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Prospective

Apple : le Home Center en perspective(s)

Le Special Event de mercredi a du faire grincer bien des dents parmi les challengers de Cupertino. Avec le nouvel iMac, et l’arrivée de la video sur l’iPod et sur le Music Store, Apple a-t-elle posé la première pierre d’un futur empire?

Boro

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C’est par le traditionnel “Nous avons des choses formidables à vous montrer ce matin…” que Steve Jobs a ouvert le ‘Special Event‘ convoqué mercredi à San José. Peut-être le “wooo” qui accompagnait son entrée sur scène, ou l’épithète “amazing“ nettement plus enthousiaste que le “great” des prestations plus ordinaires, marquaient-ils la satisfaction particulière du dirigeant le plus charismatique de la Silicon Valley.

La bonbonnière rococo qui avait déjà vu la présentation de la campagne ‘Rip, Mix, Burn’ en mars 2001, et plus récemment celle de l’iPod photo avec le Music Store en octobre 2004 a donc été le théâtre hier soir d’un récital, sur le thème du hub numérique ou du Media Center comme on voudra, tellement maîtrisé que la concurrence s’est implicitement vu priée de de retourner à sa planche à dessin. Et c’est avec un art consommé de la mise en scène que le héros-acteur-dramaturge de la soirée d’hier a annoncé un déroulement en 3 actes, “comme pour toutes les grandes pièces classiques“. Retour sur le déroulement de la soirée, et sur ses conséquences.

L’iMac G5 et le Media Center

Retour sur l’iMac G5 (voir la dépêche du 12 octobre). Il est désormais encore plus mince – il a d’ailleurs perdu son modem au passage- et il dispose à présent d’une caméra iSight intégrée. Celle-ci affiche toujours la même résolution de 640 x 480, la même fréquence de 30 images secondes, des couleurs 24 bit, une exposition automatique pour une ouverture de 2,8 de focale. On ne communique plus désormais sur le fantastique micro en 2 parties, qui permet d’isoler très efficacement la conversation du bruit de fond ambiant. Est-il toujours là? De même, c’est Phil Schiller qui a initié la conférence iChat à 4 personnes, et non pas Steve Jobs comme les démos précédentes.

Il faut espérer qu’il s’agit d’une précaution, ou bien d’une bande passante insuffisante dans le théâtre ou sur le plateau. Rappelons les caractéristiques nécessaires pour “inviter” plusieurs personnes : PowerMac G4 bipro 1 GHz ou tout G5, et une connexion internet de 384 ko/s dans les 2 sens. S. Jobs a pu comme à son habitude jouer pendant de longues minutes avec Photo Booth, une petite application pour prendre à la volée des photos d’identités et leur appliquer des effets amusants, le plus important était bien entendu ailleurs : l’iMac G5 transformé en Media Center.

Grâce à Front Row, un petit logiciel de présentation de contenus comme seul Apple sait les mettre au point, il est possible de naviguer à l’intérieur des contenus présents dans l’ordinateur, en plein écran et avec la sensation de 3 dimensions. Tout est fait pour rappeler la simplicité d’utilisation -et le succès- de l’iPod. Asseyez-vous à quelques mètres de l’écran : grâce à la télécommande qui fonctionne sur le principe de la roue de l’iPod, vous pouvez régler le son de votre DVD ou naviguer parmi les listes d’iTunes ou d’iPhoto, qui se déroulent en transparence tout en présentant un échantillon. Et le programme a échantillonné et répertorié l’ensemble des contenus, où qu’ils se trouvent sur le disque…

L’iPod et la vidéo

(voir la dépêche du 12 octobre) Steve Jobs avait juré ses grands dieux : pas plus que de la photo on ne verrait de vidéo sur l’iPod ; on sait ce qu’il en a été… A sa décharge, il faut cependant noter que le fameux écran naguère jugé trop petit pour des images a été agrandi, même si ce n’est pas de beaucoup : 6,35 cm de diagonale. Il ne s’agit d’ailleurs que d’un iPod à capacités : en attendant le véritable iPod vidéo, l’évolution présentée va rajeunir la gamme et prendre un peu d’avance sur Sony, et réaffirmer le leadership d’Apple sur son segment historique des baladeurs à disque dur de grande capacité.

