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Prospective

Interview : StopDRM

Les répliques de l’onde de choc provoquées par le manifeste de Jobs continuent de se produire 2 semaines après l’événement. Parmi les plus à distance, figure celle des français de StopDRM. Explications.

Boro

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Invité à réagir par 01 après la publication des “Rélexions sur la musique” publiées par Steve Jobs (voir la chronique du 6 février)->13726], Thibaut François le co-fondateur du mouvement avait accueilli pour le moins fraîchement l’initiative de Steve Jobs avant [(voir la dépêche du 8 février) de préciser son point de vue dans un communiqué de presse publié en fin de semaine.

Fondé à l’origine sur le refus d’un petit noyau d’utilisateurs Linux de voir se généraliser les CD “Copy Controlled”, le collectif StopDDRM s’est formé en décembre 2005 à partir du forum de Linux.fr. Le débat autour de la loi DADVSI a créé l’opportunité de fédérer les bonnes volontés, avec un premier “happening‘ lors de la soirée de lancement du site LesTelechargements.com commandité par le ministère de la Culture [[Le site avait été lancé à grand renfort de strass, de paillettes et de “pipoles”, le 22 février 2006. Un mois plus tard, le site qui avait coûté la bagatelle de 180 000 € était depuis longtemps en état de stase artificielle ; le nom de domaine est aujourd’hui à vendre, tandis que les ses sites LesTelechargements.net, .org ou .fr lancés pour contrebalancer la communication institutionnelle sont eux toujours en activité…]]. Suivront un certain nombre d’actions sur le terrain, la dernière en date ayant vu en septembre dernier 4 membres de StopDRM aller se dénoncer au commissariat du Ve arrondissement pour avoir contourné des DRM et donc contrevenu à la loi DADVSi.
Le collectif se définit lui-même comme issu du monde du logiciel libre, avec l’apport ultérieur “de gens “art libre”, “technophiles”, et “grands consommateurs de musique”

MacPlus : On vous a vu en particulier au moment des actions que avez organisées pour rendre en masse aux détaillants les CD “Copy Protected” que les Majors du disque essayaient d’imposer à ce moment-là. ?La condamnation de Sony, puis le jet de l’éponge par EMI a représenté une satisfaction pour tous ceux qui achètent des CD. N’avez-vous pas craint que les Majors n’essaient d’imposer un système de contrainte encore plus subtil, comme des tatouages?

StopDRM : StopDRM a pour vocation d’empêcher la vente liée produite par la non interopérabilité des DRM. En ce qui concerne le tatouage, on ne connait pas encore de projet concret, StopDRM n’a pas de position arrêtée sur le sujet. Les Majors peuvent toujours essayer ce genre de procédé, mais à notre avis il sera sans doute encore plus rejeté par la population si il y a atteinte à la vie privée. Notons que pour le moment, les distributeurs FNACmusic et Virginmega diffusent des mp3 sans aucun système de contrainte, donc en respectant le client.

MacPlus : Dans le même temps, les principales dispositions de la loi DADVSI ont consisté à “protéger les mesures de protection”, de façon certes caricaturale mais tout de même dans l’esprit de ce que demandait la législation européenne, la contrepartie étant l’obligation faite aux divers industriels de jeter des ponts entre les différents verrous pour permettre à l’utilisateur une utilisation sur le support de son choix : c’est la fameuse interopérabilité.
Que répondez-vous à ceux qui objectent que cette fameuse interopérabilité n’est qu’une façon de sacraliser les DRM, et que la gêne pour les utilisateurs demeure.

Nous sommes d’accord : l’interopérabilité des DRM n’est qu’un pis-aller bien sûr. Ou plus exactement, la seule interopérabilité possible c’est qu’il n’y ait pas de DRM . En fait la notion de DRM est incompatible avec l’interopérabilité, en raison de la diversité des systèmes existants et de la durée de vie de la musique, supérieure – heureusement – à celle des systèmes de DRM (voir par exemple la non compatibilité des DRM Microsoft sur le Zune avec l’ancien système de DRM Microsoft)

MacPlus : En dehors de son oubli / approximation sur les DRM absents des CD, que reprochez-vous exactement à Steve Jobs ?

