Suivez-nous

Édito

Apple, à l’épreuve de la transparence

Caractérisée jusqu’ici par son culte du secret, Apple a entrepris de lever un coin du voile sur ses secrets de fabrication…

Boro

Publié le

 

Par

Parmi les griefs et les incompréhensions qui émaillent les relations tumultueuses qu‘Apple entretient avec les médias, mais également les organisations environnementales, on trouve au premier chef la communication «segmentée» du californien. De fait, et en réaction au grand «n’importe quoi» des annonces tous azimuts qui avaient précédé son retour aux commandes début 1997, Jobs avait immédiatement imposé une communication beaucoup plus efficace et maîtrisée.

D’abord appuyée sur les 5 grands rendez-vous annuels de la société – janvier à la Macworld Conference & Expo de San Francisco ; février à celle de Tokyo ; juin à la World Wide Developer Conference de San Francisco ; juillet à la Macworld de la côte Est des Etats-Unis, N-Y ou Boston ; septembre à Paris – et les keynotes de Steve, cette communication s’est de plus focalisée sur les «produits», au fur et à mesure de la montée en puissance des AppleStore de brique-et-mortier… et de la disparition les unes après les autres de chacune de ses grand-messes correspondant à ses grands marchés continentaux.

Notons d’ailleurs que parallèlement aux rendez-vous réguliers longtemps donnés par la firme de Cupertino sur chacun de ses grands marchés – US, Japon, EMEA – celle-ci ne rechignait pas à présenter certains produits lors d’un évènement spécial lorsque la fenêtre de tir des salons était ratée ou la thématique particulière, comme ce fut par exemple le cas « à domicile» le 21 novembre 2001 avec l’iPod puis avec la musique en genéral.

Une communication «empirique»

Outre la WWDC de juin destinée en priorité aux développeurs et à leurs problèmes concrets, ce sont ces «special Events» centrés sur les «nouveautés-produits» qui subsistent aujourd’hui. Apple a fait ainsi le choix de s’adresser directement au public par le biais desdits produits largement accessibles empiriquement et disponibles un peu partout dans les AppleStore, les Apple Premium Reseler ou les «Store-in-the-Store» des grandes surfaces.

Non moins empirique et rompant par son rationalisme cartésien avec la glose scolastique généralement souhaitée pour eux-mêmes par ses concurrents, si l’attitude adoptée par la firme de Cupertino peut être largement expliquée par une réaction envers la quantité astronomique de conneries déversée sur son compte, quoi qu’il arrive, par les commentateurs de tous niveaux, celle-ci n’a pourtant pas manqué d’être stigmatisée par les mêmes comme étant «rigide», «verrouillée» si ce n’est «manipulatrice».

Parallèlement et par un effet agoniste pervers, un certain nombre d’organisations environnementalistes ont compris à partir de 2005 tout le parti qu’il y avait à tirer de la nouvelle notoriété d’Apple, au fur et à mesure que l’iPod puis l’iPhone attiraient l’intérêt du public en drainant à leur suite celui des medias. Computer Take Back Campaign, Greenpeace puis des organisations humanitaires comme par exemple Students and Scholars Against Corporate Misbehavior, se sont servis du nom d’Apple comme d’un efficace vecteur de communication. La marque à la Pomme s’est ainsi vue tenue pour responsable par défaut de l’ensemble des nuisances sociales et environnementales générées par l’industrie électronique toute entière, et de fait mise en demeure de susciter le changement des pratiques du groupe par l’exemplarité de son comportement.

Des changements sous la pression

Or quels que soient par ailleurs les efforts objectifs entrepris en ce sens à Cupertino, assortis d’autres plus modestes en matière de communication sur le sujet, c’est bien l’absence de transparence totale en la matière qui à la fin des fins a constitué l’essentiel des reproches adressés au créateur de l’iPad. Le courrier adressé par Tim Cook sur le sujet à ses employés en fin de semaine dernière (lire «Offensive d’Apple sur le front social»), et publié pour la première fois par nos amis de MacGénération, constitue donc avec les mesures qui l’accompagnent la réponse circonstancielle à ce problème de communication, dans la mesure où la perte de la maîtrise réelle de ce qui se passe dans les usines Foxconn ou Inventec est la conséquence.

Apple a en effet durci les conditions de responsabilité de ses fournisseurs, tout en multipliant pratiquement par deux les contrôles sur place effectués par ses équipes. Outre la lutte contre le travail des enfants prise très au sérieux et menée en particulier jusque chez les «sous-traitants de sous-traitants», ces modifications portent sur l’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité, de salaire, d’hébergement et de couverture médicale des ouvriers qui participent à la fabrication des produits de la marque, en même temps que l’accès à des programmes de formation parallèles, ainsi qu’à un minimum de libertés syndicales…

Mais surtout, Apple se fait violence en publiant la liste de ses sous-traitants et fournisseurs, dont il délègue les inspections à une ONG consacrée à la progression des conditions de travail à l’échelle mondiale, la Fair Labor Association.

Des positions intenables ?

Dans le même temps, Apple se met en conformité avec la législation américaine, laquelle vise à responsabiliser les entreprises vis à vis de l’origine et de la provenance des matières premières qui entrent dans la fabrication des produits qu’elles commercialisent, et en particulier ce que l’on appelle les «minerais du sang» : métaux ou terres rares provenant de zones de conflits ou de non-droit, objet de racket ou de pillages quand elles ne sont pas à l’origine de guerres régionales, et dont l’industrie électronique fait un usage de plus en plus large.

Délégation pour délégation, l’absence de contrôle sur «ses» milliers d’employés n’est donc pas le seul corollaire, pour ne pas dire la limite, inhérente à la position de constructeur «sans usine» (lire «Tim Cook, charbonnier maître chez lui») pour la marque qui voici bientôt 30 ans s’enorgueillissait de fabriquer ses Macintosh sans une seule intervention humaine. Tim Cook est un pragmatique : le changement intervenu ici va t-il se cantonner à sa seule communication, alors que la donne géo-économique est sur le point de changer ?