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Interview

Table Ronde avec Cazeneuve

Calmusac

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Les sites Mac francophones du Pommier et nous-mêmes étions conviés aujourd’hui même à une table ronde avec Jean-René Cazeneuve. Voici donc le compte-rendu d’un entretien bon enfant, qui s’est déroulé dans une ambiance cordiale, avec d’un côté le PDG d’Apple France, heureux de rencontrer d’actifs défenseurs du Mac, et lesdits défenseurs, respectueux des adages, dont celui qui veut que “qui aime bien, châtie bien”.

L’entretien commence tout naturellement par les échanges d’impressions sur la fréquentation de l’Apple Expo. Sans pouvoir naturellement avancer d’ores et déjà de chiffre, Apple a indiqué avoir, pour les trois jours passés, avoir mieux fait qu’il y a deux ans. De même, le nombre de pré-inscrits est supérieur à celui de l’Apple Expo 2000, mais inférieur à celui de l’an dernier. Dans son ensemble, l’Apple Expo a perdu son caractère de foire informatique Mac[[« Un souk que je ne regrette pas », indique Lionel, de MacBidouille.]] pour revêtir des atours davantage aptes à séduire les professionnels. C’est, selon Cazeneuve, la conséquence d’une évolution très nette de l’offre d’Apple, qui n’a rien à voir aujourd’hui avec le fameux « carré magique » d’il y a deux ans, dépassé désormais. « Un système Unix implique une orientation plus “entreprise”, notamment avec des produits comme le Xserve […] et l’arrivée symbolique d’Oracle », indique le PDG d’Apple France. Par ailleurs, l’aspect professionnel de l’Apple Expo est renforcé par un « parcours-solutions » accentué par rapport aux précédentes éditions.

Dans un sympathique désordre, les questions fusent ensuite sur la gamme Apple actuelle, les soucis de puissance des machines et le « flou des perspectives » de Cupertino, qui semble au coeur des préoccupations. Cazeneuve indique qu’il ne faut pas confondre plusieurs choses, nombre de facteurs entrant en compte. Premièrement, la disponibilité des produits est, selon Apple, en amélioration. Ensuite, le mégahertz n’est vraiment plus la donnée pertinente ni le facteur décisif dans l’achat d’un ordinateur. « Si le couple Wintel est en panne aujourd’hui, c’est parce que tout le monde se moque des mégahertz. Le hub numérique, lui, est une vraie motivation d’achat », indique-t-il, avant de poursuivre que les geeks[[Ici au sens d’utilisateurs avertis, friands des dernières nouveautés et avides de puissance.]] ne sont pas la cible privilégiée d’Apple. Le marché visé est clairement celui d’une utilisation courante, familiale, de l’ordinateur. Dans cette optique, le patron d’Apple France ne pense pas qu’il soit « de plus en plus difficile de défendre [la cause d’Apple] ». Pourtant il reconnaît qu’Apple a peut-être un peu négligé les marchés de niche que représentent les créatifs de tous poils, et notamment les musiciens [[L’écrasante majorité des logiciels de musique fonctionnent encore uniquement sous Mac OS 9.]], sévèrement éreintés ces derniers mois : « nous avons peut-être en effet considéré que ce marché tiendrait le choc », annonce-t-il, en faisant ainsi allusion à la nouvelle politique très grand-public d’Apple. A cet égard, Cazeneuve confirme que le pli est pris. Le marché d’Apple, aujourd’hui, est le grand-public. Maintenant qu’elle a retrouvé une sorte de santé financière qui lui permet de « se porter plutôt bien dans un marché de vents contraires », Cupertino est au point de devoir lancer des campagnes généralistes, impliquant notamment son passage sur les écrans de télévision. Étant donné que les segments de marchés ont désormais passé le nombre critique usuel, la télévision devient le meilleur média de communication d’Apple.