StopDRM : On reproche à iTunes (comme à FnacMusic et Virgin à l’époque) d’avoir fait croire que les DRM étaient obligatoires sur les plateformes légales, alors que c’est leur choix. Depuis au moins 2004 plusieurs labels indépendants (Label Bleu, Fcom, …) par choix, proposent sur d’autres plateformes leur musique sans DRM (Mediagong, Bleep, Mondomixmusic).
Pour son besoin propre, Steve Jobs a décidé de mettre des DRM partout, y compris sur des artistes qui ne l’exigeaient pas. Ou alors qu’il nous explique pourquoi les artistes indépendants sont également DRMisés ! (N’a-t-il pas refusé l’accès sans DRM à sa plateforme à des artistes indépendants qui le lui demandaient?)

On lui reproche également son interventionnisme pendant les débats sur la loi DADVSI, car Apple Corp. a fait monter au créneau le Secrétaire du Department of Commerce US, Carlos Guttierez. Celui-ci a fait pression sur le Sénat français pour faire annuler les dispositions sur l’interopérabilité votées à l’unanimité par les députés, au nom du peuple Français.
Sa déclaration est cependant bon signe : Il endosse l’armure du chevalier blanc au moment de quitter le navire, signe parmi d’autres que les DRM sont en train de faire naufrage (après la déclaration de Bill Gates selon laquelle les DRM ne sont pas efficaces, leur abandon par EMI, et quelques autres signes avant-coureurs). Jobs en bon vendeur et en bon communiquant veut aujourd’hui passer pour un “gentil” alors qu’il a été le premier a enfermer ses clients dans les prisons des DRM.

Et d’autre part nous partageons tout à fait l’analyse de Tristan Nitot sur son standblog : (voir ici)—–

MacPlus : Sur le plan de l’interopérabilité au sens strict, la possibilité de graver un CD de musique téléchargée légalement, puis d’en faire une copie mp3 existe bel et bien, même sur l’iTunes Store…

StopDRM : Prendre un morceau compressé avec perte, le convertir en wav et le recompresser dans un autre format compressé avec perte est un non-sens pour quiconque a des oreilles, en plus d’être une opération extrêmement pénible ! :-)?De plus, la tache est complexe pour un client non informaticien, la personne simple utilisatrice reste enfermée par ce qu’impose la combinaison Ipod+Itunes+ITMS.

MacPlus : Les DRM, tels qu’ils sont appliqués sur l’iTunes Store, étaient dès le départ bien plus à l’avantage des utilisateurs que ceux de la concurrence…

StopDRM : Le principe même du contrôle de l’usage privé est pour nous inacceptable – qu’il rende la vie complètement insupportable ou juste un peu plus pénible que s’il n’existait pas. Une prison, même dorée (ou blanche et brillante 😉 reste une prison. Dans tous les cas les DRM apportent une “valeur retranchée” par rapport aux morceaux interopérables dans un format universel (mp3, ogg).

En pratique l’utilisateur d’iPod non informaticien a les mêmes problèmes : il ne peut choisir facilement son baladeur, on lui répond que s’il reprend autre chose qu’un iPod, il devra faire des manipulations complexes pour pouvoir écouter à nouveau sa musique achetée en ligne.

Ainsi les morceaux du iTunesMusicStore verrouillent l’utilisateur dans l’utilisation des produits de la marque (iTunes Media Player + iPod) et c’est en cela qu’ils ont également une valeur négative : restriction de l’accès à la concurrence et donc compétition faussée. Ces pratiques, en plus d’être pénibles, sont nuisibles à l’économie toute entière, et donc pour le consommateur.

MacPlus : Ils ont pourtant été imposés par les Majors,

StopDRM : Pas sur les morceaux des indépendants qui ont été DRMisés dans la masse. Cette explication reste une excuse car ce besoin de DRM est aussi un besoin d’Apple pour vendre l’iPod et verrouiller les consommateurs à l’utilisation de ses produits.

