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Prospective

MacTablet : un fichu caractère ?

A l’opposé des explications avancées jusqu’ici, Eric Schmidt a-t-il quitté Apple pour préserver les excellentes relations que Google entretient avec la Pomme ?

Boro

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On pourrait en apparence difficilement faire plus cavalier : c’est deux jours à peine la publication par le San José Mercury News d’une interview d’Eric Schmidt, le P-DG de Google, qu’Apple faisait savoir par un de ces communiqué de presse que celui-ci venait de démissionner de son siège au conseil d’administration de la firme de Cupertino, officiellement «d’un commun accord» toujours selon le même communiqué de presse. D’un commun accord? Voire : au détour de la fameuse interview réalisée avant le 29 juillet dernier, Eric Schmidt disait tout le bien qu’il pensait de sa présence au sein du board au 1, Infinite Loop, Cupertino, que ce soit pour Apple ou Google étant donné les nombreux partenariats noués entre les 2 sociétés.

Eric Schmidt avait pourtant évoqué la possibilité de son départ début juillet, alors que Google annonçait le lancement de Chrome OS, un nouveau système d’exploitation destiné à concurrencer Windows sur le marché des NetBooks : le P-DG du jeune géant de Mountain View avouant à cette occasion que la question serait évoquée rapidement au sein du conseil d‘administration de la firme à La Pomme.

Les meilleurs amis du monde…

Or c’est précisément cette argument qui a été mis en avant par Apple dans son communiqué : «Alors que Google entre de plus en plus sur les cœurs de métiers d’Apple, avec Android et à présent Chrome OS, l’efficacité d’Eric en tant que membre du conseil d’administration d’Apple va se réduire de façon significative, puisque pour éviter des conflits d’intérêt potentiels il va devoir se récuser lui-même sur des séquences de plus en plus significatives de nos rencontres. Nous avons donc décidé de commun accord que le moment était venu pour Eric de quitter sa position au conseil d’administration d’Apple».
De son côté, le Dr Schmidt n’est pas en reste et déclare dans son propre communiqué, tout en laissant pointer sa déception «j’ai pris beaucoup de plaisir pendant que je siégeais au conseil d’administration d’Apple. C’est une formidable société. Mais comme Apple l’a expliqué aujourd’hui, nous avons convenu qu’il était raisonnable que j’arrête à présent.»

Les amateurs de langage diplomatique apprécieront sans doute : la Federal Trade Commission qui avait ouvert une enquête à propos de l’éviction de Google Voice de l’AppStore a annoncé qu’elle poursuivait ses investigations, tandis qu’Arthur D. Levinson le P-DG de Genetech continue lui de siéger à la fois au conseil d’administration d’Apple et celui de Google…

Les analystes de tous poils n’ont pas manqué de se saisir de la péripétie avec avidité, avant de se perdre en conjectures sur l’air fameux du «on s’autorise à penser dans les milieux autorisés…». Qu’a pu déclarer Steve Jobs à son homologue, qui le décide à faire ainsi publiquement contre mauvaise fortune bon cœur? Deux cause possibles, l’une petite, l’autre beaucoup plus importante et sans que l’une soit obligatoirement exclusive par rapport à l’autre, n’ont pourtant pas été évoquées.

1. Le coup de sang du patron

Si mis à part quelques trolls survivants et appointés plus ou moins directement par Redmond, la quasi-totalité de la planète s’accorde à présent à reconnaître en Steve Jobs une génie visionnaire doublé d’un capitaine d’industrie hors-pair, le consensus général ne va cependant pas jusqu’à compter la patience comme l’une de ses vertus cardinales, loin s’en faut.

Or le lancement dimanche par Google – c’est à dire la veille de la publication du communiqué d’Apple – d’une vaste campagne de publicité destinée à promouvoir ses applications en ligne intitulée go Google (passez à Google) a pu finir de convaincre Steve Jobs que, décidément, il était temps de cesser le mélange des genres… quitte à ce qu’Eric Schmidt parût manger son chapeau !

2. Apple, sur le cœur de métier de Google ?

A la suite du communiqué de presse d’Apple, la quasi-totalité des commentateurs s’est engouffrée comme un seul homme pour saisir l’explication tendue, quitte à multiplier les précautions oratoires et les circonvolutions conditionnelles pour expliquer que l’explication la plus probable était que le lancement de Chrome OS, à la suite d’Android un an plus tôt, mettait de fait Google en compétition frontale avec Apple, malgré les collaborations nombreuses entre les deux sociétés… Du point de vue d’Eric Schmidt, tel n’était pourtant pas le cas. Android s’adresse en effet à n’importe quel type de téléphone, et Chrome OS n’est destiné – du moins pour l’heure – qu’au marché des Netbooks, sur lequel Apple refuse de s’engager avec la dernière énergie… du moins en l’état.—–

Pourtant, si l’on se place cette fois du point de vue d’Apple, une autre explication saute aux yeux : à mesure qu’elle investit le «nuage» et que son service MobileMe monte en puissance, c’est Apple qui pénètre de plus en plus avant dans les cœurs de métier de Google qui sont les services en ligne : c’est déjà le cas du mail, des calendriers et des carnets d’adresses ou du partage de documents. Ce sera encore bien davantage le cas si la tablette du mystérieux projet «Vingle» voit rapidement le jour, comme la rumeur s’en fait de plus en plus insistante (lire «Le mystérieux projet Vingle va-t-il une nouvelle fois bouleverser l’industrie?).

