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Édito

Apple, moteur de l’Évolution?

Depuis le début de l’année, les indices s’accumulent autour de la montée en puissance du potentiel d’Apple, et surtout d’une redéfinition de ses objectifs stratégiques. Mais peut-être avant tout, ces signes laissent-ils penser qu’elle a désormais les moyens de devenir acteur majeur de notre vie numérique, pour la décennie à venir, en obligeant ses partenaires, puis le secteur à changer leurs pratiques…

Boro

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Semaine après semaine depuis le début de l’année, les indices s’accumulent autour de la montée en puissance du potentiel d’Apple, et surtout d’une redéfinition de ses objectifs stratégiques. Les moyens dont elle dispose à présent la mettent en position de regagner une place qu’elle n’avait guère occupé que durant les premières années qui ont suivi sa création. Mais peut-être avant tout, ces petits signes laissent-ils penser qu’elle a désormais les moyens de devenir l’un des acteurs majeurs de notre vie numérique, pour la décennie à venir. Au moins. En obligeant ses partenaires, puis le secteur dans son ensemble à changer ses pratiques.

Passons sur les annonces faites lors de la dernière Macworld Conference & Expo, elles ont signé à l’évidence les ambitions que nourrit Apple vis-à-vis du salon de M. et Mme Tout-le-Monde, et au delà sur l’ensemble de leur domicile au sein duquel vont circuler de plus en plus des contenus dématérialisés, entre ordinateurs, borne Airport Express et Apple TV, en attendant probablement de voir l’iPhone se transformer tour à tour en soliste ou en chef d’orchestre de ce vaste concert, selon les situations. Le changement de nom de la société, Apple Inc. débarrassé de sa chrysalide Computers, signifie à quel point la société de Cupertino – qui n’aime rien tant que souligner combien elle a révolutionné les différents secteurs auxquels elle s’est consacrée – se déclare prête désormais à investir n’importe quel segment de l’électronique grand-public où elle estimera pouvoir peser significativement sur la dématérialisation des contenus (voir la chronique du 7 février).

Cela va bien plus loin d’ailleurs que la façon dont tout-un-chacun a maintenant accès aux contenus de la dématérialisation, musique dans le monde entier en attendant bientôt la vidéo et le cinéma avec l’iPod, iTunes Store et l’Apple TV : à chaque fois qu’Apple met le pied dans un secteur où la tornade de la dématérialisation modifie radicalement le paysage, elle n’a de cesse d’obtenir des industriels du contenu qu’ils modifient leur modèle industriel, en adoptant des pratiques, sinon tout à fait vertueuses, du moins plus acceptables pour le client final.

Ce fut le cas pour les Majors du disque, qui n’ont qu’à contre-cœur en partie lâché prise, et à qui Steve Jobs vient d’administrer une piqûre de rappel au sujet des DRM (voir la chronique du 6 février), avec apparemment peu de résultats. Que ce soit comme le Wall Street Journal a cru le savoir Alain Levy l’ex-n°1 de EMI qui ait suggéré à Steve Jobs, avant d’être débarqué (voir la dépêche du 10 février) importe peu ; c’est bien Steve qui a été considéré comme le plus efficace pour rappeler la réalité que nul n’ignore d’ailleurs à l’ IFPI : les DRM sont un frein au développement de la musique en ligne.
C’est également le cas pour ce qui est de la vidéo et du cinéma : même si les studios ne sont pas encore prêts à renoncer à la maîtrise absolue de leur production – la déconstruction de leur modèle vient à peine de commencer – ils sont de plus en plus nombreux à accepter un compromis pour figurer au catalogue de l’iTunes Store.

Et si l’on en croit le Wall Street Journal – encore lui – c’est une nouvelle fois Apple qui a redéfini non seulement le partage des tâches, mais également le modèle économique qui va régir le fonctionnement de l’iPhone avec ses opérateurs de part le monde. Alors que jusqu’à présent c’étaient les opérateurs de téléphonie mobile qui définissaient un cahier des charges strict pour les fabricants de téléphones cellulaires, en contrôlant pratiquement tous les détails depuis leur conception, Cingular, le n°1 américain de la téléphonie cellulaire s’était entendu dire qu’ils ne comprendraient jamais Internet et l’industrie du divertissement, à la manière dont Apple pouvait le faire… Moyennant quoi, une fois le cahier des charges mis au point en commun, c’est Apple qui a pris à son compte la définition et la création des fonctions intelligentes de l’iPhone, Cingular se cantonnant à un simple rôle de prestataire de service, en fonction des recommandations d’Apple… Et cerise sur le gâteau, l’opérateur devrait reverser La Pomme des royalties sur le chiffre d’affaires généré par l’iPhone, toujours selon le bmême Wall Street Journal…

Or Apple ne s’en tiendra probablement pas là. Lors du colloque sur l’avenir des technologies de l’information dans l’éducation organisé à Austin et où il a participé en compagnie de son vieux rival Michael Dell (voir la chronique du 19 février), Steve Jobs n’a pas seulement envoyé une volée de bois vert à l’encontre du système scolaire public américain. Il a surtout livré sa vision d’une école du futur débarrassée de ses pesants livres de classe, et où les connaissances seront disponibles à travers le réseau et constamment remises à niveau par des experts, à la manière de Wikipedia. Les éditeurs habitués à se partager chaque année la manne des manuels scolaires, comme l’étaient les industriels du disque durant les années 90, sont désormais prévenus : ils vont devoir changer rapidement, et leur façon de travailler, et leur modèle économique…

Mais le plus drôle, c’est qu’Apple pourrait fort avoir été prise à son propre jeu par plus innovante qu’elle… Lors de l’annonce de l’accord intervenu entre Cisco et Apple à propos de leur différent sur le nom iPhone (voir la dépêche du 22 février), tout le monde ou presque a souligné la disproportion entre les deux sociétés : Cisco Systems pèse en effet 167 milliards de dollars de capitalisation boursière, contre 76 milliards pour Apple. Ce que l’on sait beaucoup moins, c’est que la façon dont Cisco Systems est gérée et la façon dont elle a su rester à la pointe fait l’admiration de toute la Silicon Valley. C’est même la société de Santa Clara qui a très largement servi de modèle à Apple pour sa véritable résurrection, grâce à elle que La Pomme a appris à ne plus se disperser et à non seulement mobiliser ses ressources sur son noyau d’innovation, mais également à se différencier de ses compétiteurs le plus efficacement possible.

Dans ses conditions, comment interpréter que Cisco ait donné l’impression de laisser échapper le nom iPhone (voir la dépêche du 13 janvier), qu’elle avait pourtant récupéré dans son escarcelle dès 2000 avec le rachat de Infogear? On peut tout de même se demander qui avait le plus besoin de cet accord…
Confronté à une concurrence accrue sur le terrain des équipements lourds, Cisco a depuis peu investi le segment des réseaux domestiques et des appareils électroniques pour les particuliers. C’est précisément le domaine où Apple possède un atout unique, grâce à iTunes, OS X et à Apple TV. A contrario, l’offre d’Apple n’est pas assez “globale” lorsqu’il s’agit de répondre à de gros appels d’offre, comme ce fut le cas pour le plan Wi-Fi pour les Universités françaises par exemple. L’accord de coopération et d’interopérabilité passé entre les deux sociétés, pourrait bien avoir pour conséquence de forcer Apple elle-même à de meilleures pratiques… ou du moins à l’aider à ne pas céder à la tentation d’un splendide isolement. L’arroseur arrosé en quelque sorte ? :langue

Wall Street Journal