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Prospective

Apple, Google, HP… (2)

Après l’annonce de Google et de HP, et bien entendu celle de la démission de Steve Jobs de la direction d’Apple, quelles perspectives ? 2e et dernier volet.

Boro

Publié le

 

Par

2e volet de l’analyse du secteur IT dont le premier volet est publié ici (Apple, Google, HP…), au lendemain des annonces publiées par Intel et HP et la démission de Steve Jobs.

[15:25 :] lire la màj en fin d’article

Une économie de la rente

Le changement d’ère provoqué par la dématérialisation des contenus, précipité comme nous l’avons vu par l’adoption extrêmement rapide d’un certain nombre de technologies disruptives, a favorisé l’émergence, ou plutôt la généralisation, d’un nouveau type de modèle économique lorsqu’il est appliqué à des biens de consommation, et théorisé en 2000 par Jeremy Rafking de façon tout à fait visionnaire sous le nom de « âge de l’accès ».

L’exemple le plus probant est sans doute celui de Microsoft vendant des licences Office ou Windows en nombre aux entreprises, et non plus des boîtes de logiciels, mais le concept s’applique évidemment à la multiplication des abonnements, chaque jour plus nombreux, souscrits par l’homo numericus : téléphone bien entendu mais également Internet et si possible triple play, smartphone et son assurance, éventuellement iPad, etc. Il s’en est fallu de peu que l’industrie de la musique ne réussisse à imposer le modèle du streaming plutôt que celui de «la vente à la pièce» défendu par Cupertino, mais par le biais d’accords ou du fait de la concentration du secteur, ceci revient au fait retour par le biais des forfaits pour smartphones multimédias « tout compris ».

Dernier épisode en date de cette tendance, à destination du client final que celui-ci soit professionnel et même particulier, la tentation quasi universelle de délocaliser « dans le nuage » les contenus jusqu’ici stockés en local, chez le particulier ou sur le site de production, en une sorte de «sublimation» générale, à tous les sens du terme des nouveaux contenus générés par la dé-matérialisation. Or, et pour chaque jour plus problématique que soit la gestion de ces contenus, en particulier pour les entreprises à mesure que leurs travailleurs deviennent de plus en plus mobiles, il n’en reste pas moins que c’est moyennant l’acquittement d’un abonnement que les utilisateurs auront accès aux contenus qu’ils ont produit et qui leur appartiennent, désormais délocalisés à des tiers, avec toutes les problématiques de confidentialité et de respect de la propriété intellectuelle que cela sous-tend.

Enfin, dernier élément d’une liste qui n’est sans doute que provisoire, l’actuelle guerre des brevets à laquelle on assiste au niveau des entreprises pour obtenir le versement de royalties, qui n’a d’abord concerné que des « patent trolls » ou des règlements à l’amiable une fois que le marché avait désigné son vainqueur, et qui tend désormais à se généraliser pour devenir une source de revenus à part entière pour les entreprises exclues du partage.—–

Quelle analyse du marché pour Google et HP ?

A l’évidence, et sans doute parce que les deux sociétés et leurs dirigeants sont américains, les décisions annoncées par Google puis HP chacune de leur côté témoignent de leur acceptation, au moins implicite, du leadership d’Apple sur le marché des «smart devices », et sans doute de l’informatique personnelle dans un avenir raisonnable à mesure que la place des tablettes et des nouveaux appareils de «l’ère post-PC » – appelons-la «ère de l’intelligence des objets» – est appelée à croitre.

Chez Google, il est difficile de croire que l’argent brûlait les doigts des dirigeants au point de dépenser 12,5 milliards de dollars pour les 17 000 brevets certes détenus par Motorola, mais qui ne portent pas sur ce qui qui fait l’essentiel de la valeur ajoutée des smartphones : l’expérience utilisateur. Tout juste permettraient-ils de se garder des attaques d’un certain nombre de «patent trolls» sur le terrain de la téléphonie proprement dite, par exemple des réseaux 3G ou LTE, dans un contexte où l’attitude de Google vis-à-vis des brevets apparaît rien moins qu’ambivalente après l’épisode Nortel.

