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Apple vs Samsung : un procès pour quoi faire ?

Boro

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Hier s’est ouvert à San José, devant la Cour Fédérale du District Nord de la Californie le procès sur le fond qui oppose Apple à Samsung Electronics, où le Californien accuse son concurrent de piller sa propriété intellectuelle et où le Coréen tente de répliquer en lui renvoyant assez maladroitement la pareille. Pour l’essentiel, Apple reproche à Samsung d’avoir plagié le design de l’iPhone, ainsi qu’un certain nombre de gestes de son interface tactile, tandis que Samsung a tenté de répliquer sur le mode « c’est celui qui dit qui y est » en accusant Apple d’avoir violé ses propres brevets sur la norme de téléphonie mobile 3G, et d’avoir copié elle-même le design du téléphone Sony…

S’il ne s’agit vraisemblablement que du premier acte d’une partie judiciaire en trois coups, le verdict de cette première instance étant selon toute vraisemblance susceptible de recours en appel, puis devant la Cour Suprême des États-Unis, on aurait tort d’assimiler cependant ce litige à une simple dispute de cour de récréation. Outre le les 2,53 milliards de dollars qu’Apple réclame à son concurrent, la procédure initiée en avril 2011 et étendue depuis par Apple à travers une cinquantaine de procédures sur les 5 continents, dans une bonne dizaine de marchés-clés constitue, en effet la dramatisation à outrance du conflit séculaire entre deux conceptions, deux visions de la façon de faire des affaires dans l’industrie technologique.

Un conflit entre deux vieilles connaissances…

Ce conflit intervient d’ailleurs entre deux partenaires qui s’entendaient jusqu’ici comme larrons en foire : c’est sans doute la raison pour laquelle la Juge Lucy Haeran Koh, qui dirigera les débats et aidera les 10 jurés à prendre leur décision, a poussé les deux sociétés à chercher un règlement amiable jusqu’à la dernière minute, ou presque. La juge est d’ailleurs particulièrement compétente et ne s’en laissera vraisemblablement pas conter par les uns ou les autres, puisqu’elle connaît parfaitement les enjeux de ce type d’affaires, ayant siégé à à la Cour d’Appel de Californie pour la juridiction qui recouvre la Sillicon Valley. Avant cela, elle avait travaillé pendant 2 ans, de 2000 à 2002, dans un cabinet d’avocats de la Sillicon Valley spécialisé dans les litiges relatifs aux brevets, secrets industriels et poursuites commerciales opposant les sociétés technologiques…

Est-ce la raison pour laquelle Lucy Koh a dans un premier jugement en référé satisfait aux demandes d’Apple en suspendant la commercialisation de la Galaxy Tab et du Nexus ? Cela suffira-t-il à Apple de « jouer à domicile » pour obtenir gain de cause ? Outre l’avantage décisif que représente toujours le fait de pouvoir choisir la compétence juridictionnelle (devant quel tribunal se tiendra le procès), c’est précisément la compétence professionnelle de la juge en la matière qui, en l’espèce, représente la meilleure assurance pour Apple de ne pas se retrouver victime de son propre «effet de halo». Au début du mois, la Haute cour de Londres avait en effet débouté Apple de sa demande d’interdiction de la Galaxy Tab, le juge Colin Birss soulignant dans ses attendus que la tablette de Samsung “n’a pas la même simplicité raffinée et extrême qui est intrinsèque au design d’Apple“, ajoutant même “Elle n’est pas assez cool“, selon l’AFP qui rapportait le jugement.

Innovation contre banalisation…

Ce sont pourtant là deux conceptions antagonistes de l’industrie technologique qui s’affrontent, les mêmes qui ont opposé Thomas Edison à ses divers concurrents, Kodak à Polaroïd, Microsoft à Apple et un certain nombre d’autres entreprises de la Silicon Valley : peut-on, sous prétexte qu’on est le leader dans un secteur donné, s’approprier les innovations technologiques ou commerciales dans un secteur voisin et développées par des concurrents potentiels, sous prétexte de les diffuser plus largement et à meilleur prix à l’ensemble du marché potentiel ?

