Apple plie face à Bruxelles : quels seront les changements pour les développeurs en Europe ?
Cupertino cède un peu de terrain en Europe, mais il y a baleine sous gravillon.
Il aura fallu des années de bras de fer et un Digital Markets Act solidement asséné, mais la Commission européenne a fini par obtenir ce qu’elle voulait : contraindre Apple à entrouvrir légèrement le portail de son jardin très fermé. Avec iOS 18.6 et un tout nouvel ensemble de règles tarifaires, la firme de Cupertino a profondément modifié les conditions pour les développeurs opérant dans l’Union européenne. Désormais, ces derniers pourront promouvoir presque tout ce qu’ils veulent, sans être totalement captifs du système de paiement maison d’Apple.
Une césure historique, même si la marque à la pomme a tout fait pour que ce grand bouleversement ne la contraigne pas trop. Eh oui, Apple, en habile stratège, a soigneusement encadré cette ouverture à sa manière, et les développeurs européens vont rapidement en prendre conscience.
La fin d’un modèle ? Non, la fin d’un monopole
Les développeurs européens vont enfin pouvoir respirer : ils auront la liberté d’afficher clairement des alternatives de paiement, voire de renvoyer les utilisateurs vers leurs propres plateformes d’achat, à l’intérieur même de l’app. Jusqu’à présent, il leur était interdit de mentionner le moindre lien sortant, sous peine de sanction. À présent, ces liens sont autorisés et cliquables, avec la possibilité de détailler les offres de manière transparente.
Évidemment, chez Apple, tout se monnaye et rien n’est jamais vraiment cédé gratuitement. Pour toute application exploitant ces liens externes via le système StoreKit External Purchase Link Entitlement (le droit d’ajouter un lien direct vers un achat hors de l’App Store dans une application), un nouveau régime de commissions s’appliquera. Une Core Technology Commission de 5 %, à quoi s’ajoute un store services fee variable selon le niveau de service choisi, plus un acquisition fee de 2 %.
Comment Apple parvient-elle encore à justifier ces commissions ? De son point de vue, elle continue à fournir les outils de développement, les interfaces de programmation et les services d’infrastructure indispensables au bon fonctionnement de ces applications, même si elles choisissent de proposer des paiements hors du système intégré de l’App Store. Par conséquent, il faut bien que ces « avantages techniques » aient un prix, même lorsque la transaction elle-même échappe au circuit de paiement Apple.
Les développeurs devront également transmettre à Apple le détail de toutes les transactions externes pour que la firme puisse calculer ses commissions : Cupertino entend bien surveiller chaque euro qui lui échappe.
Parallèlement à ce nouveau régime de commissions, Apple a instauré une nouvelle structure de services, divisée en deux niveaux. Un premier palier, le Tier 1, imposant moins de frais, mais supprimant des fonctions clés comme les mises à jour automatiques, les téléchargements multi-appareils, les suggestions de recherche, la mise en avant sur l’App Store, et même l’accès aux statistiques détaillées de performance.
Le deuxième, le Tier 2, plus complet, qui rétablit l’accès à l’intégralité des fonctionnalités : mises à jour automatiques, téléchargements synchronisés entre appareils, recommandations éditoriales, classement dans les recherches, statistiques de performance, et options de promotion via l’application Apple Games. Tout cela se paie forcément en échange d’une commission plus élevée.
Les développeurs jouissent donc dorénavant d’une certaine liberté, ils peuvent vendre différemment, mais cette liberté a un coût. La marque californienne garde les doigts bien serrés autour de ce qui fait la valeur de son écosystème : la visibilité, la distribution et la confiance des utilisateurs.
Bruxelles : 1 – Apple : 0, vraiment ?
Peut-on vraiment affirmer qu’Apple a capitulé face à l’UE ? Absolument pas. En imposant la déclaration de toutes les transactions hors App Store via une API dédiée, la firme garde la main sur la donnée, pilier de sa puissance. En pratique, impossible pour un développeur d’échapper au radar de Cupertino, même s’il choisit une passerelle de paiement concurrente.
Quant au système de service par tiers, parlons-en. En forçant les développeurs à choisir entre indépendance commerciale et exposition maximale, Apple recrée un système où la dépendance à l’App Store reste la norme. En un sens, ce n’est plus un monopole frontal ; Apple hiérarchise la place de chacun, selon les moyens financiers et la capacité à amortir des frais supplémentaires.
Une manière de sanctuariser encore plus la valeur perçue d’iOS auprès des développeurs. Une manière détournée de leur dire : « Vous pouvez vous affranchir de nos règles, mais vous renoncez à la puissance de notre marque et à l’effet de halo de l’App Store ».
Alors oui, on peut dire qu’Apple a fait un effort et qu’elle a ouvert un peu plus en grand sa porte. Elle y a simplement posté un vigile de 120 kg à ses côtés, là est la grande différence. Pour les développeurs européens, ce nouveau règlement est autant une opportunité qu’un piège. Plus libres sur le papier, ils restent toujours sous tutelle financière et technique d’Apple. Il leur faudra une sacrée agilité pour naviguer entre tous ces nouveaux éléments réglementaires, distillé dans un jardin, certes, plus vaste, mais truffé de nouvelles caméras de surveillance. Au royaume de Cupertino, la liberté aura toujours un prix.
- Bruxelles a forcé Apple à autoriser les paiements alternatifs dans les applications, mais la firme a conservé un contrôle étroit via des commissions et un suivi obligatoire.
- Les développeurs gagnent plus de liberté, mais doivent choisir entre indépendance et perte d’avantages clés comme la promotion ou la mise à jour automatique.
- En apparence plus ouvert, l’écosystème reste tout de même verrouillé par un système de frais et de surveillance qui maintient la dépendance à Apple.