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Événement

Steve a repris sa route

Boro

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Par

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C’est fini. Le créateur de la célèbre firme à la pomme ne partira plus pour de discrètes escapades, à l’angle de Lombard et de Van Ness : après des mois de lutte contre la maladie, Steve jobs a définitivement rejoint Thomas Edison et Henry Ford au panthéon des Américains qui ont changé leur époque, et probablement le monde.

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Grand amateur de sushis, il aura également fait faire pas mal de mouron tant à ses compétiteurs – par sa capacité à les surprendre et à changer la nature même des marchés dans lesquels il pénétrait – qu’à ses innombrables supporters de par le monde, à l’occasion de ses multiples accidents de santé. Adulé par ses employés depuis son retour à la tête d’Apple, date à partir de laquelle il n’avait pas arrêté de faire mentir les pronostiqueurs, il s’était attiré également une haine tenace de la part d’un certain nombre « d’experts », de plumitifs et de folliculaires qu’il aura constamment pris en défaut, aux États-Unis mais également de ce côté-ci de l’Atlantique.

Le fils préféré de la Silicon Valley

Né en février 1955 de parents étudiants mais, abandonné à sa naissance puis adopté et élevé dans un foyer modeste de la classe moyenne et même ouvrière, il avait pu trouver un certain nombre de figures paternelles dans la Silicon Valley où Il avait grandi, au cours de la traversée du désert qui a suivi son éviction d’Apple en 85 : ce fut le cas notamment auprès de Andrew Grove ou de Bob Noyce, deux des fondateurs d’Intel. Pur produit de la contre-culture américaine des années 60, il n’en était pas cependant à une contradiction-près : la présentation du Macintosh en 1984 qui allait révolutionner l’usage de l’informatique devant les actionnaires d’Apple donne ainsi lieu à une violente diatribe contre l’informatique institutionnalisée symbolisée par IBM, le jeune Steve jobs déclamant une strophe entière de The Times they are a changin’

Coiffé d’une double casquette d’entrepreneur et de visionnaire technologique, Jobs aura su saisir l’opportunité de ce qui n’était au départ qu’un hobby partagé avec son copain Steve Wozniak, pour poser la base de ce qui allait devenir l’industrie micro-informatique telle que nous la connaissons aujourd’hui, : d’abord avec l’Apple I fabriqué de façon artisanale dans le garage des parents de Jobs à Los Altos et son successeur l’Apple II, fabriqué cette fois de façon industrielle, mais surtout le Macintosh à partir de 1984, qui sera le premier ordinateur véritablement grand public à populariser l’usage de la souris.

L’histoire d’Apple, fondée le 1er avril 1976 par deux amateurs de blagues au téléphone, sera d’abord celle d’une amitié entre deux hommes. Le destin de la société aura également failli basculer de part la rivalité qui se fera jour progressivement avec John Sculley, pourtant recruté par Jobs pour réussir le lancement du Macintosh. Brillant, porté au pinacle à l’égal d’une rockstar et à la tête d’1 milliard de dollars avant même ses 30 ans, le Steve Jobs de la première période n’aura pourtant de cesse de chercher ses limites dans des rivalités parfois homériques non seulement à l’extérieur de la société avec Bill Gates, son alter ego à la tête de Microsoft, mais également à l’intérieur avec John Sculley ou même Jeff Raskin, à l’origine du projet Macintosh.

Une vision hors du commun

Poussé vers la sortie de la société qu’il avait fondée, Jobs n’aura de cesse de rebondir : d’abord en rachetant le studio d’animation Pixar à George Lucas puis en fondant NeXT, échec entrepreneurial mais réussite technologique sur lequel il va fonder la renaissance d’Apple à partir de 1997, date de son retour effectif aux commandes de la société. Il reviendra sur cet épisode lors de son émouvant discours aux lauréats de Stanford, en juin 2005, en le décrivant comme l’une des choses les plus utiles qui lui soient arrivées de sa vie, en le forçant à se renouveler. Avec Pixar il va en effet apprendre à déléguer, avec NeXT il va prendre confiance en faisant son apprentissage d’entrepreneur de façon accélérée.

