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Édito

Le ver est-il dans le Disque?

Le modèle des ventes de la musique bridée par DRM est-il en bout de course? C’est la conclusion qu’a cru bon tirer TheRegister, s’appuyant sur une étude conduite par Forrester Research, laquelle portait sur 27 mois de transactions financières de l’iTunes Store.
Bien que biaisées dans leur interprétation, certaines données de l’étude montrent les limites de l’approche des Majors vis-à-vis de la musique numérique.

Boro

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Le modèle des ventes de la musique bridée par DRM est-il en bout de course? C’est la conclusion qu’a cru bon tirer TheRegister, s’appuyant sur une étude conduite par Forrester Research, laquelle portait sur 27 mois de transactions financières de l’iTunes Store. Avec le sens de la mesure qu’on lui connaît, le tabloïd électronique n’a pas craint de titrer que “Les ventes iTunes [étaient] en train de s’évanouir“, au motif que Josh Bernoff qui avait conduit l’étude pour Forrester Research avait décelé une baisse dans le chiffre d’affaires et le panier moyen… Et d’en profiter pour entonner le chant funèbre de la musique en ligne telle qu’on la connaît aujourd’hui. Rien que ça.

La réplique n’a d’ailleurs pas tardé, avec une mise au point de Gene Munsrer qui suit le dossier iPod/iTunes pour l’institut Piper Jaffray apparemment contradictoire : le nombre de titres vendus par semaine sur l’iTunes Store aurait au contraire cru de 78% sur les 9 premiers mois de l’année 2006, comparés à la même période de 2005… ce qui entre parenthèses n’étonnera personne en principe (d’un peu sérieux), puisqu’il s’agit de la méthodologie classique pour s’affranchir des biais éventuels induits par la variable saisonnière… Quant à la mise au point d’Apple qui a suivi, laconique comme à son habitude, celle-ci se bornait à stipuler que “la conclusion selon laquelle les ventes sur iTunes ralentissent est tout simplement fausse“.

Dans l’intervalle, les” bonnes habitudes” ont repris : le Nasdaq a joué à se faire peur, l’action AAPL à son plus haut historique depuis quelques semaines avait perdu puis regagné quelque 3% entre lundi et mercredi, après que Rebecca Runkle pour Morgan Stanley ait relevé ses prévisions pour le titre ; des chapelets de sottises ont ruisselé un peu partout sur le net comme autant de saucisses un soir d’Oktoberfest, comme c’est à désormais le cas à peu près chaque fois que mot “iPod” ou “iTunes” est lâché quelque part… Or qu’en est-il exactement?

Si le panier moyen des clients de l’iTunes Store baisse et si l’on n’a pas semble-t-il assisté à la ruée habituelle d’immédiat après-fête sur les rayonnages de l’échoppe en ligne, c’est qu’un nombre de plus en plus important d’iPods vendus correspond désormais au renouvellement d’un modèle antérieur, pour lequel il n’est plus besoin de se jeter sur l’iTunes Store avec la fébrilité de la découverte mais où on revient tout de même pour quelques emplettes au coup par coup, ou pour (s’)offrir des bons d’achat iTunes que l’étude de Forrester n’avait d’ailleurs pas pris en considération. Ce qui n’empêche pas les ventes du Store d’augmenter, et les “nouveaux entrants” dans la boucle de l’écosystème iPod de commencer à remplir leur baladeur avec la vingtaine de titre que la statistique moyenne attribue à chaque possesseur d’iPod… sans prendre en compte tous les clients de l’iTunes Store qui écoutent leur musique exclusivement sur leur ordinateur…

L’étude de Forrester, pour parcellaire puis déformée qu’elle ait été, aura pourtant eu le mérite de montrer un peu plus s’il en était besoin à quel point le modèle économique de l’industrie du disque est arrivé en bout de course. La période de vaches grasses que lui a octroyé le cycle de renouvellement du microsillon par le Compact-Disc a pris fin grosso-modo avec le siècle. Or il devient de plus en plus évident que le cycle suivant de renouvellement, vers le support dématérialisé, ne sera pas aussi rémunérateur que le précédent pour le secteur. D’une part le public est cette fois en mesure d’effectuer lui-même le transfert d’un support à l’autre de sa discothèque antérieure – c’est tout là l’enjeu des DRMs quoi qu’en disent les industriels du disque -, d’autre part le secteur de la musique est à présent en concurrence avec beaucoup plus d’autres secteurs sur le budget des loisirs qu’il y a 30, 20, ou même 10 ans…

En panne de croissance interne et arrivées au bout de leur logique de cannibalisation par concentrations et par fusions successives, les Majors du disque qui sont toutes directement ou indirectement cotées en bourse sont acculées à se tourner vers n’importe quel expédient pour essayer de maintenir, exercice fiscal après exercice fiscal, les copieux dividendes servis à leurs actionnaires, qui les rongent comme un ténia : après la confiscation de la quasi-totalité des économies que permet la dématérialisation de la musique sur le dos des créateurs, les tentatives d’augmentation des prix, la vente de “çonneries” surtaxée ou les procédures et arrangements “amiables” à l’encontre des particuliers et des plate-formes d’échange ou de diffusion, les multinationales en sont à présent à “taper” les fabricants d’électronique comme Universal l’a réussi avec le Zune, ou à exiger dans les nouveaux contrats signés avec leurs artistes une dîme plus importante sur les revenus que ceux-ci tirent de leurs concerts ou des produits dérivés…

Or si Apple a le “tort” – du moins aux yeux des observateurs qui semblent toujours désireux de prend leur revanche – de gagner davantage d’argent en vendant des iPods que de la musique sur iTunes Store, les dirigeants du constructeur californien n’ont pas à déclarer à leurs actionnaires – comme le font ceux d’EMI ou d’Universal – : “notre job, c’est de vous servir des dividendes“… pour la bonne et simple raison qu’Apple n’en verse pas . Moyennant quoi, la Pomme peut se targuer d’avoir une vision stratégique et de la mettre en œuvre, tout en voyant sa capitalisation boursière augmenter, mettant la société à l’abri des mauvaises surprises. C’est sans doute la peur du scénario inverse de la dégringolade qui motive la nervosité de l’industrie du disque. Mais celle-ci est-elle pour autant prête à réduire son train de vie, et ses prétentions sur l’utilisation de la musique qu’elle vend au public? La réussite des indépendants d’eMusic et leurs 100 millions de titres vendus sans DRM montre qu’un autre modèle est possible.

[PS : ComScore qui étudie le comportement des disquaires en ligne vient à son tour d’apporter sa pierre à la discussion, en identifiant une hausse du chiffre d’affaires de l’iTunes Store de 84% durant ces fameux 9 premiers mois, une augmentation des transactions de 67% et même une hausse de 10% de la valeur des transactions, le tout porté par une augmentation de fréquentation de 85%, de novembre 2005 à novembre 2006. L’étude porte sur l’examen du comportement d’1 million d’utilisateurs américains d’internet, et recoupe étroitement les résultats déjà publiés par Piper Jaffray.]