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Prospective

iPod rend-t-il idiot ?

… ou du moins, est-on condamné à en dire des sottises ? L’actualité récente ne permet pas en tous cas d’être très optimiste…

Boro

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Peut-on être un génie – ou du moins incontestablement un sur-doué en matière de code – et ne pas voir plus loin que le bout de son nez, et en tous cas ne pas s’apercevoir qu’on est manipulé ? La question mérite en tous les cas d’être posée, après l’annonce faite par Jon Lech Johansen, désormais bien connu sous le petit nom de DVD Jon, de la prochaine mise à disposition sous licence d’un procédé de contournement de FairPlay, qui protège depuis maintenant trois ans et demi la relation quasi symbiotique du couple iPod-iTunes Store.

Commercialisé sous forme de deux outils, celui-ci couvre logiquement les deux aspects de la demande – pressante – de l’industrie IT et du divertissement musical, producteurs et distributeurs confondus : lire n’importe quel fichier musical protégé par des DRM (Mesures Techniques de Protection, en énarque moderne) sur l’iPod, ou permettre à n’importe quel baladeur du marché de lire les contenus numériques – puisqu’on parle désormais non seulement de morceaux, mais également de vidéos et bientôt de cinéma – achetés sur l’iTunes Store d’Apple. L’enjeu est de taille puisque de l’aveu même des dirigeants de la société de Cupertino, l’échoppe en ligne du californien se classe en tête des magasins de musique en ligne de chacun des 21 pays où elle est présente, lesquels représentent 90% de la musique numérique achetée légalement.

Un succès qui fait des envieux…

Quant à l’iPod, l’histoire de son succès (mondial :langue) n’est plus à faire, en ces lendemains de commémoration (voir la chronique du 23 octobre) : le petit baladeur blanc est devenu une véritable icône de la dématérialisation de la musique depuis son lancement voici cinq ans. Avec plus de 67 millions d’exemplaires vendus dans le monde, 76% de parts de marché aux États-Unis et désormais très certainement au-delà de 20% en France malgré toutes les peaux de banane qu’on a pu s’ingénier à lui glisser sous le pied – et même un écosystème de plus de 3 000 accessoires spécialement créés pour lui – le gâteau en continuelle expansion a de quoi aiguiser tous les appétits, d’autant que la plupart des acteurs du secteur ont du en prendre leur parti et se contenter des miettes, jusqu’à Creative qui a du renoncer et mettre un genou à terre devant le nouveau patron du secteur.

Dans ces conditions, l’annonce d’un système « traducteur » permettant l’interopérabilité entre les fichiers numériques et leurs systèmes de protection, et les appareils de lecture n’est pas étonnante : c’est même la Pierre Philosophale supposée transformer la daube en caviar sur laquelle travaillait un certain nombre de start-ups depuis plus de deux ans. Ce qui n’est pas non plus surprenant, c’est que ce soit précisément Jon Lech Johansen qui y soit parvenu le premier : le norvégien avait déjà « cassé » les protections utilisées par Apple : QTFairUse qui s’est attaqué d’abord au cache de QuickTime avait été développé fin 2002 alors que les résultats de son procès en première instance dans l’affaire deCSS n’étaient pas encore connus. Publié et intégré à VideoLan Client (VLC), le code permettait de lire les fichiers protégés du Music Store sur n’importe quelle plate-forme, Linux y compris. PyMysique, puis Sharp Musique, ont suivi, permettant de débarrasser les fichiers achetés sur le Store de leur protection, pour les « passer » sur n’importe quel baladeur : Jon Lech n’en est donc pas à son coup d’essai, et – sans même parler d’une intuition particulière – dispose même de plusieurs longueurs d’avance en étant entré très tôt dans la logique de programmation du code utilisé par Apple…

du petit bout de la lorgnette…

Ce n’est même pas la quantité de sottises plus ou moins bien documentées qu’a pu susciter une telle annonce dans la presse française : le procès en sorcellerie monopolistique organisé autour d’Apple avec pas mal d’arrière-pensées, à l’occasion de la loi DADVSI, nous a hélas habitués à nous contenter de peu en matière d’argumentation. « Ca y est, c’est fait ! » n’ont ainsi pas manqué de titrer – ou peu s’en faut – dans des papiers dignes de certains échotiers d’outre-Manche des journalistes français sur un ton triomphal, du moins de ceux que la réussite insolente du petit baladeur d’Apple agace apparemment, avant de lâcher le grand mot : « Monopole ! » (ou quasi, c’est selon).
Après l’iPod Killer annoncé pendant presque deux ans toutes les trois semaines pour demain matin, promis, ce sont les Pirates d’hier qui sont à présent convoqués pour jouer les chevaliers blancs contre le mouton noir du moment : entendez Steve Jobs et son entreprise hégémonique d’asservissement de la musique numérique…—–

