catalogue de loin le plus important avec 2 millions de titres pour continuer à faire la course en tête avec son music store et pourquoi pas atteindre les 70 à 80% des parts de marchés états-uniennes ou britanniques.
• Microsoft qui peut compter sur la nébuleuse des concurrents de l’iPod comme sur les principaux challengers du Music Store – VirginMega.fr et FnacMusic.com – qui tous utilisent sa solution Windows Media Player déjà présent sur 90% des ordinateurs de la planète…
A cet égard, votre serviteur serait curieux de connaître la réaction au sein des Commissaires Européens, quand ceux-ci se sont rendu compte que le ministre français rendait de fait obligatoire le téléchargement sur les ordinateurs français d’un lecteur WMP qu’ils ont actuellement toutes les peines du monde à [obliger Microsoft de retirer] de Windows proprement dit, [“lou ravi” de la rue de Valois sabotant ainsi la procédure anti-trust engagée par la Commission depuis maintenant plusieurs années]…

Une tradition bien française

Le communiqué d’Apple (voir la dépêche du 22 mars) n’est donc pas une forfanterie : même s’il reste toujours possible, le retour dans la course de Sony ou de tout autre acteur avec une solution originale serait rendu singulièrement compliqué par ces conditions propres à la constitution prématurée d’un monopole de fait, si du moins le texte devait rester en l’état. Celui-ci se voulait pourtant clairement un costard contre les “multinationales” (celles du disque?), taillé sur-mesures au bénéfice des industriels du contenu avec lesquels la Pomme est engagée dans un bras-de-fer permanent, au premier rang desquels on compte le français Vivendi (Universal) mais aussi ses rivaux au chapitre de la musique en ligne VirginMega et FnacMusic, filiales des groupes par ailleurs proches du pouvoir Lagardère Group et Pinault Printemps Redoute.
Ces derniers avaient d’ailleurs effectué au premier jour de la discussion du texte des démonstrations de leurs services respectifs aux députés, dans les couloirs du Palais Bourbon grâce à des badges du Ministère de la Culture, distribuant généreusement des cartes de téléchargement… avant de finir par se faire expulser (voir la chronique du 26 décembre 2005)

Le ministre Donnedieu de Vabre s’est déclaré fier de son texte et des débats que celui-ci a suscité, convaincu qu’une fois de plus notre cher et vieux pays allait donner une leçon de Lumières et d’universalisme à la Terre entière reconnaissante… avant de finir par lâcher le morceau, après s’être sans-doute difficilement contenu pendant toutes ces semaines, le texte devant selon le ministre préserver “l’avenir de la création française“, étant “de notre devoir de protéger notre potentiel culturel exceptionnel“.
Exception culturelle, patriotisme économique et traditionnelle proximité entre élites politiques et économiques se trouvaient une fois de plus convoqués pour décider de ce qui est bon ou pas pour le consommateur… exactement de la manière où ce qui fut un temps bon pour General Motors était bon pour les États-Unis… VirginMega ne s’y est guère trompé en annonçant le soir même pour la mi-avril “la seule offre française totalement intégrée de téléchargement musique et vidéo” (voir la dépêche du 21 mars)… oubliant un peu vite que c’est le cas du Music Store français depuis le 12 octobre 2005…

Difficile en l’espèce de trancher de ce qui est le plus crétin du texte lui-même, de la façon dont les débats ont été conduits depuis la présentation du texte à la cloche de bois un 20 décembre en séance nocturne, ou de la bêtise auto-satisfaite des commentaires du ministre. Comme d’habitude, un peu des 3 sans-doute, et c’est bien là le plus triste…

Le texte adopté en première lecture
Associated Press
– Voir aussi Le chiffon rouge de la licence globale
Un fiche sur le Warez sur Wikipedia
Renaud
Création française…