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Economie

La copie privée à nouveau en question(s)

En Suisse d’une part, en France d’autre part, les syndicats de fabricants d’électronique grand-public s’apprêtent à partir en croisade contre l’augmentation des sommes versées au titre de la rémunération pour copie privée.
Les deux situations posent de manière différente le problème de la rémunération de la création musicale dans son volet dématérialisé : jusqu’à quand l’industrie du disque va-t-elle escamoter la question de la répartition de la “manne numérique” ?

Boro

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Les grandes idées ne meurent jamais” proclamait récemment Ormerry au cours de l’une des discussions de La Rédac`avec le bel optimisme qu’on lui connaît, et une foi dans l’avenir du genre humain qui l’honore… Reste qu’à l’aune de l’évolution du dossier de la taxe de rémunération de la copie privée, il faut bien se rendre à l’évidence : la connerie elle aussi à la vie dure.

Où l’on reparle de la copie privée…

Vérité au-deça des Pyrénées, erreur au-delà“… L’aphorisme pascalien a beau être usé jusqu’à la corde depuis la classe de Première, il n’en reste pas moins valable un peu moins de 4 siècles après la naissance de l’inventeur de l’un des précurseurs des calculateurs modernes. Nos voisins suisses s’apprêtent en effet à reproduire, depuis l’autre côté des Alpes, les mêmes erreurs et les mêmes injustices en matière de taxation des supports d’enregistrement que la très française commission d’Albis en son temps.
Ce n’est qu’en novembre dernier que celle-ci a finalement renoncé à un barème disproportionné entre les différents supports, particulièrement injuste puisqu’il revenait à frapper plus lourdement les lecteurs de plus faible capacité c’est-à-dire, en définitive, les petits budgets (voir la dépêche du 2 novembre 2005.

Notre voisin helvétique s’apprête en effet à mettre en place une nouvelle taxe sur les lecteurs à support numérique, selon que ceux-ci sont muni de mémoire flash, d’un disque dur ou font profession de lecture enregistrement audio video grâce à un disque dur. L’Association économique suisse de la bureautique, de l’informatique, de la télématique et de l’organisation Swico, dans laquelle figure notamment Apple, a entrepris de protester et de faire reporter l’application de la taxe au 1er mars prochain, le temps pour elle de préparer ses arguments afin de contrer la disposition, mise en place à la suite d’une campagne active des organisations de collecte de droits.

Les fabricants d’électronique disent “stop!”

En cause principalement des tarifs jugés “astronomiques”, ainsi que ce qui est qualifié de “discrimination” à l’égard des appareils qui reposent sur la mémoire flash : 1 baladeur à mémoire flash se verrait frappé à hauteur de 19 francs suisses (12,21 €) quand un baladeur à disque dur de même capacité serait lui taxé autour de 2 CHF (1,28 €), et la proportion de 20% du prix pour certains articles est avancée par l’organisation des industriels. En Suisse, le prix d’1 iPod nano 4 Go est de CHF 369 (237,14 €). Il serait déplacé en l’espèce de continuer de filer la métaphore en parlant de fromage (voir l’édito du 12 septembre 2005), mais le régulateur fédéral des prix ne serait aux dernières nouvelles lui non plus pas non plus très content de la tournure prise par l’affaire…

Dans le même temps, le Simavelec – syndicat des industries de matériels audiovisuels et électroniques c’est-à-dire l’équivalent français du Swico suisse – vient d’annoncer au cours d’une conférence de presse son intention de voir changer de façon radicale les barèmes en vigueur pour la rémunération de la copie privée. Montrée du doigt, l’escalade exponentielle prévisible de la part des des supports numériques dans l’assiette de la taxe, par rapport aux supports magnétiques qui représentent aujourd’hui 90% de la somme collectée. De 70 millions d’euros en 2000, on est passé en 2005 à plus de 200 millions, chiffre qui risque d’exploser avec l’augmentation des capacités de stockages des différents appareils, et l’arrivée des appareils d’enregistrement numériques de salon de plus en plus largement répandus.

L’organisation compte présenter une étude sur la réalité des usages des dispositifs à la Commission d’Albis, pour justifier de ce que la rémunération pour copie privée ne dépende plus des capacités de stockage des appareils mais d’autres critères… pas encore définis. Formulée ainsi, comment s’étonner de la fin de non-recevoir d’ores et déjà opposée par la Commission?
Faut-il pour autant incriminer une crise d’égoïsme des industriels de l’électronique grand-public, décidés à faire prospérer leur fonds de commerce sur le pillage du travail des créateurs, comme tente de le faire “passer” les industriels du disque à propos des fabricants de baladeurs, après en avoir fait de même avec les Fournisseurs d’Accès Internet?

Un modèle inégalitaire qui cherche à se préserver

C’est en fait la volonté du Snep (Syndicat National de l’Édition Phonographique) d’utiliser le mécanisme de la rémunération de la copie privée pour compenser la perte de revenus du déclin relatif du CD, en assimilant baisse des ventes, téléchargement illégal et utilisation d’appareils numériques qui trouve ici ses limites. En février 2003, en plein débat sur la copie privée, le Simavelec s’était déjà élevé contre cette tentation – tout en acceptant le principe de la taxe – les ayants droit réclamant des hausse de la redevance allant de 120 à 400% pour certains supports. Or avec le décollage très significatif des téléchargements payants (voir la dépêche du 23 janvier 2006), le maintien du status quo actuel équivaudrait à faire payer deux fois au client la rémunération des ayants droit, au titre de l’œuvre d’une part lors de son achat en ligne et à celui de son support de stockage d’autre part.

En essayant de faire sanctuariser ses moindres désirs dans la loi Droit d’Auteurs et Droits Voisins Dans la Société de l’Information – sous couvert de la transposition de la directive EUCD (voir la chronique du 26 décembre 2005) – les industriels du disque ont ouvert une boîte de Pandore et remis en cause l’équilibre de la loi Lang : avec la systématisation de Mesures Techniques de Protection, rebaptisées Dispositifs de Contrôle d’Usage et sensées empêcher la copie, difficile de justifier de l’inflation de la rémunération de la copie privée !

Le “point d’ étape” du Ministère de la Culture sur le projet publié samedi par la Ligue Odebi montre que le lobby du CD n’a pas renoncé à cadenasser l’usage par le public des œuvres culturelles, en faisant passer les peines encourues pour le simple téléchargement ou le contournement des mesures de protection, de la prison à la simple contravention, et de la Correctionnelle au Tribunal de Police.

Ce faisant, l’industrie du disque évite que ne se pose de façon sérieuse la question de la répartition des revenus générés par la musique en ligne, en confisquant l’essentiel des économies dégagées par la dématérialisation des supports. La rémunération des actionnaires des 3 multinationales sur 4 cotées en bourse se fait ainsi en pressurant créateurs et détaillants, à chaque extrémité de la chaîne. Jusqu’à quand? C’est la question que ne devrait pas tarder à se voir poser le ministre…

SwissInfo
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– [Culture.gouv->http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/
donnedieu/charte-musique-internet.html]
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