Apple piégée par son propre plan contre Epic : la justice contre-attaque
Le dossier Epic était clos ? Non, la machine judiciaire se remet en branle.
La firme de Cupertino estimait certainement le contentieux terminé. Trois ans après avoir obtenu gain de cause face à Epic Games sur l’ensemble des griefs, ou presque, la firme se retrouve pourtant aujourd’hui prise dans l’étau d’un nouveau revirement judiciaire. L’unique faille que le juge Yvonne Gonzalez Rogers avait laissée ouverte (l’obligation d’autoriser les liens externes dans les applications) revient frapper Apple de plein fouet.
L’entreprise a appliqué l’injonction de 2021 d’une manière si restrictive que le tribunal a changé de ton. C’est la loyauté d’Apple envers la décision de justice qui se retrouve désormais elle-même au cœur du litige.
L’ouverture selon Apple, ou l’art de ne rien ouvrir du tout
Apple n’a jamais fait mystère de son opposition à l’ouverture de son écosystème à des moyens de paiement tiers. Mais en 2021, le jugement dans l’affaire Epic lui imposait d’autoriser les développeurs à insérer, dans leurs applications, des liens vers des paiements externes, en dehors de l’App Store. Plutôt que de refuser ouvertement cette obligation, Apple a opté pour une approche plus sagace, dont elle a le secret : appliquer la décision au sens strict, tout en s’assurant que celle-ci reste inopérante dans les faits.
Le système de « liens externes » mis en place en mars 2024 était si contraignant sur les plans technique, ergonomique et commercial, qu’il empêchait de facto toute possibilité d’en tirer parti. Pour pouvoir insérer un lien de redirection vers un paiement externe, les développeurs devaient d’abord soumettre une demande spéciale à Apple, suivre un protocole bien trop compliqué, et se conformer à un cadre très strict.
Ce dernier incluait notamment l’obligation d’afficher un message d’alerte rédigé par Apple, avertissant les utilisateurs que tout achat réalisé en dehors de l’App Store se faisait sans garantie de sécurité ni de confidentialité. Impossible de modifier ou d’adoucir ce message : il apparaissait systématiquement, dissuadant la plupart des utilisateurs de poursuivre.
Le lien, lui, devait s’ouvrir dans un navigateur externe, sans aucune possibilité de rester dans l’interface de l’application : une excellente tactique pour décourager davantage les usagers de finaliser leur achat ailleurs que sur l’App Store.
On voit bien à quel petit jeu a joué Apple : elle a fait en sorte d’appliquer l’injonction judiciaire d’une manière purement formelle, sans effets réels pour les développeurs, lui permettant donc de maintenir sa position dominante.
C’est cette mise en œuvre jugée excessivement restrictive qui a conduit la juge Yvonne Gonzalez Rogers à condamner Apple pour non-respect délibéré de l’injonction. Selon la cour, l’entreprise n’a pas simplement mal interprété la décision : elle a sciemment vidé la mesure de sa portée, comme en attestent des documents internes révélant que certains cadres avaient explicitement cherché à contourner l’esprit du jugement.
Une posture qui a conduit la juge à invoquer le mépris de la cour (« civil contempt »), une qualification rare et grave, plaçant Apple sur un terrain judiciaire glissant, qu’elle maîtrise beaucoup moins que celui de la négociation commerciale.
L’arroseur arrosé
Face à cette condamnation, Apple a choisi l’escalade. Dans une requête adressée à la cour d’appel du neuvième circuit (la plus importante cour d’appel fédérale des États-Unis), l’entreprise a demandé l’annulation pure et simple du nouveau mandat imposé par la juge, qualifié de « punitif » et « injustifié ».
Apple a contesté notamment l’obligation de supprimer sa commission sur les achats externes, arguant que le passage de 27 % à 0 % n’a aucun fondement juridique. Elle est même allée jusqu’à demander le dessaisissement de la juge, preuve qu’elle nourrit un désaveu profond pour la procédure en cours.
Le fond de l’argumentation d’Apple reste bien fidèle à sa doctrine et l’entreprise ne dévie pas de sa ligne de défense. Autoriser les développeurs à proposer des paiements en dehors de l’App Store revient à mettre en péril les trois piliers de son modèle économique : la sécurité des utilisateurs, la rentabilité d’iOS et le contrôle total de l’expérience utilisateur.
Un discours qui ne convainc plus aussi facilement qu’auparavant, puisque la stratégie de la marque à la pomme est de plus en plus remise en cause. Le Digital Markets Act en Europe, aux États-Unis, les procédures s’accumulent et les développeurs, eux aussi, s’y mettent. La résistance s’organise et certains exploitent les ouvertures imposées pour proposer des paiements directs, sans passer par l’App Store. La pression monte sur tous les fronts. Les années passant, le géant californien est passé maître dans l’art d’aménager les règles à son avantage. Mais face à une juge tenace, des développeurs décidés et des régulateurs en embuscade, les murailles d’iOS pourraient bien un jour se lézarder.
- Apple est accusée d’avoir volontairement vidé une décision de justice de sa portée réelle dans l’affaire l’opposant à Epic Games.
- La juge estime qu’Apple a agi par mauvaise foi en rendant impraticable l’ouverture exigée de son système de paiement.
- L’entreprise riposte en contestant les sanctions, mais sa stratégie défensive est de plus en plus contestée aux États-Unis comme en Europe