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Interview

3 questions sur la riposte graduée…

à Olivier Henrard, conseiller juridique au cabinet de la ministre de la culture et de la communication

Boro

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[MàJ: Viviane Reding avait en fait accepté l’amendement défendu par Guy Bono (voir la depeche) et proposé oralement en séance]

Branle-bas de combat chez les partisans de la loi “Création & Internet”. L’adoption de l’amendement Bono-Cohn Bendit au sein du “Paquet Télécom” a fait l’effet d’un coup de semonce chez les partisants de la riposte graduée. Celui-ci prévoit en effet qu’aucune restriction à la liberté d’expression et d’information ne puisse être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire, considérés comme un droit fondamental par la résolution du Parlement européen du 10 avril dernier (voir l’édito du 24 septembre), ce que la quasi-totalité des éditorialistes n’a pas manqué d’interpréter comme un coup mortel porté au concept de riposte graduée dont l’exécutif français s’était fait le chantre au niveau européen.

Immédiatement, les tenants de la position française sont montés au créneau en ordre dispersé, ce que n’a pas manqué de railler l’Eurodéputé Guy Bono avec un brin de cruauté en appellant les différents membres de gouvernement qui se sont exprimés sur le vote à accordés leur position. Au soir-même de l’adoption du texte, le secrétaire d’État à l’industrie et à la consommation également porte-parole du gouvernement a “tenu à saluer, en tant que président en exercice du Conseil des ministres européens chargés des communications électroniques, le vote du Parlement européen sur le « paquet télécom »”. Était-ce dû à un “raté” dans le cabinet du secrétaire d’État? Toujours est-il que plus tard dans la soirée le ministère de la Culture a publié un communiqué de presse où cette fois la ministre a pris soin de s’investir personnellement, en opposant une fin de non-recevoir à l’interprétation de l’Eurodéputé, en déniant notamment toute incidence du dispositif dit de “riposte graduée” sur les libertés fondamentales et en rappelant l’absence de soutient de la commission et des États membre du Conseil de l’Union à un amendement de cette nature.

Le lendemain, c’est le porte-parole de l’UMP qui ruinait la partition de dé-dramatisation écrite rue de Valois, en sur sur-jouant et à contre-temps les trompettes martiales qui dénonçaient la “croisade du PS contre la culture et les artistes”, et réclamant sur-le-champ l’inscription en urgence du projet “création et internet” à l’ordre du jour du Parlement français, soutenu en cela par la basse continue (encore et toujours sur le même refrain ?) de Pascal Nègre au nom de la Société Civile des Producteurs Phonographiques. Le même Guy Bono, décidément très seul, a d’ailleurs eu beau jeu de rappeler qu’un tel texte technique ne pouvait être adopté sans l’aval de la commission, et qu’au reste son amendement avait été très largement adopté, soutenu par l’ensemble des groupes du parlement européen, et notamment le Parti populaire.

Nous avons posé 3 questions au ministère de la Culture, et c’est Olivier Henrard, conseiller juridique, chargé des industries culturelles,
de la propriété intellectuelle, du marché de l’art, du mécénat et des études cabinet de la ministre de la culture et de la communication qui nous a répondu.—–

MacPlus : Mme Albanel fait remarquer que “sur le fond [l’amendement Bono] se borne à rappeler un principe très général, qui n’ajoute rien au droit existant.” La résolution du Parlement votée le 10 avril dernier recommande d’éviter l’adoption de mesures telles que l’interruption d’accès à internet, celui-ci étant désormais considéré par l’assemblée comme un droit fondamental dans la société de l’information. Le même texte soulligne également que la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à tirer des profits n’est pas la solution pour lutter contre les réseaux de piratage.

Quelle est la position de Mme Albanel sur ces points de la résolution sur les industries culturelles en Europe, que l’on n’a pas vus commentés jusqu’ici. 
 