Ce n’est sans doute même pas qu’un jeune programmeur brillant, tout à sa conviction légitime qu’une œuvre légalement acquise devait pouvoir être normalement utilisée sur le support de son choix, ne se soit pas aperçu que ses talents de codeur étaient mis à profit pour remplir une coquille vide (voir la dépêche du 4 octobre), et jusqu’à son arrivée destinée à perdre de l’argent, et qu’en mettant son outil à la disposition des industriels il marquait contre son camp. En contournant les DRM, il montrait l’inanité de ce type de mesures derrière lesquelles les industriels du divertissement ont cru pouvoir se retrancher, et qui ne gênent finalement que les utilisateurs de bonne foi… En leur permettant d’être interopérables les uns avec les autres, Johansen assure du même coup leur pérennité dans le temps… alors même qu’à la suite de l’expérience menée par de plus en plus d’indépendants, VirginMega et la Fnac envisagent à présent de commercialiser la musique en ligne débarrassée de leurs DRM pour enfin avoir accès à l’iPod…

un problème de fond…

Le problème est que le quotidien français de référence fondé par Hubert Beuve-Méry ait pu titrer dans son édition électronique du mercredi 26 octobre « Le monopole du couple iPod-iTunes mis à mal », à propos d’une simple annonce presse, sans même citer de source. On a souvent souligné ici le traitement particulier de l’information qui avait été réservé à Apple, voire même à Steve Jobs au moment de la discussion sur la loi DADVSI. Faut-il y voir des relents d’anti-américanisme, ou bien une manière de s’affranchir à bon compte de la passivité vis-à-vis du discours lénifiant de Microsoft [[Les lauriers tressés l’an passé à ce bon M. Gates et à sa fondation caritative, en oubliant d’où viennent les milliards distribués avec libéralité peuvent en être un autre exemple]] ? Ce n’est sans doute qu’une partie de la réalité. Le traitement du sujet est d’une certaine manière non seulement représentatif de la façon dont les médias français sont passés à côté des enjeux de la dématérialisation des contenus, mais également de la pauvreté du traitement de l’information technologique, et plus largement d’un temps où le contenu des communiqués de presse a de plus en plus souvent valeur de faits…

La presse sérieuse, imprimée, n’en finit pas de trouver la solution à la crise qui menace la pérennité de son modèle économique. La réponse jusqu’à présent mise en avant est l’édition en ligne, « plus rentable ». L’exemple ci-dessus est l’indice que la réponse la plus proche est sûrement à chercher du côté de la perte du lectorat, consécutive à celle de la crédibilité du support, tous médias et titres confondus… Dans ces conditions, que le journaliste du Monde n’ait pas relevé le rôle vertueux qu’a pu jouer le Music Store en structurant le marché autour du tarif 1$ / 1 € le morceau quand les tenants du secteur s’apprêtaient à plumer le consommateur, ou n’ait pas fait le rapprochement avec la réponse – intelligente cette fois – des concurrents français d’Apple est presque anecdotique.

Cette influence s’étend désormais au delà de la sphère des baladeurs numériques stricto sensu puisque, sans doute en anticipant l’arrivée d’Apple dans l’arène de la téléphonie mobile, l’opérateur français SFR a annoncé qu’à compter du 7 novembre il facturerait les titres téléchargés sur son réseau 0,99 €, contre 1,99 € jusqu’ici, iTunes étant pris explicitement comme référence en matière de prix par le n°2 de la téléphonie mobile dans l’Hexagone.

L’iPod rend-il idiot ceux qui en parlent, comme on a pu l’accuser de rendre sourd ceux qui l’utilisaient comme avant lui on a pu le dire du Walkman ? Sans doute, en cristallisant sur lui bon nombre des projections, des fantasmes et des doutes de son époque. Nous allons, quant à nous, nous attacher pour l’heure à changer de sujet… :langue

merci à tous les lecteurs qui nous ont transmis le sujet, et en particulier le lien du Monde Interactif