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Interview

AppStore : le champ des possibles

Annoncée en catimini un jeudi soir, la possibilité d’intégrer des boutiques au sein d’applications gratuites vient pourtant bouleverser tout un pan de la jeune économie de l’AppStore. Retour sur cette annonce avec quelques développeurs français.

iMike

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L’intégration de boutiques directement au sein d’applications est une fonctionnalité liée au firmware 3.0, et qui permet dans l’exemple d’un jeu, d’acheter du contenu supplémentaire, de nouveaux niveaux, des armes, et tout ce qu’on peut imaginer. Le diable se nichant dans les détails, seules les applications payantes pouvaient intégrer ce système de micro-paiements, ce qui en rendait difficile le déploiement.

Un modèle complexe

Certains studios ont déployé des trésors d’ingéniosité commerciale afin de pousser les acheteurs vers le logiciel payant, comme par exemple Ave!Comics avec Bludzee, les aventures quotidiennes d’un chat dessinées par Trondheim. Le studio a du mettre en place une tarification complexe afin que les amateurs fassent chauffer la carte bleue : l’achat de l’application (0,79 euro) donne ainsi droit à un mois de BD gratuit, puis on peut s’abonner mensuellement ou s’offrir la saison annuelle… Sans compter la déclinaison Lite, qui ne donne l’accès qu’au mois d’août afin d’attirer les méfiants, qui, s’ils sont finalement intéressés, devront repasser par l’AppStore pour s’acquitter de la version payante. Plusieurs développements et un modèle complexe à mettre au point, alors qu’il aurait été plus simple de proposer directement une seule application gratuite avec accès payant et à la carte aux strips de Trondheim.

Autre exemple, celui de Tap Tap Revenge 3 : alors que les deux précédentes versions de ce célébrissime jeu de tapotage musical étaient proposées gratuitement, ce qui a fait une grande partie de son succès, l’intégration (assez logique pour un jeu de ce type) d’une boutique de musique a poussé Tapulous à tarifer la troisième version (0,79 euro)… Pas sûr que le succès ait été au rendez-vous, car pourquoi payer pour un jeu qui propose les mêmes mécanismes et les mêmes sensations que ses prédécesseurs gratuits ? Il se murmure d’ailleurs que Tapulous pourrait prendre la balle au bond et proposer gratuitement son Tap Tap Revenge 3. Reste à faire passer la pilule à tous ceux qui l’ont déjà acheté…

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Au sein des développeurs français, cette initiative soulève l’enthousiasme, à commencer par Florent Morin (Kaeli Soft, auteur de My Battery 2, Histoire de France…) : «Si demain je propose une application payante, elle n’intéressera peut-être pas car l’utilisateur s’imagine que les applications similaires gratuites ont des fonctionnalités équivalentes. Là, l’utilisateur peut utiliser l’application comme une application gratuite et s’il a besoin d’aller plus loin il achète les fonctionnalités supplémentaires».—–

Vincent Dondaine (Bulkypix, auteur de MyBrute) va encore plus loin, en n’hésitant pas à parler de «révolution» : «Nous pensons que c’est une chance à la fois pour le joueur et le développeur. Les joueurs vont accéder massivement aux jeux à venir, et ne payer que si et seulement si la qualité et l’innovation est au rendez-vous. Nous assisterons sous peu à la disparition des versions Lite qui n’ont plus de raison d’exister, puisque le joueur satisfait pourra directement acheter le contenu global au sein même de son jeu. C’est aussi à terme la disparition potentielle des jeux à 0,79 €».

«Une réponse d’Apple face aux applications pirates»

Matthieu Thouvenin (Crist Drive, auteur de Serenade et Voilà!) se montre lui plus surpris par cette initiative d’Apple : «Apple avait été plutôt stricte sur ce sujet dès le début: “Ce qui est gratuit reste gratuit”». Il ajoute que l’augmentation des applications Lite accolées aux applications payantes a du faire changer Apple d’avis. Yoann Gini (auteur de RapidBlindTest) ajoute que les boutiques à l’intérieur d’applications payantes ne répondaient qu’à un certain type de besoins, d’où le peu de retombées de cette fonctionnalité.

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Julien Dufrenne (iSmileys, auteur de Super MasterMind, Klotski, etc.) indique de son côté que cette «possibilité est très intéressante et arrive à mon sens un peu trop tard surtout pour des applications telles que Tomtom par exemple… L’application aurait pu être gratuite puis le choix des cartes payantes». Il a en particulier l’impression qu’il s’agit d’une réponse d’Apple face aux applications pirates, la gangrène de l’AppStore.

Cette fonctionnalité est moins pertinente pour Sébastien et Julien de Juncode (auteurs de Junsampler, myMusic Quiz…), car «pour l’instant nous n’avions pas d’applications concrètes reposant sur ce concept». Toutefois, ils pointent tous deux qu’il pourrait s’agir là du premier clou planté dans le cercueil des applications Lite.