Quand à l’électronique, malgré l’adoption d’Android sur les smartphones et les tablettes proposées par la marque, celle-ci n’a pas montré pour autant une réussite éclatante, fut-ce parmi les fabricants qui ont choisi de rejoindre l’écosystème de Google. Réussira-t-elle mieux sur le plan de la téléphonie et des tablettes en tant que « démonstrateur des bonnes pratiques «, à l’instar d’un LG ou d’un Samsung, et en tous les cas mieux qu’avec le ROKR issu du partenariat avec Apple ? La question mérite au moins d’être posée, et celle-ci reste d’ailleurs également valable en ce qui concerne la Google TV, dans un contexte où les accords de partenariat avec les opérateurs fibre et telecom joueront en outre un rôle primordial pour décider de qui bénéficiera de la valeur ajoutée.

Chez HP, le changement de paradigme est annoncé au lendemain de la publication des chiffres compilés par Gartner pour l’Europe de l’Ouest (lire France : Apple progresse au Q2)), chiffres qui prenaient acte du très fort fléchissement de la demande non seulement des particuliers (-27 %) mais également celui des entreprises (-9%), dans une perspective économique de crise annoncée sur fond de velléités de réduction de la dépense publique ; si l’on rajoute pour faire bonne mesure la véritable «vrille à plat» encaissée par le segment des «netbooks» (-53 % !!) qui servait jusqu’ici de cache-misère aux fabricants, sous l’effet du phénomène des tablettes, les comptes d’Apotheker le nouveau CEO d’HP ont été vite faits.

Considérant d’une part que le marché du PC sous Windows, non content de perdre de la valeur depuis des années, se préparait également à perdre du volume sur les marchés occidentaux pour voir son centre de gravité basculer vers les pays émergents et que d’autre part, sur le segment très prometteur des tablettes et autres téléphones tactiles, la «greffe Palm» ne prenait pas malgré une baisse de prix, autant ne pas y répéter les mêmes erreurs et en abandonner la fabrication aux Chinois et aux Taïwanais. HP emboîte ainsi le pas d’IBM, lequel avait choisi dès 2005 de se débarrasser de sa filiale PC au profit du Chinois Lenovo, pour se consacrer pleinement au marché plus lucratif de l’abonnement et du service aux entreprises. HP expérimente d’ailleurs ce modèle avec de l’impression à la demande depuis 2007, parallèlement à son activité historique dans les imprimantes.

Mais cette démarche est-elle susceptible de réussir à tous les coups ? HP peut certes réussir à financer une partie du rachat d’Autonomy et de sa restructuration, grâce à la vente de sa division Personal Service Group après 3 plans sociaux en moins de 10 ans et celle de Palm, voire celle de WebOS par exemple à Samsung désormais seul capable de tenir tête à Apple, pour devenir grâce à Autonomy et à ses algorithmes une référence en matière de «cloud» et de services aux entreprises. Pourra-t-elle continuer à supporter le développement «hors sol» de WebOS, pour le commercialiser sous licence aux fabricants de terminaux ? La chose paraît plus délicate.

Et surtout, les exemples d’entreprises passées au bord de la faillite pour avoir fait une analyse correcte des changements à l’œuvre dans le dématérialisation et précipitant un changement radical et prématuré du modèle économique, accompagné de dispendieuses acquisitions, ne manquent pas tels le Vivendi Universal de Jean-Marie Messier, ou le Real Network / Rhapsody de Rob Glaser.

La possibilité de voir HP finir par céder sa filiale à vil prix à un assembleur Indien ou Chinois, faute de trouver un repreneur et après avoir contribué pendant plusieurs années à faire perdre de la valeur à ce marché n’est pas non plus à écarter, pas plus que celle qui verrait les éléments les plus doués de WebOS, ou les plus «Apple-compatibles» rejoindre en définitive le campus de Cupertino.—–

Un jeu de dupes

Qu’il nous soit permis à ce stade de pousser un coup de gueule : prétendre inférer la valeur d’une marque comme Apple par extrapolation de l’analyse de la valeur des composants des produits qu’elle propose, fut-ce par un cabinet qui a bâti son modèle économique précisément sur ce type d’analyse des entrailles électroniques de produit high tech, relève au minimum du contre-sens sinon de l’escroquerie intellectuelle… ceci dit des colonnes où l’on a, dès le début de la médiatisation de ces analyses, ferraillé (longtemps dans le désert) en martelant que le bénéfice réalisé sur un produit était une chose distincte de la marge brute de celui-ci…

