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Economie

Google poursuivi pour sorcellerie en Europe

Boro

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La plus grande ruse du diable est, dit-on, de faire croire qu’il n’existe pas, mais une fois plongé dans un bénitier, est-il pour autant moins dangereux après avoir été coupé en rondelles ? Par un vote sans équivoque –384 voix pour, 174 contre et 36 abstentions – le synode des députés européens a clairement répondu ce matin par l’affirmative.

Dans une résolution non contraignante, autant dire un vœu pieux, le Parlement européen a en effet appelé l’exécutif (c’est-à-dire la Commission) à interdire le cumul d’un moteur de recherche en ligne, avec d’autres activités commerciales, et en particulier la commercialisation de publicité, par une seule et même société : il s’agit de leur éviter la tentation d’abuser d’une éventuelle position dominante. Autant dire que Google, qui concentre sur ses différents moteurs européens 90 % de la recherche en ligne sur le continent est directement visé.

La firme de Mountain View, dont la devise a beau être « Don’t Be Evil » (ne soyez pas malfaisants), répand bel et bien une odeur méphitique autour d’elle depuis plusieurs années, en particulier à la Commission Européenne dont l’orthodoxie ultralibérale a, il faut bien le dire, une sainte horreur de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un monopole de fait. Cela fait maintenant tout juste 4 ans que le géant est visé par une enquête pour abus de position dominante, la Commission ayant déjà par 3 fois repoussé les propositions de la firme.

Rien d’étonnant à cela : si celle-ci use et abuse en effet de sa position dominante, c’est que son modèle économique dépend en effet entièrement de celle-ci : plus de requêtes, et de réponses pertinentes à ces requêtes c’est également davantage de requêtes encore, et encore davantage de données qualifiées, fort utiles pour commercialiser des publicités qualifiées – c’est-à-dire ultra ciblées – à des annonceurs, de préférence au prix fort. Le seul souci, c’est que ces données qualifiées sont également appelées des « données personnelles », en ce sens qu’elles sont constituées de l’agglomération à la fois des informations personnelles, administratives, constitutives de l’histoire des individus, dont habituellement personne – pas même son psychanalyste ou son confesseur – n’est supposé détenir l’exhaustivité.

Le problème, c’est qu’en multipliant les services gratuits et en accumulant ces données collectées au fur et à mesure des utilisations, Google mais également ses auxiliaires européens dont les Français ne sont pas les moins efficaces, sont non seulement en position d’établir un portrait à peu près fidèle de l’individu qui se trouve derrière l’écran, mais qu’ils se placent surtout en position de prédire et d’influencer efficacement son comportement. Tout cela bien entendu « pour son bien » et il s’agit certes de se mettre à son service en lui proposant les offres les plus susceptibles de l’intéresser – l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

D’ailleurs ce rêve n’est pas nouveau, et la psychosociologie expérimentale américaine a largement fourni depuis les années 50 aux distributeurs suffisamment d’éléments pour transformer le moindre supermarché de quartier en « meilleur des mondes », où chacun de vos comportements et de vos déplacements est influencé. Et que dire de l’expérience d’achat sur Amazon ?

A contrario, c’est avant tout l’efficacité et la créativité de Google pour survivre, en proposant sans cesse de nouveaux services dans un environnement industriel numérique ou une nouvelle rupture technologique arrive à peu près tous les 5 ans qui pose problème ; c’est d’ailleurs cette incapacité à se renouveler qui a coûté sa suprématie à Microsoft, lequel faisait figure il y a encore 15 ans d’Ogre monopolistique absolu et qui n’avait évité le découpage que de justesse, grâce à une alliance de circonstance avec Apple… Lequel Apple était d’ailleurs voici 10 ans sur la sellette, du fait de sa toute jeune domination sans partage sur le marché de la musique. Où en sommes-nous à présent ?

Les députés européens ont certes voulu donner un coup de semonce et faire pression sur la nouvelle Commission, afin qu’elle ne lâche rien dans son bras de fer avec le géant américain. Il y a cependant peu de chances que le Département du Commerce laisse tout simplement découper en rondelles l’un des fleurons de son économie sans rien dire… Une autre solution, sans doute plus intelligente, pourrait être de favoriser l’émergence de champions européens capables de rivaliser avec les californiens, tout en les gardant sous la coupe de sa législation et de ses valeurs, au lieu de s’évertuer à couper une tête dès qu’elle dépasse, au nom d’un catéchisme anti monopolistique…