Le modèle économique d’Apple repose en effet très largement sur l’innovation, associée à un véritable brise-glace industriel et commercial. Depuis 2001 en effet elle s’était habituée à entrer très tôt sur un marché à fort potentiel, avec un produit capable d’apporter réellement une différence, construit autour d’un certain nombre de composants clés porteurs d’innovation technologique : ce fut le cas des mini disques durs pour l’iPod ou l’iPod mini, de la mémoire Flash depuis l’iPod nano et jusqu’à maintenant, des écrans tactiles capacitifs projetés pour l’iPhone, l’iPod touch puis iPad… et bien entendu de son système d’exploitation ou de son interface tactile.

L’autre caractéristique de cette stratégie, mais qui n’est pas négligeable, repose sur la montée en puissance de la capacité d’achat des composants différenciants, en même temps que le marché lui-même, de manière à se ménager de substantielles économies d’échelle dans les approvisionnements, tout en ne laissant que les miettes, de préférence à des tarifs exorbitants, à la concurrence. Pour prendre une image, Apple se comporte comme un surfeur qui choisirait soigneusement sa vague, et exécuterait ses figures sous les applaudissements, en ne laissant que quelques vagues clapots à ses concurrents.

Gorille à la place du Gorille…

A contrario, Samsung Electronics a basé son modèle économique depuis la fin des années 60 sur la banalisation de technologies développées par d’autres, et que la vague de la dématérialisation à partir de 2005 a permis d’accélérer. De fabricant de composants électroniques là aussi intégrés par d’autres, le chaebol (conglomérat sauce coréenne) a su ajouter petit à petit de la valeur à ses produits en appliquant au marché de l’électronique les règles qui avaient fondé sa réussite dès ses débuts dans le le business du poisson séché, avec une réactivité sans faille et une offre sans cesse renouvelée. Sony, puis Apple se sont ainsi retrouvés face à un « coopétiteur » – à la fois partenaire et rival commercial – redoutable, et Samsung, qui en est le premier fournisseur, réservant à ses Galaxy l’essentiel des écrans de technologie AMOLED qui semblaient en toute logique promis à Apple. Le Californien les a-t-il refusés dans un premier temps ? C’est ce que le procès permettra sans doute de savoir.

Le Coréen peut au contraire avoir analysé que la croissance quasi-exponentielle d’Apple avait placé la firme à la Pomme en situation de faiblesse, incapable de faire preuve de suffisamment de réactivité sur tous les marchés sur lesquels elle était rentrée (lire Apple à la recherche d’un second souffle), et singulièrement sur le marché du Smartphone qu’elle est incapable de satisfaire à elle seule, comme ce put être le cas de celui de l’iPod.

À l’apogée de celui-ci, en 2008-2009 Apple captait 40 à 50 % du gâteau mondial avec ses 53 millions d’unités annuelles, et de l’ordre de 20 millions pour le seul trimestre de Noël. Au trimestre de Noël 2011, Apple à son acmé n°1 sur le marché du Smartphone a vendu 37 millions d’iPhones, en progression de 128%… captant 24% à peine d’un marché de 149 millions d’unités, en progression de 47,3% sur le trimestre, et de 58% sur l’année, avec 472 millions d’unités vendues (source Gartner). De fait, Samsung a su multiplier les modèles, y compris les plus abordables, alors que les résultats de l’iPad 2 au dernier trimestre montrent que le modèle d’excellence de’Apple s’essouffle en cette période de crise grave.

L’univers du Smartphone en expansion continue…

Poussé par Samsung, le marché mondial du smartphone grossit donc plus vite qu’Apple ne peut le satisfaire, et on a ainsi l’explication du durcissement des positions respectives des deux protagonistes, rendant impossible un nouvel accord à l’amiable, comme celui trouvé par Apple avec Creative, un autre Coréen venu des composants pour faire des copies carbone, à l’époque de l’ascension de l’iPod. C’est tout simplement la place de n°1, avec les économies d’échelle sur le prix des composants qui lui sont assorties, qui sont en jeu. Or en 2006, Apple était déjà le leader incontesté du marché du baladeur numérique, place que lui dispute aujourd’hui Samsung sur le marché du Smartphone en s’appuyant sur les opérateurs téléphoniques.