Celle-ci, telle que calculée par iSupply, mésestimait ainsi notablement la part de l’OS dans le coût de développement des iBidules conçus et commercialisés par la Pomme, en particulier à partir de l’iPhone et de l’iPod touch : point ne suffit en effet de leur appliquer un barème de tarification EOM tel que peut le pratiquer Microsoft avec les constructeurs de son glacis… autant se livrer à l’autopsie de la poule aux œufs d’or de la fable !

Et encore, les marges brutes réalisées par Apple – lesquelles oscillent entre 35 et 40% – méritent-elles d’être comparées celles d’autres acteurs majeurs de l’industrie, celles d’Intel oscillant entre 60 et 70% quand celles de Microsoft varient selon les années entre 70 et 80% ! De fait, nous sommes là au cœur de la problématique à laquelle l’ensemble des constructeurs de PC sont confrontés, qui vient d’emporter, sinon HP dans son ensemble du moins sa division Personnal Service Group et l’équipe de Palm : ils sont entrés dans une spirale suicidaire qui les a conduit à détruire leurs marges, tandis qu’Intel et Microsoft se débrouillaient pour maintenir les leurs… Apple se concentrant sur sa spécificité et sa valeur propre, tout en gardant des règles de saine gestion.

Car on l’a vu, et au premier chef les nouveaux utilisateurs de matériel Apple l’expérimentent chaque jour, c’est sur cette synergie entre matériel et logiciel, hardware et software que repose on pourrait dire corps et âme la particularité de ce que produit ce corps social particulier qu’est Apple, au-delà même de la culture d’entreprise sans doute sans équivalent, au moins dans l’industrie IT.

Outre le Newton de l’ère pré-Jobs, les seuls exemples équivalents dans l’industrie électronique sont sans doute à rechercher chez de petites structures comme Psion, RIM (Blackberry) ou Palm… d’ailleurs fondée par des anciens de la division Newton après son abandon par Apple et cornaquée depuis par Jon Rubinstein, lui-même crédité pour une bonne part du renouveau d’Apple, jusqu’à son départ en 2004. Racheté voici moins d’un an par HP, Palm et son WebOS n’auront pas su échapper au destin du PJB-100 et de sa «solution complète» développés par le System Research Center de Compaq, après son rachat par… HP, en 2001 (lire iPod Backstage, Les coulisses d’un succès mondial, Dunod, 2005, Paris, chapitre 2)

Infinite Loop, définitivement ?

L’an passé, nous évoquions déjà cette désynchronisation des cycles de certains produits de la marque (lire «Q2 2010 : 4,5% de PDM en France»), alors que celle-ci a changé de dimension avec un chiffre d’affaires qui a décuplé depuis 2004, et un portefeuille de produits en de services qui accompagne la lame de fond de la dématérialisation des contenus, au fur et à mesure que celle-ci avance et «avale», secteur après secteur, tous les aspects de la connaissance et de la culture, en y apportant sa touche. Car si Apple y prélève à chaque étape sa dîme, et auprès de chacun des acteurs, elle fait également en sorte que l’utilisateur final en prenne sa part, que ce soit en termes financiers ou bien entendu d’usage.—–

Autre écueil, alors que le vaisseau désormais imposant et jusqu’ici commandé par un Steve Jobs – qui a à l’évidence soigneusement choisi le moment de sa sortie – s’apprête à mettre le cap sur des eaux réputées plus calmes, une part conséquente du carré de ses officiers – c’est-à-dire de son équipe de responsables – est susceptible à tout moment de poser sac à terre pour trouver un nouvel enrôlement, considérant que sa mission est terminée. Ce fut déjà le cas de Jon Rubinstein, de Tony Fadell ou d’Avie Tevanian par le passé, et plus récemment de «Bert» Serlet :langue ou de Ron Johnson.