MacPlus : et les éditeurs indépendants n’explorent l’autre modèle que depuis une date récente, contraint et forcés…

StopDRM : C’est faux : comme nous le disons plus haut, depuis 2004 (au moins) des (vrais) labels indépendants ont choisi de distribuer leur musique sans DRM, par conviction. Je pense au Label Bleu, à Fcom notamment, et à tous les labels distribués sur mondomixmusic.com et sur Bleep. Le label Thrill Jockey vend sur sa plateforme ses morceaux en MP3 VRB 256 kbps. Et bien tous ces morceaux de tous ces labels sont sur iTunes… avec DRM (et en qualité moindre).
cf : http://stopdrm.info/
Plus récemment Starzik a fait l’idéal (sur une plateforme certes moins ergonomique que celle d’Apple) : proposer les morceaux en FLAC (format lossless) et MP3 et OGG. En fait, ils ont le format en wav et il est encodé à la volée quand on l’achète. Une fois que l’on a payé le morceau ou l’album, on peut le télécharger dans tous les formats.
Il faut se souvenir aussi du remarquable succès d’eMusic.

MacPlus : Un paquebot ne se manœuvre de toutes façons pas aussi facilement qu’une vedette et est bien moins sensible à la houle : est-ce que ce n’était pas tout simplement pas encore le moment pour les acteurs principaux, de tirer les conséquences de la situation?

StopDRM : Tirer les conséquences, oui. Dire que ce n’est pas sa faute mais la faute des autres, non, on se croirait dans une cours d’école. C’est une façon pratique de se dédouaner à moindre frais pendant qu’il en est encore temps, en faisant mine de n’être pour rien dans “l’imposition” des DRM, alors qu’elle lui a servi pendant des années à restreindre l’accès au marché pour la concurrence et enfermer ses utilisateurs.

MacPlus : Quand Steve Jobs répond en octobre à Newsweek que personne n’a encore demandé l’interopérabilité, il s’adresse essentiellement au public américain.

StopDRM : Defective by Design, et d’autres associations sont très actives aux USA et font la même chose que StopDRM (Flashmobs dans les AppleStore américains etc.). De plus, emusic, très gros vendeur de musique hors majors, est né au Etats-Unis, du fait entre autres de la demande des américains d’avoir de la musique sans DRM. Désolé, mais du monde a demandé l’interopérabilité de l’autre côté de l’Atlantique aussi.

MacPlus : Même si vous lui donnez acte de son changement de position, est-ce que vous n’aviez pas envie au fond qu’il fasse amende honorable et qu’il reconnaisse que d’autres avant lui ont porté cette parole, en particulier en Europe? Pour résumer, de ne s’adresser aux européens un peu quand ça l’arrange?

StopDRM : Comme Hervé Rony – avec l’analyse duquel nous sommes pour une fois, et sur ce point précis uniquement, d’accord -, comme Tristan Nitot, et comme bien d’autres, nous ne sommes pas dupes du double langage de Steve Jobs. Et en absence d’acte concret, nous doutons encore de sa volonté d’enlever les DRM de Itunes. Pour reprendre votre analogie (Pascal Nègre nous pardonnera de s’essayer à sa grande spécialité ;-), le Capitaine a parlé mais le paquebot continue d’aller tout droit. Alors que d’autres, comme Fnacmusic et VirginMega, même avec du retard par rapport à certains indépendants que l’on a déjà mentionné, ont maintenant viré de bord. Quand ils l’ont fait, on a regretté que ça arrive si tard, mais nous nous sommes réjouis, car les actes comptent.
(cf le communiqué de StopDRM)).

Nous attendons donc les actes de Steve Jobs, qui n’ont maintenant plus aucune raison de tarder alors qu’EMI semble prêt à abandonner les DRMs pour les ventes de musique en ligne (voir la dépêche du 9 février).

