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Édito

Soupçon sur la culture

François Léotard, Philippe de Villiers, Jacques Toubon, Philippe Douste Blazy, Renaud Donnedieu de Vabres… Y-a-t-il une malédiction qui pèse sur les ministres de la Culture ? Les dernières interventions de Mme Albanel sur la création d’une ”taxe de compensation” prélevée sur les produits électroniques, la téléphonie mobile et internet, et l’abandon du soutien apporté aux Espaces Culture Multimédia (…)

Boro

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Y-a-t-il une malédiction qui pèse sur les ministres de la culture ? François Léotard, Philippe de Villiers, Jacques Toubon, Philippe Douste Blazy, Renaud Donnedieu de Vabres… Jean-Jacques Aillagon et dans une moindre mesure Christine Albanel mis à part, le martyrologue des ministres de la Culture français issus de la droite parlementaire ces vingt dernières années plaide avec assez d’éloquence pour le périmètre que cette dernière entend réserver à la culture dans l’action gouvernementale… droite et gauche confondues ayant depuis longtemps cédé aux sirènes de la Communication. D’aucuns, sans-doute exagérément superstitieux, se laissent aller à évoquer un mystérieux mal qui frapperait les locataires successifs de la rue de Valois depuis le premier départ en exil de Jack Lang, privant les ministres de toute volonté, voire de tout jugement, en les poussant à se fourvoyer dans les bourbiers les plus problématiques…

Or l’annonce par Mme Albanel – la locataire actuelle du Palais-Royal – d’une part de la création d’une ”taxe de compensation” à l’abandon de la publicité sur l’audiovisuel public, prélevée sur les produits électroniques, la téléphonie mobile et internet, et d’autre part de l’abandon du soutien apporté par le ministère aux Espaces Culture Multimédia apportent malheureusement une eau noire au moulin de la superstition.

Evoquée à plusieurs reprises ces dernières années, face à la généralisation des “tunnels de pub” sur le service public aux heures de grande écoute et du nivellement perçu des programmes pour tenter de fixer l’audience, la suppression totale du recours à la publicité dans l’audiovisuel public décidée par le chef de l’État a pris un relief particulier à l’aune des amitiés cultivées par M. Sarkozy. Ces derniers, patrons de groupes de presse et/ou audiovisuels ou intéressés à des degrés divers dans la publicité, ne sauraient rester indifférents au pactole de 800 millions d’euros qui constitue de l’aveu de la ministre la part actuelle des ressources publicitaires dans le budget de fonctionnement des différentes chaînes publiques… au moment où celles-ci tendent à se raréfier.

C’est le cas de M. Martin Bouygues, actionnaire principal de TF1 dont la part d’audience moyenne vient de glisser pour la première fois sous les 30% et qui voit du coup menacée la ”prime au leader” que sa part d’audience lui conférait sur le marché publicitaire.

C’est également le cas de M. Vincent Bolloré dont les libéralités à l’égard de son “ami de 20 ans” ont fait les gros titres à plusieurs reprises, et dont le groupe – s’il n’a réalisé que 1% de son chiffre d’affaires en 2006 dans les médias et la communication – détient 40% du groupe publicitaire Havas, également 40% des prestataires techniques SFP et VCF… et possède la chaîne de la TNT Direct 8 ainsi que les quotidiens gratuits – donc financés par la publicité – Matin Plus et Direct Soir. En outre, il contrôle les instituts de mesure Mediamétrie et CSA.

Quant à M. Arnaud Lagardère qui s’est revendiqué en 2005 comme le “frère” de M. Sarkozy, le gérant commandité du Lagardère Group contrôle à travers Lagardère Active un certain nombre de chaînes du câble et du satellite (MCM, Mezzo, Virgin 17, Canal J, Filles TV) et notamment Europe 1, mais également des titres-phares du paysage magazine français. Par le biais de Lagardère Publicité, Lagardère Active gère aussi la publicité des titres et de chaînes du groupe, de même que celles d’un certain nombre de clients parmi lesquels on compte la chaîne franco allemande Arte… laquelle devrait se voir tenue à l’écart de la nouvelle réforme de l’audiovisuel public.

Mais dans ces conditions, la proposition de Mme Albanel de compenser la perte des ressources issues de la publicité par une taxe “infinitésimale” sur les produits électroniques permettant de recevoir la télévision, et étendue au matériel informatique et aux abonnements internet et téléphoniques, apparaîtra comme un contre-pied, sinon un contre-sens absolu vis-à-vis du discours officiel sur la priorité donnée au développement de l’usage des nouvelles technologies qui primait jusqu’ici. Ces pertes sont en effet estimées par la ministre à 1 milliard d’euros, compte tenu du temps d’antenne libéré pour lequel il faudra bien créer des programmes. Or avec 64% des adultes équipés d’un ordinateur à domicile, et 53 % connectés à internet, malgré ses progrès la France reste en retard vis-à-vis de ses voisins européens. Le marché de la téléphonie mobile, les abonnements internet et les équipements électroniques sont ainsi nommément désignés par Mme Albanel comme des “ressources” dans lesquelles puiser, l’autre option initialement évoquée qui consistait à taxer les recettes publicitaires supplémentaires des chaînes privées étant visiblement passée au second plan.

La priorité qui semble prévaloir au ministère consiste désormais à rompre avec l’équilibre – au moins de façade –entre les usages et les intérêts de la filière des contenus de l’audiovisuel (bientôt de l’édition) affiché par M. Donnedieu de Vabres au moment de la loi DADVSI, “l’urgence” étant dans l’esprit de Mme Albanel de dégager de nouveaux modèles économiques pour soutenir la création, en consolidant la rémunération des artistes et le financement des entreprises… C’est dans ce cadre que la transposition législative des résultats de la mission Olivennes devrait être transmise au Sénat avant l’été.

Tout à son plan de sauvetage industriel, le ministère de la Culture se désengage dans le même temps de sa mission de soutien au champ numérique de la création artistique et de la culture multimédia, en cessant le soutien apporté depuis 1998 sur tout le territoire aux structures et aux festivals de création numérique. Le programme Espaces Culture Multimédia qui soutenait la diffusion de la dimension culturelle des Technologies de l’Information et de la Communication vient de se voir supprimé sans concertation, suscitant l’émoi des acteurs du terrain (voir la tribune publiée par Xrings)… et des craintes sur la précarisation de ces structures souvent associatives, économiquement beaucoup plus fragiles que les entreprises de la culture de masse, lesquelles sont souvent adossées à des multinationales et sont pour l’essentiel les bénéficiaires de la sanctuarisation du droit d’auteur tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Sont ainsi remis en question notamment l’accueil des artistes et la diffusion des œuvres, celui des scolaires et les actions culturelles avec le travail éducatif mené sur le terrain en direction du grand-public… et donc la sensibilisation vis-à-vis du travail des artistes que la ministre s’est targuée à plusieurs reprises de vouloir mener. A défaut, le “marti-fouette” de la riposte graduée remis au goût du jour par le rapport Olivennes devrait lui se voir rapidement sorti du placard où l’avait remisé le conseil constitutionnel. Pour paraphraser l’inventeur du ministère de la rue de Valois, il est décidément bien difficile de juger combien de ministres seront nécessaires pour faire avancer la Culture d’un centimètre…

Les taxes de compensation ne dépasseront pas 1%

Coup de balai sur la culture

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