On l’a dit précédemment, l’équation devant laquelle Apple est placé est complexe : à travers l’iPhone, c’est l’ensemble de sa chaîne de valeur, dont iOS est le dénominateur commun, qui est menacée : raison pour laquelle Google et son Android sont eux aussi visés par une procédure initiée par Apple. Mais outre son problème de taille critique, la firme à La Pomme est également face à une problématique de la distribution, concrétisée en ce qui concerne l’iPhone par les opérateurs. Ce sont en effet eux qui commercialisent l’iPhone dans la plupart des cas, assorti d’un forfait. Or ceux-ci n’ont aucun intérêt, bien au contraire, à favoriser un ombrageux partenaire qui les a obligés avec l’iPhone à renoncer à leur modèle économique précédent, dans lequel les fabricants de téléphones étaient réduits au rôle d’équipementiers. Pour mieux régner, ils ont même tout intérêt à lui pousser un maximum de concurrents dans les pattes !

Quelle que soit l’issue de ce règlement judiciaire en 3 actes qui concerne pour l’heure les Etats-Unis, Apple a commencé de réagir : côté production, d’une part la présentation de l’iPhone en septembre laisse trois mois de moins à Samsung pour s’organiser avant la saison de Noël, tandis que Cupertino a entrepris à marche forcée de diversifier ses fournisseur, tandis qu’elle conçoit à présent la quasi-totalité des composants clés embarqués dans ses appareils, à charge pour elle de localiser davantage sa production

iPhone, le plus français des appareils Apple ?

En ce qui concerne la distribution en revanche, c’est une solution non moins globale bien que franco-française qui pourrait aider Apple a explorer de nouvelles voies, en sortant de ce piège qu’est devenu son modèle économique actuel, très largement basé sur la redevance servie par les opérateurs sur chaque terminal. Ce sont ces mêmes opérateurs qui subventionnent également les terminaux auprès des utilisateurs avec telle ou telle offre commerciale, en récupérant ensuite leur mise sur les forfaits qu’ils commercialisent… moyennant quoi Apple est enfermée dans un faux rythme de renouvellement réel de son Smartphone tous les 2 ans, calqué sur les engagements de 24 mois chez l’opérateur, avec un rafraîchissement intermédiaire au bout de 12 mois pour les geeks qui changent systématiquement de smartphone tous les ans, ou les retardataires montés dans le train avec l’iPhone 3GS.

Or c’est précisément à ce modèle économique de la subvention et à son opacité que Fleur Pellerin, l’excellente ministre française de l’économie numérique, a déclaré vouloir s’attaquer en réponse aux jérémiades qui ont suivi l’irruption de Free sur le marché hexagonal de téléphonie mobile (Lire Quid de la subvention en France ?). En avril 2009, une première fois déjà la dénonciation par Bouygues Telecom et SFR de l’accord d’exclusivité qui liait Orange et Apple pour la distribution de l’iPhone sur le marché français avait obligé Steve Jobs et Tim Cook à abandonner leur modèle économique initial.

A l’origine, celui-ci était basé sur une commission forte, versée par l’opérateur pour chaque nouveau client gagné grâce à l’iPhone, en contrepartie de son exclusivité. Forcée de s’ouvrir à l’ensemble des acteurs, Apple avait alors pu s’apercevoir qu’elle accédait pour la première fois à la place de leader sur un marché téléphonique majeur, tout en augmentant mécaniquement ses revenus malgré l’abandon de son modèle de « marge arrière » forte.

De quoi prolonger cette histoire particulière de l’iPhone avec la France, née à Paris en 2001 dans une « cellule de recherche secrète » d’Apple, et animée par Jean-Marie Hullot et Brertrand Guilheneuf ?