Discussion

Le point de vue exprimé ci-dessus est bien évidemment sujet à discussion, et il rejoint parfois paradoxalement les prises de position des industriels du disque, du moins en ce qui concerne l’interopérabilité. En particulier l’analyse développée par l’excellent Tristan Nitot et à laquelle il est fait référence ne résiste pas elle, pour cette fois, à l’examen des faits :

• Non seulement le format AAC est de plus en plus répandu sur les baladeurs numériques, mais le changement de préférence dans le format de numérisation d’un CD à partir d’iTunes se fait en 3 clics… Pour des raisons qui tiennent tout autant à la qualité du format qu’au poids économique d’Apple dans le secteur. Le format AAC est devenu un standard de fait, aux côtés du mp3.

• Les CD continuent de représenter 90 à 95% des achats de musique, et la musique en ligne représente qu’une minorité infime du volume et du chiffre d’affaires de l’industrie musicale ; les gens continuent d’acheter de la musique à la fois au format CD et au format numérique. D’autre part il est aisé de passer d’un fichier protégé dans un format à un fichier non protégé dans un autre, que ce soit en utilisant des logiciels prévus à cet effet qui circulent sur la toile, soit en gravant tout simplement les fichiers protégés au format CD. Les passerelles entre les comportements d’achat d’une part, et entre les formats protégés et non protégés d’autre part sont nombreuses.

• La plupart des iPod en circulation sont effectivement toujours utilisés. D’une part tous les pays n’ont pas atteint une maturité sur leur marché du baladeur telle que les iPods, qui correspondent assez souvent à un 2e, voire 3e essai après un achat insatisfaisant, soient eux-même en phase de renouvellement. Seuls les États-Unis et éventuellement le Royaume-Uni pourraient avoir atteint ce stade.
Or l’on a vu que c’était précisément sous la pression de sa clientèle – affectivement attachée à son iPod et refusant de le renouveler – qu’Apple a mis en place un système de remplacement de batteries, d’ailleurs proposé également par d’autres sociétés tierces.

Boucle sans fin ou possible sortie de crise ?

Mais d’une façon générale, l’opinion telle qu’elle est présentée ici par le collectif StopDRM n’en est pas moins intéressante et légitime, en tant qu’elle est largement représentative de la perception de la position d’Apple qui est celle d’une partie de la technosphère française, assez largement reprise par les media grand-public.

Pourtant qu’on le veuille ou non, c’est la crispation des Majors et leur volonté d’imposer à tout prix des verrous numériques qui a contraint Apple à accepter en dernier recours un système de DRM dont elle ne voulait pas pour son kiosque en ligne… pas plus d’ailleurs que les autres détaillants (voir la dépêche). Sur un marché encore à inventer où le principal concurrent était le peer-to-peer avec une offre on ne peut plus lisible “gratuite, quasi-inépuisable et sans restriction d’aucune sorte”, il eut été suicidaire de compliquer inutilement les choses avec des morceaux à DRM et d’autres sans, alors qu’il y a à peine 2 ans, peu de gens savaient que l’on pouvait télécharger “légalement”.
C’est là qu’il faut chercher la clé principale de l’intransigeance de Jobs sur le prix unique des morceaux, mais également sur l’application de FairPlay à l’ensemble de la production indépendante vendue sur l’iTunes Store, avant le “verrouillage” des fichiers M4p à l’iPod…

En ce qui concerne la position des indépendants américains vis à vis de l’iTunes Store et de l’interopérabilité, voir le compte-rendu de l’audition à la chambre des représentants américaine consacrée à ce problème (voir la chronique du 11 avril 2005). En ce qui concerne eMusic, on notera simplement que son arrivée en Europe date de septembre 2006, avec un catalogue exclusivement constitué d’indépendants ; quand 70 à 80% du marché de la musique est toujours – mais pour combien de temps ? – assuré par le catalogue des Majors. Le positionnement des Indés et de leurs détaillants procède tout autant d’une stratégie de démarcation, de “niche” vis-à-vis de la concurrence des “gros” que d’une démarche militante.

De même, si divers indices montrent que la position des-Majors n’est pas inébranlable sur le chapitre des DRM, et pas seulement chez EMI, encore fallait-il provoquer un débat et faire avancer la réflexion… tout en pesant sur les négociations en cours qui porteront également sur ce point. C’est également-là toute l’ambiguïté de la démarche de Steve Jobs.