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Prospective

Apple va mourir : l’Empire Fantôme des mauvaises nouvelles

Apple va mourir. Cette fois c’est sûr. Demain, après demain, qu’importe. L’Empire Fantôme, le livre de la chroniqueuse Yuwari Iwatani Kane, nous l’explique à nouveau. Et sans doute, une nouvelle fois, à tort.

iShen

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Un adage populaire dit que si on chasse un chat par la porte, il revient par la fenêtre. Les prévisions pessimistes voire même mortifères au sujet d’Apple fonctionnent beaucoup comme ces petits félins agiles : elles s’immiscent partout et à n’importe quel moment (même quand Apple affiche des résultats records), elles retombent sur leurs pieds même quand les faits les démontent années après années, et comme les chats encore, elles ont plusieurs vies, renaissant de plus belle après chaque déroute que le principe de réalité leur inflige.

Et donc, une fois de plus, une journaliste bien sûr spécialiste de la question, ancien reporter attitrée sur Apple (et travaillant au WSJ, c’est plus crédible), annonce un prochain ouvrage dont les premières lignes donnent le ton : Apple va une nouvelle fois mourir. Yuwari Iwatani Kane, l’auteur de L’Empire Fantôme (autant y aller à fond), aurait même reçu la bénédiction d’Isaacsson sur le contenu de son livre. C’est dire.

Le projet est décrit par Fortune comme très détaillé et basé sur un travail de fond qui aurait fait émerger des informations internes à Apple, pavant la voie d’un discours qui, une fois de plus, mise absolument tout sur l’annonce presciente de la fin plus ou moins imminente d’Apple.

Plongeons donc dans le premier extrait fuité ou “teasé” et faisons foin des précautions : la critique qui s’y déploie rend bien perplexe sur la volonté réelle de l’auteur de gratter l’écorce du visible. Bille en tête, Iwatani ose comparer la situation de l’après Steve Jobs des années 80 avec celle qui a placé Tim Cook à la tête d’Apple suite à la maladie tragique de Steve Jobs. Apple n’avait pas d’éco-système en 1985-86 (aujourd’hui iTunes), pas d’autres produits que le Mac (aujourd’hui l’iPhone, l’iPod, l’iPad, l’Apple TV et sans doute bientôt une Iwatch), pas de designer star et reconnu (aujourd’hui Jonathan Ive), et sans doute pas les cadors qui aujourd’hui occupent des postes de Senior Vice President. Et pourtant, Iwatani fait un parallèle strict avec l’embellie très courte des ventes de Mac qui a suivi le départ de Steve Jobs avec la montée des ventes de l’iPhone ou de l’iPad. Comme si seule la prise en compte de ce curseur au détriment de tous les autres suffisait à établir une ligne de vie. Ca commence mal :

Quand Jobs a été viré en 1985, l’impact de son absence sur le business d’Apple n’a pas été immédiatement évident. Après un démarrage poussif, les ventes de Mac ont commencé à grimper. Deux ans après le départ de Jobs, les ventes avaient presque doublées comparativement à celles effectuées 3 ans plus tôt, et la marge bénéficiaire avait atteint un incroyable niveau de 51%. Les apparences extérieures suggéraient qu’Apple n’avait rien loupé.

Et l’auteur de surenchérir sur cette sourde maladie qui aurait soudain pris Apple à la gorge : le business prenant le pas sur la croisade pour un monde meilleur, petit à petit, forçant insidieusement les patrons successifs de l’entreprise à virer les mauvaises personnes (clin d’oeil appuyé au lienciement de Forstall par Cook), et à en garder d’autres, pour le coup vraiment mauvaises et nuisibles pour le groupe.

Sauf que ce seul passage est tellement à côté de la réalité économique et tout simplement culturelle de l’Apple du début des années 80 que l’on en vient à se demander si l’auteur sait qu’il est possible de se renseigner à peu de frais sur les évènements de cette époque. Dés que le Mac fut une réalité en 1983, Steve Jobs n’eut qu’un seul but, un seul objectif, le vendre en masse. Son prix proposé aux alentours des 2500 euros fut refusé par la direction d’Apple qui le trouvait trop bas pour garantir une marge élevée. Jamais l’Apple de cette époque, déjà très différent du garage des années 70, n’a été dirigé par d’autres personnes que des individus désireux de faire de l’argent avec des idées, même si les moyens de le faire différaient. Le Mac n’était pas une croisade, c’était avant tout la revanche brillante d’un Steve Jobs évincé et mis au placard par sa direction. L’Apple de cette époque subissait des soubressauts au rythme des affects de Steve et il y a de grandes chances, Steve Jobs lui-même en conviendra plus tard, que si Apple avait gardé son fougeux et jeune patron à cette époque, non seulement l’entreprise se serait quand même retrouvée en grande difficulté, mais il n’y aurait sans doute même pas eu l’épisode glorieux (niveau ventes) des années 87 – 92.

Steve Jobs en 97, juste avant son retour chez Apple, n’était déjà plus le Steve Jobs de 85. En cela, le simple fait de croquer le co-fondateur d’Apple en icone inamovible et ayant toujours eu raison présage bien mal du reste de l’ouvrage. Etablir une critique hors-sol et hors contexte, sans tenir compte de la simple évolution des individus dans le temps, sans même comparer à minima les différences gigantesques entre les atouts du Apple des années 80 et ceux du Apple d’aujourd’hui, ressemble à nouveau à un énième conte rempli d’horreurs prédictives ayant pour seul but de faire frémir un auditoire habitué à aimer se faire peur sur cette entreprise.

L’insigne différence, la plus grande entre les deux époques, réside aussi dans la façon dont Apple digère ses échecs. Dans les années 90, la chute du Performa et le manque d’innovation avaient déjà presque scellé le tombeau de l’entreprise. Mais aujourd’hui, l’échec d’un Ping ou les débuts cahotants de Maps ne font que pousser Apple a toujours plus d’exigences : se séparer sans pitié de ce qui ne pourra pas fonctionner (Ping) et remettre sans relâche sur l’ouvrage quand la stratégie du groupe est en jeu (Maps). Il n’y a plus de panique, il n’y a plus de chute. Apple intégre ses erreurs comme elle intégre ses succès. Elle est sur ce point conforme à l’animal à sang-froid qu’était devenu Steve Jobs à son retour en 97.

Apple innove aujourd’hui de la même façon qu’elle avance pragmatiquement sur de nouveaux marchés : avec patience, un peu de lenteur, mais surtout constance. L’Apple de 1980 fonctionnait par coups de génies, combats d’égos et autant de pathos, ce qui a bien failli la détruire. Alors certes, tout peut toujours arriver aux entreprises les plus solides, mais comparer deux périodes de l’histoire des technologies aussi dissemblables et à l’intérieur de ces périodes une entreprise aux visages si différents, c’est prendre d’emblée le mauvais chemin pour tenter de démontrer qu’Apple court à sa perte. Le conte lui, est toujours aussi effrayant.

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