Luc Vandal (Edovia, auteur de TouchPad, Linguo, etc.) est plus sceptique : «Le “free+” est surtout avantageux pour les revendeurs de contenus. On donne l’application gratuitement car elle ne sert que de plateforme pour accéder à du contenu payant. Sinon, certains types de jeux peuvent y trouver leur compte. On donne le premier niveau gratuitement et on passe par la boutique pour acheter les niveaux suivants». C’est en effet difficilement possible quand on développe des applications offrant une fonction en particulier, comme c’est le cas de TouchPad.

«Un outil 100% adapté à ses besoins»

La transition est toute trouvée pour évoquer les projets des développeurs en lien avec cette nouvelle possibilité. Florent Morin évoque ainsi un client Twitter «évolutif», qui «serait gratuit pour les fonctionnalités de base, mais payant pour les fonctionnalités étendues. L’idée est vraiment que chacun puisse avoir un outil 100% adapté à ses besoins sans pour autant payer pour des fonctionnalités qui ne l’intéressent pas».

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Matthieu Thouvenin indique lui que des fonctionnalités «premium» pour Serenade sont prévues : «Dans les préférences de l’application il sera possible de voir les fonctionnalités proposées, et de les ajouter à votre application. Un peu comme une sorte d’AppStore dans notre application, a bien moindre échelle». De façon plus générale, les boutiques gratuites lui permettent d’approfondir le développement de cette application, car auparavant il avait «plutôt abandonné l’idée de les réaliser sans plus de revenus derrière». Julien Dufrenne y voit lui aussi la fin des applications Lite… et des siennes en particulier ! De plus, son prochain jeu, basé sur des mots, offrira de télécharger différentes dictionnaires.—–

Sans surprise pour un éditeur de jeux, Vincent Dondaine indique être «très intéressé par cette possibilité et dans les semaines qui viennent vous verrez notamment deux jeux Bulkypix incluant des “shop” avec de nombreuses options, packs d’éléments additionnels ou encore des modes de jeux supplémentaires disponibles à l’achat», et précise : «C’est une nouvelle façon de consommer les jeux sur iPhone qui va rapidement s’imposer».

Yoann Gini acquiesce : les éditeurs de jeu seront les premiers à se précipiter sur la fonction, mais il estime qu’«il va y avoir des possibilités bien plus intéressantes telles que la vente de thèmes graphiques pour une application gratuite par exemple ou encore, et ça je pense que nous allons vite en avoir, des journaux et autres blogs qui vont proposer un lecteur type LeMonde.fr avec une partie publique pour lire les news et une version privée sous abonnement pour accéder à plus de services». Il donne également l’exemple du TF1 Player qui pourra donner un accès gratuit pendant 3 mois, puis «des tickets d’abonnements à l’année». Il est clair que cela ouvre le champ des possibles.

Un modèle économique bouleversé

Chez Juncode, on indique qu’«il s’agit d’une nouvelle possibilité que nous prendrons en compte pour nos prochaines applications si elles s’y prêtent. Cela ouvrira la voie à certaines applications tirant partie de ces achats intégrés réguliers et qui devaient jusqu’à maintenant être vendues 0,79€». Luc Vandal aimerait lui pouvoir proposer des démos limitées dans le temps, mais c’est hélas encore impossible (et c’est le dernier verrou à faire sauter !) – toutefois, son prochain jeu en développement, Warships, pourrait venir avec une boutique.

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Pour voir plus loin question perspective, ce changement de paradigme va pousser certains studios à modifier leur modèle économique.

Vincent Dondaine estime que cela va ouvrir «de nouvelles perspectives en dehors du cercle des jeux à 0,79€, car peu de personnes l’ont dit ouvertement mais à ce niveau de prix il est très rare de pouvoir gagner de l’argent. C’est d’ailleurs pour cela que Bulkypix n’a pour ainsi dire pas proposé de jeu à 0,79€ à leur sortie, préférant le contenu et la qualité». Il précise que les joueurs se sont habitués à ce niveau de prix, mais c’est aussi à ce prix-là que «les jeux qu’ils aiment [vont] disparaître, car la créativité, l’innovation et la qualité demandent des efforts importants. Et là il n’y a pas de mystère, nous ne sommes pas passés par magie de jeux autour de 30 euros sur des consoles comme la DS à des prix si bas». Les joueurs seront-ils prêts à entendre ce discours ?

Le discours est identique pour Matthieu Thouvenin et Florent Morin, qui ne font pas mystère que cette possibilité ouvre des portes. Du côté de Matthieu, on estime même qu’elle «motive a faire des fonctionnalités plus poussés dans une application gratuite».

En bref, les développeurs se montrent dans l’ensemble ravis qu’Apple ait pris cette initiative, mais qu’il reste tout un modèle économique à bâtir autour de cette possibilité, désormais plus ouverte. La période des fêtes devrait être à cet égard riche en enseignements !

Kaeli Soft

Yoann Gini

iSmileys

Juncode