Olivier Herard :

a) le rapport en question est dépourvu de toute portée juridique ;

b) c’est le droit actuellement applicable en France (comme dans tous les pays européens d’ailleurs) qui “criminalise” les internautes, puisque la seule procédure possible est correctionnelle ; le projet “Création et Internet” vise au contraire à ouvrir une nouvelle possibilité de réponse, à la fois non pénale et essentiellement pédagogique puisqu’il sera possible (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) d’avertir les internautes des risques encourus avant toute sanction, et que celle-ci (une suspension de l’abonnement de quelques semaines à quelques mois) ne sera plus correctionnelle mais directement en rapport avec le comportement auquel il s’agit de mettre fin.

Plus précisément, aujourd’hui, le seul recours offert aux entreprises et aux créateurs dont les œuvres sont piratées consiste à invoquer devant le juge le délit de contrefaçon. L’internaute s’expose alors à des poursuites devant le tribunal correctionnel, avec possibilité de sanction au premier téléchargement illégal. Les peines prononcées par les tribunaux à l’encontre des pirates se montent à plusieurs milliers d’euros d’amende, parfois assortis de prison avec sursis.  Les procédures correctionnelles peuvent donner lieu à des visites domiciliaires, et à la saisie des ordinateurs.

Certes, les ayants droit recourent pour l’instant avec beaucoup de retenue à la voie pénale : quelques centaines d’actions seulement ont été engagées par l’industrie musicale. Mais cette retenue doit beaucoup aux engagements des pouvoirs publics d’offrir, à court terme, une alternative aux créateurs et aux industries culturelles. L’expérience étrangère démontre que l’absence d’une telle solution aboutit à une saisine massive de la justice pénale : ainsi, des dizaines de milliers de plaintes sont actuellement enregistrées par les parquets en Allemagne et c’est ce qui se passerait en France si les créateurs étaient privés de la possibilité alternative que vise à leur ménager le projet de loi.

Désormais, la lutte sera essentiellement pédagogique puisque deux avertissements précéderont toute sanction – alors que le juge peut sanctionner dès la première infraction ; le second avertissement sera envoyé par lettre recommandée, de façon à s’assurer que l’abonné a bien pris connaissance du manquement qui lui est reproché. Le projet du Gouvernement doit être efficace dès cette phase préventive : un sondage IPSOS réalisé en France au mois de mai 2008 et une étude du même type au Royaume-Uni en mars 2008, font apparaître que 90% des personnes interrogées cesseraient de pirater après deux avertissements. 
Le recours au juge restera possible, mais il s’inscrira en complémentarité avec le nouveau dispositif : il servira à traiter le cas des fraudeurs massifs, de ceux qui se livrent au piratage dans un but lucratif, ou encore de ceux qui développent des techniques destinées à permettre le piratage.—–

MacPlus : Le communiqué conclut que “les mesures envisagées par le projet de loi ne portent en aucun cas atteinte aux « droits et libertés fondamentaux ».” Une étude conduite par le Département d’Informatique de l’Université de Washington publiée le 5 juin dernier (http://dmca.cs.washington.edu/uwcse_dmca_tr.pdf) a montré expérimentalement avec quelle facilité il était possible de leurrer les dispositifs techniques utilisés pour identifier les adresses IP des usager de réseaux d’échange de fichiers.

Quelles sont les mesures envisagées ans ces conditions par le ministère pour garantir les libertés fondamentales, et en particulier la présomption d’innocence, comte-tenu que la collecte des adresse telle que prévue par le texte de loi français sera effectuée par des officines, commanditées par les ayant-droits même si la suite de la procédure doit être mise en œuvre par l’autorité Hadopi.
 