Cette renaissance va s’appuyer sur une nouvelle équipe, issue des éléments d’Apple et de NeXT, et chargée de réaliser la synthèse entre l’ADN des 2 sociétés, parmi lesquels il va nouer des amitiés solides comme avec le designer anglais Jonathan Ive avec lequel il partage la passion du design et un intérêt pour le bouddhisme zen, ou le Français Bertrand Serlet qui mènera à bien le portage de NeXTSTEP sur la plate-forme Macintosh en moins de 8 semaines…

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Après un premier élan grâce à l’iMac le premier ordinateur couleur à partir de 1998, coupé net par l’éclatement de la bulle Internet, Jobs va réussir une véritable renaissance d’Apple, basé sur 2 choix stratégiques majeurs en 2001 : le développement de l’ iPod et la mise en place progressive d’un réseau de distribution en nom propre baptisé les Apple Store. À compter de 2002, Apple enchaîne les succès et élargit sa surface à mesure qu’elle pénètre de nouveaux marchés auxquels elle apporte son savoir-faire logiciel et son souci de la quasi-perfection de l’expérience utilisateur. Viendront ainsi successivement l’iPhone, à partir de 2007, puis l’iPad en 2010 en attendant la télévision et la domotique probablement en 2012, tandis que le succès des ordinateurs à la pomme ne se dément pas.

Une métamorphose

Parallèlement, l’essor de la société n’a pas été sans soulever beaucoup d’attentes et de rancoeurs, Apple sans doute du fait de sa volonté de se positionner comme « différente » ayant été souvent prise pour symbole de la surconsommation occidentale et de l’exploitation des ouvriers chinois exposés à la pollution générée par l’industrie électronique, du fait même de l’engouement suscité par ses produits.

Cette dernière décennie avait été également marquée par les problèmes de santé, avec en particulier l’annonce de son cancer en 2004 qui avait donné lieu à un premier congé médical, suivie par l’annonce d’une transplantation hépatique en 2009 et les dernières rumeurs alarmantes qui avaient suivi l’annonce de son congé médical au début de cette année. Enfin, Steve avait annoncé la fin du mois d’août que « malheureusement » le jour était arrivé où il ne se sentait plus capable de tenir les rênes de cette société à laquelle il avait consacré l’essentiel de son existence.

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Très attaché à l’éducation, Jobs s’était démené pour faire avancer l’adoption de l’outil informatique au sein des pratiques pédagogiques, s’attachant à promouvoir un plan d’équipement informatique des écoles américaines baptisé «Kids Can’t Wait » , dès la fin des années 70. Le secteur de l’éducation représente d’ailleurs une réussite historique pour Apple, qui conserve trimestre après trimestre la première place du secteur en France et en Europe de l’Ouest, pratiquement sans discontinuer depuis 2004.

Une première fille prénommée Lisa était née hors mariage, et il avait épousé lors de sa traversée du désert Laurene Powell alors étudiante à Stanford, qui lui aura donné un fils et deux filles. Laurene Powell Jobs restait dans l’ombre mais, diplômée en économie et titulaire d’un MBA de la Stanford graduate School of business après avoir fait ses armes dans un certain nombre de banques d’affaires new-yorkaises, elle aura sans doute pris plus que sa part, à compter de son mariage en 1991, dans la fantastique métamorphose de son mari dans l’entrepreneur reconnu de tous à la tête de l’une des premières entreprises technologiques de la planète. Jamais sans doute dirigeant d’entreprise aura à ce point incarné l’essence même de sa société, grâce à son charisme et à sa passion pour la technologie.

En 2005, Jobs avait assuré le discours de fin d’année à cette même université de Stanford où il s’était livré personnellement dans une intervention qui avait beaucoup marqué. Personnalité complexe, Steve jobs laissera également l’image d’un personnage très charismatique, notamment lors de ses célèbres keynotes qui constituaient la clé de voûte d’une communication d’entreprise très maîtrisée qui avait le don de faire enrager la presse et les commentateurs.

Ses derniers mois avaient été également consacrés à garder le contact avec les utilisateurs de la marque, aux mails desquels il ne rechignait pas à répondre, laconiquement d’ailleurs.

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Une petite anecdote en forme de clin d’oeil : en juin 2005 à l’occasion de la rédaction d’un livre consacré à l’iPod, j’avais pris contact avec lui pour l’identification d’une photo en noir et blanc trouvée au fin fond du Web où tout jeune, il figurait avec Wozniak, tenant tous les deux une plaque imprimée, celle de l’Apple I. A mes questions à propos de l’origine de la photo et la demande de permission de l’utiliser, j’ai reçu pour toute réponse une question en retour : «Gilles, where did you find this pic?». il s’agissait en fait de l’image prise lors de la fondation d’Apple, 1er avril 1976. 6 mois plus tard, c’est cette photo qui clôturait la Keynote de janvier 2006.

Nos pensées vont à sa famille, ainsi qu’aux employés de la société qui lui étaient très attachés.

Lisez également notre hommage nocturne : Steve Jobs et moi.