La tête dans le nuage…

Après avoir investi 45 ou 50 millions de dollars en 2006 dans un Data Center de 33 000 m2 flambant neuf en Californie, c’est carrément 1 milliard de dollars qu’Apple mis sur la table pour construire une énorme ferme de calcul cette fois sur la côte Est, à Maiden en Caroline du Nord… soit une quarantaine de kilomètres à peine du data center installé par Google en janvier 2007.

Pour quelle raison, Apple qui d’ordinaire n’attache pas ses économies avec des saucisses, a-t-elle éprouvé le besoin d’investir 1 milliard de dollars dans une centre de calcul quand Microsoft ou Google se contentent le plus souvent de la moitié pour leurs propres services en ligne ?

Même si Apple compte bien continuer à vendre musique et contenus vidéo sur l’iTunes Store ou des applications pour ses iPhones/iPod touch, c’est plutôt du côté de MobileMe qu’il faut faut chercher la réponse : l’activation de l’application iDisk pour l’iPhone qui donne accès aux abonnés MobileMe aux contenus stockés dans leur iDisk est non seulement la fonction qui manquait au service – il est impossible d’avoir accès au contenu de son iDisk à partir de son propre ordinateur si l’on est pas connecté ! – mais il préfigure en outre ce à quoi peut ressembler un service associé à un client léger, connecté en permanence tel que décrit dans le fameux projet «vingle», et une suite créative ou bureautique en ligne : iWork.com sera très probablement amené à évoluer bientôt… à moins que ce ne soit Microsoft qui ne se décide à défourrailler le premier !

Mais si à l’évidence, un tel service a vocation à s’appuyer sur des contenus multimedia en englobant l’iPod, sur les jeux en démultipliant l’iPod touch, tout en étant connecté en permanence comme un iPhone, c’est à une nouvelle révolution avec la dématérialisation en marche d’une classe de contenus à laquelle Apple se prépare… depuis de nombreuse années.

Vers une nouvelle révolution

Le livre – et le magazine – sont en effet mûrs à présent pour la dématérialisation, et de fait, Sony ou Amazon ont d’ores et déjà fait évoluer à 2 reprises leur propre interprétation du concept de livre électronique. Pour Steve Jobs, c’est l’appareil à tout faire et d’un abord immédiat dont il a eu l’intuition dès 1976, et après lequel il a couru toute sa vie, d’autant que ses applications au secteur de l’éducation qui lui tient tant aux tripes sont évidentes : invité en compagnie de Michael Dell à prendre la parole lors d’une conférence intitulée «Améliorer l’éducation grâce à la technologie» qui se tenait en février 2007 à Austin au Texas, dans le jardin de son vieux rival, Steve Jobs s’était laissé aller, contrairement à son habitude, et avait livré sa vision d’une école débarrassée de ses livres de classe, où les connaissances nécessaires seraient librement accessibles sur des sources d’information en ligne (lire «Jobs et Woz, toujours fringants»).

Dès lors, il était évident qu’Apple y viendrait, lorsqu’elle jugerait que sa solution serait prête. Arnold Swartzenegger a-t-il bénéficié d’une démonstration privée à Cupertino ? Le gouverneur de Californie a en effet annoncé son intention de remplacer les manuels scolaires par des livres électroniques à partir d’août 2010, lors que les lycéens de l’Etat pourront avoir accès aux programmes de maths et de sciences au format électronique.

Pierre de Vingle a-t-il chassé Eric Schmidt ?

On le voit, la question des contenus est donc posée d’emblée, et avec elle le sort d’Eric Schmidt : ce ne sont pas tant les Google Apps et leurs outils collaboratifs en ligne qui pourraient représenter un problème pour Apple, mais bien plutôt la formidable opportunité représentée par les 7 millions d’ouvrages accessibles grâce à Google Recherche de Livres, ainsi que la formidable porte d’entrée dans les bibliothèques du monde entier que constitue le service. Qu’Apple conclut un accord de coopération avec Google sur ce plan, alors qu’Eric Schmidt siège encore au conseil d’administration d’Apple, et c’était le procès pour pratiques anticoncurrentielles assuré de la part de Sony ou d’Amazon…

Pour donner la mesure de l’importance accordée chez Apple à ce projet déposé en 2005, on mentionnera que le nom choisi renvoie à celui du lyonnais Pierre de Vingle qui, réfugié à Neuchâtel fut non seulement en 1535 l’imprimeur de la première Bible en français, mais également le promoteur de nouveaux types de textes comme le théâtre, la chanson et l’instruction des enfants dans un ouvrage pédagogiquement en avance de 2 bons siècles sur les pratiques de son temps… avant de publier les fameux «Placards contre la Messe», à l’origine de la rupture définitive entre catholiques et protestants par les persécutions qui ont suivi. L’originalité de l’apport de Vingle repose également sur son travail sur la typographie simplifiée afin de rendre les contenus plus accessibles au lecteur.

L’histoire ne s’arrête d’ailleurs pas là, puisque c’est l’imprimeur et fondeur de caractère Antoine Augereau qui fut accusé et condamné au bûcher pour ces Placards, mais qui passa à la postérité grâce à son illustre élève Claude Garamond comme le raconte Anne Cuneo – oui, la tante du François Cuneo, celui de Cuk.ch –dans son roman «Le Maître de Garamond» publié en 2002. C’est d’ailleurs à partir de cette année 2002 qu’Apple a cessé d’utiliser son adaptation spécifique de la police de caractère Garamond, assortie d’Helvetica pour les titres, qui était emblématique de la marque depuis 1984 et le lancement du Macintosh 128. Vous avez dit «Think Different»?

Reste à savoir si, à l’autre bout de la chaîne sur les écrans du salon, La Pomme va pouvoir patienter jusqu’à l’année prochaine avant de faire évoluer l’Apple TV, au moment où la demande d’iPTV commence à devenir conséquente…