Mais avec cette “instillation” de la vidéo, Apple joue véritablement un coup de maître : elle occupe le terrain vis-à-vis d’Archos, dont l’alliance avec l’opérateur satellite Echostar pourrait constituer un modèle alternatif pour la concurrence. Elle attaque le segment “par le bas” – celui du plus petit modèle du français- tout en testant la réponse du marché aux sollicitations, et même temps qu’elle valide la pertinence des choix technologiques. C’est enfin un moyen d’amorcer la demande pour les contenus audiovisuels, pour un public plus large que les actuels précurseurs, et d’enfoncer le clou en continuant d’imposer le standard Haute Définition H.264.

Le décodage “temps réel” du codec H.264 a très certainement été confié à une puce spécifique, à moins qu’un nouveau processeur beaucoup plus puissant n’ait fait son apparition dans la 5e génération de baladeurs ; s’il est désormais peu probable qu’Apple “réveille” les fonctions vidéo des anciens iPods à écran couleur, cette solution technologique présente pour la société l’avantage de continuer à “pousser” l’ensemble des solutions-maison (voir la chronique du 19 avril 2004). L’iPod qui s’est montré le meilleur ambassadeur de la marque est désormais chargé de promouvoir la TV HD à la mode de Cupertino… ainsi que son infrastructure de fabrication.

La Vidéo dans le Music Store

(voir la dépêche du 12 octobre) C’est ici aussi le test grandeur nature, ou de ‘proof of concept‘ pour les plus geeks d’entre nous, pour la validité de la solution mise en œuvre, après une une mise en place progressive dans le Music Store : d’une part avec les clips depuis juin 2004, puis avec les podcasts depuis mai 2005. Les videocasts ont en quelque sorte servi de laboratoire, et permis de tester la réponse du public. Dans la foulée de la présentation du Special Event, Apple mettait en ligne sur son site un tutoriel pour réaliser ses propres webcasts au format H.264 avec QuickTime Pro (voir la dépêche du 14 octobre) : il s’agit tout à la fois de permettre aux utilisateurs d’Apple d’apprivoiser la vidéo, et aux clients du Music Store de s’approprier le format vidéo… et de prendre l’habitude d’acheter ce type de contenu.

Mais la démonstration est aussi faite en direction des Majors, du cinéma celles-là, même si studios du disque, de télévision et cinema sont concentrés en grande partie au sein des mêmes groupes de communication.
Il s’agit de de faire la preuve que l’iTunes Music Store est plus que jamais incontournable pour vendre de la musique, à présent que le DVD est identifié comme le principal moteur de croissance de la vente du disque. Mais il s’agit aussi de faire la démonstration de l’intérêt de la vente de Vidéo en ligne, non plus sur support physique. Il s’agit enfin de montrer que le système de DRM Fairplay, lève encore crânement une tête que les Moguls des studios auraient bien voulu raccourcir.

C’est à cette aune qu’il faut sans doute juger l’offre présente sur le Music Store : outre les clips musicaux, quelques courts métrages de Pixar -l’autre société dirigée par Steve Jobs- et 5 séries TV toutes distribuées par le seul ABC, le réseau national détenu par Disney… Voilà qui n’a rien de commun avec les 400 000 titres musicaux du premier Music Store à son lancement. Et encore, les séries TV ne sont pas disponibles en Europe.

On notera que le CEO de Pixar est obligé de risquer le pillage éventuel de son propre catalogue en le présentant sur son Store, et que seul grand réseau de distribution qui est présent à l’ouverture est ABC, ou plutôt Disney, qui ne détient pas de Major Company du disque dans son escarcelle… C’est avec ce même Disney que Steve Jobs a refusé de renouveler de très lucratifs accords de distribution pour Pixar. Robert Iger, le CEO de Disney ne s’est pas privé de faire allusion à plusieurs reprises à l’épisode, lorsqu’il est monté sur la scène du California Theatre. S’agit-il d’un renvoi d’ascenseur, et un retour à la table des négociations est-il prévu pour Pixar? L’avenir le dira.—–

Le Home Center en questions

La prestation scénique de Jobs a pu faire merveille, et satisfaire les attentes des analystes et des marchés qui n’attendaient qu’une seule chose, c’est que celui-ci prononce le mot “vidéo”. De ce point de vue, ceux-ci ont été comblés au point que le titre AAPL a regagné dans la foulée le terrain perdu la veille malgré la présentation de résultats financiers enthousiasmants (voir la chronique du 12 octobre->9882], puis la dépêche [du 12 octobre, et pour finir la dépêche du 14 octobre). L’ensemble intégré autour du Home Center présenté lors de ce Special Event n’en soulève pas moins un certain nombre de questions.

