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Édito

5 octobre 2011

Boro

Publié le

 

Par

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Après avoir enfin « monté sa boîte » comme il en rêvait, à l’âge de 21 ans, avec Woz son vieux complice de blagues de collégiens, Steve Jobs se doutait-il qu’en baptisant “ Apple ” sa société en hommage aux Beatles, il allait charger celle-ci de toute l’ambiguité que la pomme avait pu concentrer, après 4 000 ans de tradition judéo-chrétienne… et qu’il en incarnerait à lui seul une bonne part de l’ambivalence ? Difficile de ne pas répondre par l’affirmative, lorsqu’on garde à l’esprit que les 2 farceurs devant l’Eternel avaient décidé de fixer à 666,66 $ le prix de leur première machine à l’été 1976, sorte de fruit défendu de la Connaissance arraché à la toute-puissance de l’informatique des « Mainframe ».

Un an tout juste après avoir repris sa route à bord du « Grand véhicule », Steve cristallise plus que jamais sur lui cette ambiguité entretenue autour de la marque à laquelle il s’est identifié comme peu de fondateurs avant lui : « visionnaire », « géant parmi les plus grands patrons du XXe siècle » et même « pré-scient » (rien que ça), les éloges post-mortem tressés par les médias « mainstream » à l’approche du premier anniversaire de sa disparition ne sauraient faire oublier le voyeurisme malsain que les derniers mois de son calvaire avaient pu susciter chez les mêmes… ni même la part d’ombre d’un personnage de chair cet de contradictions, dont certaines faiblesses ont pu être un moment à la mesure des immenses qualités.

Au printemps 1997, à son retour aux commandes d’Apple, Steve faisait ainsi figure de Fils Prodigue, venu faire racheter NeXT sa société presqu’en faillite par une Apple quasi-moribonde. On vit la suite, et le Jobs fraîchement viré d’Apple – qui imaginait de façon enfantine en 1986 pouvoir revenir en sauveur avec NeXT qui n’existait alors que sur le papier, pour tirer d’affaire une Apple alors florissante – aura 15 ans plus tard une gratification narcissique à la mesure de son humiliation d’alors. Non seulement en tirant d’un état de quasi-mort imminente la société qu’il avait fondée, mais peut-être surtout en ayant fait plus tard de NeXT, à travers Mac OS X et iOS, le système d’exploitation grand-public le plus réputé de son temps.

Ce qu’il est à présent convenu d’appeler un «biopic» sur sa vie – c’est à dire une biographie romancée – ne va pas tarder à sortir en salle, porté par un comédien à la ressemblance étonnante. Il n’est guère besoin d’être «pré-scient» pour parier qu’à moins de s’y prendre comme des manches, Aston Kutsher et toute l’équipe devraient repartir des Oscars avec au moins un petit quelque chose, après un standing-ovation et un joli matelas de billets. Steve, «produit d’Appel» qui avait fait du «personnal branding» avant l’heure sa marque de fabrique a en effet toujours fait vendre, y compris de son vivant. Gil Amelio, qui au plus fort de la tempête qui avait bien failli emporter Apple en1996 ne s’y était d’ailleurs pas trompé, lui qui déclarait : “En achetant NeXT, c’est Steve que j’achète”… le même Steve qui l’évincera de son fauteuil de CEO moins de 6 mois plus tard…

Pour l’heure, c’est Tim Cook l‘ancien second de Jobs qui a repris la boutique, et qui fait les frais de ce fameux clivage : soi-disant trop terne, quand son précédent P-DG était trouvé trop fantasque, et obligé du coup de manger son chapeau après le fiasco de Plans, rendez-vous compte !

C’est oublier un peu vite que l’histoire récente d’Apple est constellée de faux-départs et de moteurs calés au démarrage, y compris sous le magistère de Steve. Ce fut le cas en 2009 de MobileMe bien entendu, mais également de l’iMac G4 dont le prix dut être relevé peu de temps après son lancement, ou de l’écran de la première génération d’iPod nano. Et que dire de la fameuse version 8.5 de Mac OS : cela n’a pas empêché la société de chaque fois se rattraper aux branches et, en définitive, de satisfaire ses clients.

L’une des citations d’Alan Kay, « Apple fellow » (c’est à dire employé hors-classe d’Apple) dès 1983 et figure de référence de Steve, prétend que « si vous n’avez pa un taux de 90 % d’échec, c’est que vous n’avez pas visé assez haut ». Dieu merci, Apple a de fait encore une belle marge de progression.

Point n’est non plus besoin d’évoquer une prétendue Statue du Commandeur, ni dans un sens ni dans un autre : après 10 ans aux côtés de Jobs à redresser la société, Tim Cook sait fort heureusement ce qu’il a à faire. Quant à la «vision» d’’un iPad, formée par Steve dès 1983 et qui a servi de prétexte à sortir un peu partout les violons, elle doit sans doute pas mal de choses à l’Alto d’Alan Kay (toujours lui), qui avait travaillé d’arrache-pied sur le concept tout au long des années 70.

Ce n’est en définitive pas faire insulte à Steve en l’espèce, qui lui portait d’ailleurs beaucoup d’admiration, le même Alan Kay ayant coutume de déclarer « je suis un bon attaquant, mais je me suis toujours entouré de bons finisseurs, [précisément] parce que je suis un piètre finisseur » : la plupart et les utilisateurs de Mac savent en effet ce qu’ils doivent à l’opiniâtreté de l’un, si ce n’est à l’autre, et auront sans doute aujourd’hui une petite pensée pour celui qui est parti le premier… et pour celui qui est toujours là, au moment où le net n’en finit pas de bruiter autour de la future version «écolier» de l’iPad.