De même que Thomas Lot il y a deux ans sur l’antenne de Radio MacPlus, Jean-René Cazeneuve s’est exprimé sur les réseaux de distribution d’Apple. Le webmaster de MacMusic ayant souligné la difficulté, inconcevable, qu’il y a à acheter un Mac chez certains revendeurs spécialisés, le patron d’Apple France a souligné le « problème de mentalité chez les revendeurs ». Prenant l’exemple du prix d’une machine il y a dix ans et la marge des revendeurs [[Pour simplifier, disons 30% sur une machine à 30 000 FF.]], et la réalité du marché d’aujourd’hui[[Suivant la même simplification, une marge de 10 à 15% sur un prix de vente de 10 000 FF.]], il affirme que « le modèle économique de la distribution doit changer ». Ce qui n’était pas concevable il y a dix ans parce que totalement incongru vue la marge devient désormais une nécessité. Les revendeurs doivent facturer des services. Et d’annoncer qu’Apple a décidé, quant à elle, de changer son système. Alors qu’actuellement les produits sont vendus au même prix à tous les revendeurs, à partir du premier octobre de cette année Cupertino rémunérera les réseaux de distribution selon la valeur ajoutée qu’ils impulsent ! Il s’agit tout bonnement d’une inversion de la mécanique, déjà commencée avec Ingram. La “marge frontale” sera nettement diminuée, afin de pouvoir mieux payer en compensation la “marge arrière” des produits suivant différents critères d’évaluation, comme la qualité de service et plus globalement la valeur ajoutée du revendeur sur les produits Apple. Certes, cela ne fera pas plaisir à tout le monde[[Dans un tel système, les prix seront plus difficiles à casser.]], mais Cupertino souhaite ainsi récompenser, en quelque sorte, les revendeurs les plus impliqués sur sa marque. Détail non négligeable, les grossistes seront, sur ce plan, logés à la même enseigne que les revendeurs. Un tel système, on le conçoit, a pour but de motiver les revendeurs à faire leurs meilleurs efforts pour vendre du Mac, même si l’on peut craindre en conséquence une hausse des prix (qui profiterait éventuellement à l’AppleStore, celui-ci n’ayant aucune concurrence à suivre sur ce terrain). Quant au succès d’un tel revirement, Cazeneuve a indiqué que « c’est à l’implémentation qu’on verra la viabilité du système ».

Changer un système de distribution est une chose, la couverture du territoire est son corrolaire incontournable. A cet égard, le patron d’Apple France reconnaît que celle-ci n’est pas excellente, et pénalise en quelque sorte la société : « Imaginez un toulousain qui voudrait, suite à une publicité, voir un iMac… bon courage ! ». C’est là ce qui motive deux aspects de la communication et de la stratégie “locale” d’Apple. Premièrement, le fer de lance que peut constituer l’iPod à l’assaut du bastion Windows [[« Je crois que le premier Mac de nombreux utilisateurs de PC sera un iPod », a indiqué Jean-René Cazeneuve.]], par l’évocation du hub numérique qui lui est intrinsèque, pousse Apple à investir des endroits traditionnellement dévolus aux seuls PC. Comme l’indique clairement le patron d’Apple France, « il faut qu’on aille là où sont les utilisateurs de Windows, donc pas nos bons vieux Apple Center ». Et à ceux qui pensent que l’iPod est un élément mineur de la gamme Apple, Cazeneuve retorque que, d’ores et déjà sur un plan économique, l’appareil « se suffit à lui-même ». Apple France souhaite donc améliorer son réseau de couverture, en donnant de bonnes raisons aux revendeurs de choisir son matériel, face notamment à la concurrence des VPCistes.

Pour autant, il est peut-être encore un peu tôt pour implanter des AppleStores partout en Europe. « Le concept d’AppleStore est quasi-industriel, c’est du business lourd », indique Jean-René Cazeneuve, parce qu’il nécessite notamment un personnel ultra-spécialisé, et que s’il est difficile de trouver un Mac en France, il est également « difficile de trouver quelqu’un qui vous explique en quoi Mac OS X est supérieur à Windows XP »[[A ce sujet, les campagnes de recrutement d’utilisateurs avertis et passionnés de Mac, dans le but de promouvoir Apple sur des salons ou lors de démonstrations, vont très nettement s’intensifier.]].
La fameuse campagne publicitaire “Switch” par exemple, a un réel sens aux États-Unis parce qu’elle répond à des critères culturels et n’est pas entravée par une couverture nationale erratique. C’est ce dernier aspect notamment qui provoque l’hésitation de son adaptation en France. Pourtant la volonté est bien réelle chez Apple de faire “switcher” l’Europe, les priorités d’Apple aux USA comme dans le reste du monde étant les mêmes. Le message paraît clair, Apple communiquera plus fort lorsque son réseau de distribution et sa couverture locale seront efficaces ; si l’on communique sur des produits trop difficiles à trouver, on ne fait que perdre de l’argent.

La table ronde ne l’aurait pas été sans boucler la boucle, c’est-à-dire en revenant aux questions de processeurs, et en posant notamment celle relative aux rumeurs d’abandon du PowerPC pour Apple par Motorola. Question à laquelle le patron d’Apple France a simplement répondu : « La migration sur OS X nous ouvre des possibilités que nous n’avions pas auparavant ». Et quant à savoir si la date du premier janvier 2003 comme abandon clair et définitif de Mac OS 9, par l’impossibilité pour les machines de démarrer sur ce système, impliquait l’arrivée d’une nouvelle gamme, la réponse fut laconique : « Vous savez bien qu’on n’annonce pas les produits à l’avance, c’est culturel chez Apple ». Faites-en donc ce que vous voulez, chers lecteurs.