Tout d’abord au niveau de la taille du catalogue, on l’a vu, mais surtout du point de vue technique : il faut environ 10 à 20 minutes -selon les estimations données par S. Jobs pour télécharger environ 1 heure de vidéo avec une connexion haut-débit, au format 320 x 240. C’est dire qu’on est pas près de voir arriver des longs-métrages au format hollywoodien dans le catalogue, du moins tant que les débits les plus répandus dans ls foyers aux États-Unis n’auront pas atteint ceux des marchés européens et surtout japonais.

La question du support est elle aussi posée : c’est l’iMac G5 qui a été choisi dans un premier temps pour servir de support au Home Theatre, c’est-à-dire au Media Center en mauvais franglais, pour des raisons de puissance. Proposée exclusivement sur l’iMac, Front Row (ce qui signifie “premier rang”) [MàJ : cherche au démarrage la présence du récepteur infra-rouge de la télécommande]… Et c’est quand le Mac mini disposera de suffisamment de puissance dans son espace clos, sans doute avec l’arrivée des puces Intel, que l’évolution du concept devrait être intéressante, en permettant d’aborder plus facilement les machines dans la maison capables de communiquer sans fil.

Le refus malicieux enfin de Jobs de laisser appeler le nouvel iPod “iPod vidéo” marque sans équivoque que celui-ci est encore à venir. Un écran plus grand et plus confortable demandera une puissance processeur conséquente, a fortiori si Apple continue de pousser le format H.264. On peut d’ailleurs très facilement imaginer que cette puissance soit en partie allégée par un dispositif de streaming, comme les rumeurs en provenance des manufactures d’extrême-orient s’en font l’écho insistant. Dans ces conditions, la solution la plus évidente qui vient à l’esprit serait l’utilisation dans un réseau domestique de la fameuse “tabler mac”, brevetée des 2 côtés de l’Atlantique (voir la dépêche du 11 mai 2005), dans une solution déjà explorée par Sony avec sa freeTV. C’est en tous cas dans ce type de réseau que semble vouloir investir les comparses du Enhanced Wireless Consortium en poussant le 802.11n pour le courant 2006…

Un boulevard ouvert pour Apple ?

Reste que pour encore embryonnaire qu’il soit, le système présenté par Apple a de quoi donner des sueurs froides aux concurrents d’Apple, qui sont loin de pouvoir aligner quelque chose approchant sa simplicité, voire même son évidence, et son intégration, malgré leurs rodomontades. La télécommande, façon dont les listes de contenus défilent, tout vient leur rappeler leurs cuisants échecs face à l’iPod.

Le Music Store lui-même semble promis à un niveau supplémentaire dans l’efficacité, avec des méthodes qui n’ont rien à envier à celles d’Amazon. La possibilité de publier des appréciations sur les albums, directement sur le modèle des iMix, n’a pas sembler enthousiasmer outre-mesure Steve Jobs. Celui-ci va sans doute pourtant accentuer le côté communautaire du Store à l’image de ses concurrents, en renforçant l’adhésion à celui-ci.

Mais c’est la présence et l’efficacité d’un système capable de mémoriser et d’extrapoler sur des achats effectués 15 mois auparavant qui posent en définitive problème. Un programme expérimental baptisé “rien que pour vous” -il est vrai désactivable- permet à la boutique de vous proposer un certain nombre d’autres choix, fonction de vos emplettes effectuées sur l’échoppe numérique. Rien de neuf sous le soleil puisque c’est sur ce système que c’est en grande partie construit le succès d’Amazon.

Si l’on considère que -tout comme pour le n°1 de la vente en ligne- il est très probablement facile au Music Store de suivre le parcours d’un client sur son site, il est permis de s’interroger sur la connaissance ainsi individuellement abandonnée à une société qui représente entre 50 et 85% du secteur des contenus culturels dématérialisés vendus en ligne, selon les pays [[musique, mais aussi livres audio et à présent programmes TV]]. Que n’aurait-on pas dit d’un Microsoft en son temps, s’il eût été doué d’une telle omniscience sur ses clients?

La question mérite en tous les cas d’être dès à présent posée plus fermement (voir la dépêche du 12 mai 2003), a fortiori si le système construit autour du produit de Cupertino est aussi efficace et attrayant. Ce que Jobs a présenté cette semaine est une bonne année en avance sur ce que propose sa concurrence, et augure d’autant mieux d’une expansion comparable à celle de l’iPod qu’Apple maîtrise aussi à présent une bonne part du process de la chaîne de production et de distribution audiovisuelle…