Or, et c’est une bonne nouvelle qui ne ravira sans doute pas tout le monde à Redmond ou à Mountain View, tout porte à croire que Steve a non seulement compris de quoi il en retourne, mais a surtout mis en place pour sa société les solutions qui découlaient de l’analyse de ses forces et ses faiblesses :

Question produits, le seul modèle de l’offre Apple qui pour l’heure échappé au train de sénateur des mises-à-jour dodécamestrielles, ou presque, est le MacBook air, précisément le modèle positionné sur le segment des Netbooks et mini Netbooks qui est en train littéralement d’exploser en vol (- 47% en France et – 54% en Europe de l’Ouest) après avoir porté la croissance du secteur ces dernières années. Et pour ceux qui restent encore à sortir, les derniers qui auront reçu l’imprimatur de Jobs ne sortiront que dans 18 mois à 2 ans, en vertu du cycle d’amortissement de 3 ans adopté voici quelques trimestres.

Quand à ceux qui restent à inventer, pour ce qui préoccupait investisseurs et commentateurs depuis 2004, date du premier congé médical de Jobs, c’est à dire sa capacité à diffuser et irradier sa passion non seulement pour le design, mais surtout pour l’innovation centrée sur l’expérience utilisateur et son souci obsessionnel du détail qui ont précisément fait la différence d’Apple d’avec la concurrence, où même avec en perspective très rapidement les 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires, chaque dollar ou euro dépensé s’efforce de l’être efficacement, Joel Podolny un spécialiste de la problématique enseignant à Havard a été chargé il y a quelques mois déjà de faire, à travers «l’Apple Academy», de chaque cadre de la société une sorte de Charles Gervais à la mode californienne (souvenez-vous : «ll est odieux, mais c’est divin»)…

Ayant été à bonne école, l’équipe dirigeante actuelle, et Tim Cook au premier chef, n’en aura pas besoin mais nul doute que le nouveau campus circulaire – le concept d’Infinite Loop n’est jamais très loin lorsqu’il s’agit d’Apple – a été pensé pour recentrer et dynamiser la démarche des 12 000 personnes, pour l’instant dispersées, qui vont y travailler dès 2015 ! Mais ce dont ce nouveau campus ne protègera pas la marque, c’est bien du complexe de supériorité par rapport à ses compétiteurs, et qui a bien failli la mener à sa perte…

Les sceptiques peuvent bien faire mine de sourire, Apple doit être présente d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur de la dématérialisation des contenus, de la poche jusqu’au divan, y compris en passant par une TV connectée/pico-projecteur/media center/centrale domotique s’il le faut, ou quoi que soit d’autre, centré sur les usages de l’utilisateur, à mesure que «l’internet des objets» se voit même dépassé par «l’intelligence des objets»… (lire Google / Motorola : acte manqué… Faute de quoi le californien pourrait se voir lui aussi réduit à jouer les utilités, face à l’appétit des FAI et autres opérateurs Télécoms… La réflexion en interne à ce sujet ne date pas heureusement pas d’hier, alors que les utilisateurs d’iTunes font, tels M. Jourdain, à chaque version sans le savoir, davantage de cloud computing

[MàJ et rebondissement] Daniel Eran Dilger explique dans AppleInsider comment, justement, Samsung et Motorola Mobility se servent de leurs brevets portant sur les technologies devenues standard du marché (comme par exemple le WiFi ou la 3G), pour essayer de contrer l’actuelle suprématie d’Apple sur le secteur et ses tentatives pour faire respecter son design, au lieu de demander des royalties à hauteur de leur contribution aux utilisateurs de la technologie en question, comme c’est l’usage en pareil cas.

C’est un peu comme si, dominés sur le plan du jeu à la prochaine coupe du monde, les Anglais interdisaient le jeu à la main aux Néo-Zélandais sous prétexte que c’est eux qui ont inventé le Rugby.

Le risque ? C’est le retour au be-bop et à la foultitude des petits protocoles propriétaires, et que tout le monde retourne jouer à la baballe dans son coin. Comme il est dit des les tontons flingueurs…

AppleInsider

La 1e partie de cette chronique est publiée ici (Apple, Google, HP…)