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Prospective

Google / Motorola : acte manqué…

Il ne fait pas bon changer de cheval au milieu du gué… du moins si l’on tient à se classer premier. Google a-t-il cherché à assurer seul sa place de deuxième, tout en se plaçant pour la course à la TV connectée ?

Boro

Publié le

 

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«People who are really serious about software should make their own hardware» (Les gens réellement sérieux en matière de logiciel devraient faire leur propre matériel).

Il est clair, à l’annonce du rachat de Motorola Mobility par Google pour le montant pharaonique de 12,5 milliards de dollars, que Larry Page et Sergueï Brin ont décidé de faire leur miel de l’aphorisme d’Alan Kay lors de sa conférence de juillet 1982 au séminaire «Creative Think». Celle-ci, comme toute sa conférence, d’ailleurs, avait si fortement impressionné Andrew Hertzfield – et à sa suite toute l’équipe qui travaillait sur le projet Macintosh – que Steve Jobs la prit pour exergue lors du lancement de l’iPhone, le 9 janvier 2007, en même temps qu’il annonçait les ambitions d’Apple sur le marché de l’électronique grand-public.

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L’annonce du rachat de l’ex-fleuron de la téléphonie américaine représente sans doute l’événement le plus important sur ce marché, désormais orienté vers «l’intelligence des objets», depuis l’annonce par Apple en mars 2008 du choix de doter l’iPhone d’un OS à part entière, accompagné d’un véritable kit de développement à destination des programmeurs… et surtout, des kids qui aspiraient à l’être (lire La révolution iPhone en marche). Or, il est loin d’être sûr – et c’est une litote – que les deux fondateurs qui ont tout récemment repris les rênes du géant de Mountain View qu’ils avaient fondé en 1998 aient saisi toutes les subtilités du marché sur lequel Google fait mine de pénétrer à son tour. Ce qui est probable, au contraire, c’est que l’apprenti-monopole a payé 12,5 milliards (sur 40 milliards de réserves, dont 10,3 de cash) la balle qu’elle vient de se tirer dans le pied, ou plus exactement le boulet qu’elle vient de s’attacher à la cheville.

Un drôle de contre-pied

Ce faisant, les 2 petits génies ont oublié deux règles fondamentales dont Steve Jobs lui-même a pu expérimenter les conséquences à son retour fin 1996 :

1 – à partir d’un certain niveau de maturité sur un marché donné, vouloir renverser le cours des choses équivaut à essayer de faire rentrer le dentifrice dans son tube, une fois qu’il en est sorti ; il aura fallu attendre le changement de paradigme dans l’interface utilisateur intervenue avec l’interface multitouch pour qu’Apple puisse espérer reprendre la main sur Microsoft dans le secteur de l’informatique… ou plutôt celui des tablettes, qui en est l’évolution.

2 – On ne change de stratégie au milieu du gué, qui plus est en abandonnant ses alliés, qu’à un coût exorbitant ; contraint de renoncer à la stratégie des clones tardivement mise en place par ses prédécesseurs, Steve Jobs s’est aliéné  durablement la confiance d’un certain nombre de partenaires d’Apple, dont Motorola au 1e chef ; le fondeur s’est vu alors obligé de reconvertir précipitamment son appareil de production vers le secteur de la téléphonie mobile. Un malentendu supplémentaire avec l’épisode du ROKR iTunes plus tard, et l’on peut mesurer avec ce rachat le fossé d’incompréhension qui sépare à présent les deux sociétés.

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Mais qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Page et de Brin, alors même qu’Éric Schmidt est toujours officiellement conseiller des 2 PDG et que, ayant siégé plusieurs années au conseil d’administration d’Apple, il est supposé avoir humé un peu de ce parfum du succès qui semble désormais s’exhaler de chaque centimètre carré du 1, Infinite Loop, Cupertino. À moins qu’il ne s’agisse d’une vengeance, pour le tout récemment mis au placard ? :langue Schmidt était pourtant présent au Board of Directors d’Apple lorsque Microsoft, avait abandonné en rase campagne ses partenaires de l’écosystème «PlayForSure» regroupé autour de Windows média Player, pour se lancer dans la calamiteuse stratégie du Zune censé damer le pion à l’iPod d’Apple…

Mieux : en mettant la main sur Motorola et ses 17 000 brevets, Google change son fusil d’épaule, et quitte la posture de la victime de l’acharnement des tenants de la propriété intellectuelle pour bientôt endosser l’uniforme passe-muraille des défenseurs de celle-ci ; l’analyse faite par Daniel Eran Dilger sur la vulnérabilité croissante de Google et de ses partenaires vis-à-vis de la licence GPL sous laquelle sont placés Android et ses différents avatars est comme à l’ordinaire tout à fait pertinente et mérite qu’on s’y arrête. Mais elle mérite également d’être élargie et replacée dans l’ensemble du contexte d’un marché désormais global.—–