Olivier Herard :

La collecte des adresses IP des internautes pirates par les agents assermentés des sociétés d’auteurs est déjà prévue dans notre droit, dans le cadre d’autorisations délivrées par la CNIL selon les prescriptions d’une décision “SACEM” du Conseil d’Etat du 23 mai 2007. Le projet “Création et Internet” ne change donc rien sur ce point. Ce qui change, c’est que la procédure subséquente, au lieu d’être pénale, est confiée à la Haute Autorité. Celle-ci présente de multiples garanties pour protéger la vie privée (point qui a été bien entendu vérifié par le Conseil d’Etat lors de l’examen du texte ) :

•  la Haute Autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l’abonné, auprès des fournisseurs d’accès Internet, les données personnelles – nom et coordonnées – strictement nécessaires à l’envoi des messages d’avertissement. Cette Haute Autorité, qui s’interpose entre les protagonistes, marque l’originalité de ” l’approche française “, plus protectrice de la vie privée que d’autres expériences étrangères où les internautes sont directement aux prises avec les ayants droit où les fournisseurs d’accès Internet.

• Au sein de cette Haute Autorité, c’est une commission qui présente toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance qui traitera les dossiers : elle sera exclusivement composée de hauts magistrats et disposera d’agents publics dont l’absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables à leur recrutement.

• La circonstance que le mécanisme soit confié à une autorité administrative indépendante et non à un juge ne rencontre aucun obstacle juridique. Le Conseil constitutionnel a en effet confirmé à de multiples reprises la possibilité, pour une autorité non judiciaire, de traiter des données personnelles, dès lors que la procédure suivie est encadrée par le législateur et qu’elle vise à assurer le respect d’autres exigences constitutionnelles – ce qui est précisément le cas ici , avec le respect du droit de propriété. Le Conseil constitutionnel a par exemple estimé que l’amélioration de la qualité des soins et la réduction du déséquilibre financier de l’assurance maladie justifiaient la création du dossier médical personnel, directement mis en œuvre par une administration.

•  Comme je l’ai dit plus haut,  le projet ne permet la collecte d’aucune information nouvelle sur les internautes. Toutes les données nécessaires pour mettre en œuvre le mécanisme de prévention géré par la Haute Autorité sont celles qui sont d’ores et déjà relevées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires. Cette collecte se fait selon des modalités autorisées par la CNIL. Simplement, le juge ne sera plus le seul destinataire possible des constats ainsi dressés : la Haute Autorité sera également compétente pour les utiliser, afin de mettre en œuvre le mécanisme de prévention.

• En tout état de cause le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ne manqueraient pas de prévenir ou de censurer toute atteinte aux libertés commise par le Gouvernement ou par le législateur.

MacPlus : Enfin, pourquoi se priver des potentialités offertes par les réseaux d’échanges pour la distribution légale des contenus (mutualisation de la bande passante, marketing viral, etc.) et des sources de revenus sous-jacentes ? Autre exemple, on vient d’apprendre que la première plate-forme de téléchargement légal – iTunes Store pour ne pas la nommer – devrait diffétrer d’un trimestre le lancement de sa boutique cinema du fait de l’obligation de proposer des sous-titres quand l’industrie, à tort ou à raison, pleure sur le manque à gagner occasionné par les réseaux P2P…

Est-ce que la raison d’être du ministère n’est pas d’accompagner le secteur dans sa mutation technologique, pourquoi pas en avançant des moyens dans l’exemple des sous-titres, mais plus généralement en poussant celui-ci à changer son modèle économique ?
 

Olivier Herard :

C’est précisément parce que nous partageons ces objectifs que le projet de loi est nécessaire : c’est en effet le piratage qui fait obstacle au développement d’Internet comme réseau de distribution privilégié des contenus culturels, ce qu’il doit devenir de toute évidence. Toute la philosophie de ce projet est de faire en sorte que les créateurs, les industries culturelles et les distributeurs puissent avoir confiance dans Internet et dès lors engagent les investissements nécessaires pour que l’offre légale soit de plus en plus attractive pour les internautes.

Lire également l’interview de Guy Bono chez PCiNpact