Google est sur la défensive

A l’évidence, on ne change pas de monture ainsi au milieu du gué par plaisir, sinon en se mettant à dos, du moins en suscitant l’inquiétude de ses partenaires industriels, sachant qu’au bout du compte les ingénieurs de Mountain View en charge d’Androïd avaient déjà bien du mal à servir l’ensemble des fabricants de terminaux mobiles et la diversité de leurs choix technologiques et industriels… Google a ainsi éprouvé à son tour les dilemmes en cascade face auxquels Microsoft s’est retrouvé confronté, sans pour autant pouvoir tirer parti d’une position de leader sur son marché.

Car, malgré la multiplicité des poursuivants d’Apple sous ses couleurs, Androïd peine à s’imposer face à iOS, d’une part parce que l’iPhone – depuis qu’il a investi la norme CDMA avec Verizon – fait mieux que bien résister, mais principalement grâce au succès phénoménal de l’iPad : c’est là tout le sens de la lutte que mène Apple pied-à-pied face à Samsung, vis-à-vis du Galaxy Tab et de ses 10,1 pouces de diagonale d’écran.

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Déjà mise à mal par le partenariat noué avec HTC pour la mise au point du Nexus One — officiellement pour montrer aux autres constructeurs les «bonnes pratiques» mais au total un échec commercial – puis celui avec Samsung lorsqu’il s’est agi de concevoir le Nexus S, la confiance des utilisateurs d’Androïd, regroupés autour de l’Open Handset Alliance, a donc de quoi être ébranlée, sinon réduite à néant vis-à-vis d’un «partenaire» qui sera également demain un adversaire commercial… e§ même si Motorola n’était plus, et de loin, en matière de smartphone la référence qu’elle avait pu être au cours de l’ère «pré-iPhone» !

Quand à l’autre bout de la chaîne de valeur des écrans connectés, là où se jouera la prochaine grande bataille de la convergence des écrans, Google a été obligé de se replier une première fois avec sa Google TV, la version «boîtier» vendue par Logitech et la version «embarquée» commercialisée par Sony étant toutes les deux des échecs commerciaux. Dans le même temps – et alors qu’un «gros coup» de ce côté-là de la part d’Apple se profile pour les semaines ou les quelques mois qui viennent– l’Apple TV telle que nous la connaissons, tout «hobby» qu’elle est, poursuit son petit bonhomme de chemin et permet à Apple de peaufiner son modèle.

Une stratégie multi-écrans ?

Est-ce du côté de la «SmartTV» qu’il qu’il faut chercher tout ou partie de cette (très) onéreuse acquisition, et qui fait d’un coup basculer Google de la posture du «un pour tous» à celle du «seul contre tous» qui laisse d’autant plus ses anciens partenaires sans recours que Microsoft et son Windows Phone 7 viennent de se mettre, un peu honteusement, à la colle avec Nokia ?

Les décodeurs TV fabriqués par Motorola pourraient bien représenter au moins une partie de la réponse, alors que Google a également fait voici quelques semaines l’emplette du fabricant d’enregistreurs SageTV, ainsi que d’Admeld spécialisé lui dans l’optimisation et le retour sur investissement des publicités en ligne. De quoi bâtir en tous les cas une offre cohérente en prévision d’une compétition qui n’a pas encore commencé, sur un support qui draine encore la majeure partie des investissements publicitaires mondiaux. De quoi servir de support à la stratégie ambitieuse dévoilée en quelques mots lors de la conférence des développeurs tenue par Google en mai dernier, stratégie de convergence globale des services de la maison vers l’écran de TV familial, et qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à ce qu’Apple pourrait avoir dans ses propres cartons… y compris sur le jeu, domaine où Apple a une revanche à prendre.

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Alors que Google se voit contester son efficacité sur le cœur même de son métier – le taux de clic sur Bing serait supérieur à celui mesuré sur Google – le géant de Mountain View peut-il pour autant maîtriser seul l’ensemble de la chaîne de valeur des écrans connectés, depuis le smartphone jusqu’à la smart TV en passant par l’ordinateur ou la tablette, là où elle n’a pu s’imposer en s’appuyant sur l’ensemble de son écosystème ?

Rien n’est moins sûr, et ce coup de poker pourrait bien être une façon de faire main basse au passage sur la plus grosse partie possible du marché des écrans connectés en attendant les véritables Smart TV, une fois servi Apple le n°1 et face à la montée en puissance de Samsung, désormais seul capable de rivaliser sur le plan industriel avec la firme à la Pomme.

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