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Prospective

Apple – PA Semi (2)

Le rachat de PA Semi est-il la vraie raison de la pause ménagée dans le développement d’OS X ? Couplé à LLVM, le PWRficient pourrait être l’arme absolue de Cupertino

Boro

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Nous avions dans un premier volet consacré à la technologie développée par PA SEMI et à ses fondateurs pu nous rendre compte à quel point, de part le parcours individuel et le potentiel exceptionnel de leur technologie, Dan Dobberpuhl et sa bande étaient des recrues de choix pour Cupertino (voir la chronique du 1er mai) . Pour autant, et malgré l’intérêt exceptionnel que représente dans l’absolu la technologie PWRficient du PA6T, il reste à déterminer pourquoi ses créateurs ont été rachetés avec ARM et bagages par par une société qui clame depuis 2 ans sa satisfaction de travailler avec Intel, le n°1 à nouveau incontesté du processeur et du chipset.

Car si Steve Jobs a finalement lâché une première fois fin avril, en marge de l’annonce de nouveaux résultats trimestriels record pour Apple, qu’il s’agissait au premier chef pour la société de renforcer ses capacités de conception pour des puces destinées à ses appareils mobiles comme l’iPod ou l’iPhone , le charismatique CEO de la marque à la Pomme n’a comme à son habitude certainement pas tout dit – comment pourrait-il en être autrement – et les mots les plus importants dans le billet de Nick Wingfield qui rapportait les propos de Jobs dans le techno-blog du Wall Street Journal sont sans aucun doute “mainly” et “primarily”… sous entendu, derrière le “principalement”, il y a autre chose : mais quoi ? Différentes annonces intervenues à partir de la WWDC ont permis de rassembler les pièces du puzzle, éparses depuis plus de deux ans.

Racheter PA Semi… pour quoi faire ?

C’est la question qui a secoué les neurones du monde Mac à partir de la fin du mois d’avril dernier – et plus encore à n’en pas douter celles des comités de crise de la concurrence – d’autant que, fidèle à ses habitudes, Apple n’a semblé piper mot pendant plusieurs semaines sur ses intentions à propos de son acquisition. C’est au détour d’une interview cette fois au New York Times, en marge de la WWDC, que Jobs va affirmer de façon beaucoup plus péremptoire “PA Semi va faire des System on Chip pour les iPhones et les iPods((voir la dépêche du 10 juin), alors qu’il est d’ores-et-déjà connu que la prochaine évolution de Mac OS X, baptisée Snow Leopard, intégrerait peu, ou prou, de nouvelles fonctionnalités et se concentrerait sur l’optimisation des performances tout en posant les fondations de l’évolution future d’OS X ; en particulier en ce qui concerne l’utilisation de la puissance de calcul offerte par les architectures matérielles modernes, que ce soit par les processeurs multi-core ou les puces graphiques.

Où l’on reparle une nouvelle fois d’Alan Kay…

Le fameux Reality Distortion Field était-il encore une fois l’œuvre, lorsque Jobs affirme que si Apple a réalisé une découverte dans le domaine du calcul parallèle, et qu’il s’agit uniquement d’une affaire d’optimisation logicielle ? ‘Grand Central’ qui servira de chef d’orchestre ou de gare de triage sera certes placé au cœur de Snow Leopard, où il pourra tirer parti des l’ensemble des ressources disponibles, et en particulier celles offertes par le GPU grâce à OpenCL, mais il est difficile de croire un type qui vient de s’offrir pour 278 millions de dollars la dream team de l’équipe de PA Semi – laquelle avait justement développé un véritable processeur-plate-forme modulaire (voir la chronique du 1er mai, par dessus le marché optimisé pour le calcul parallèle – lorsqu’il prétend que la fameuse plate-forme n’y sera pour rien… A fortiori lorsque ce type s’appelle Steve Jobs, et que celui-ci ne manque pas une occasion de citer l’aphorisme d’Alan Kay mis en exergue à la fin de la MacWorld de janvier 2007 à propos de l’iPhone : “Les gens vraiment sérieux en ce qui concerne le software devraient concevoir eux-mêmes leur propre hardware…”.

Il reste possible que l’équipe de PA Semi ait reçu pour mission d’injecter son astuce mathématique au niveau du code-même de Snow Leopard et de Grand Central, comme il est également possible que les équipes qui travaillent sur OpenCL aient reçu du renfort du côté de chez NVIDIA. Voici quelques semaines, la rumeur lancée par AppleInsider selon laquelle Apple abandonnerait les chipsets fabriqués par Intel pour ses prochains portables a rencontré un certain écho, certains tenant même pour certain l’adoption par le californien des cartes-mère de NVIDIA pour les remplacer (voir la dépêche du 31 juillet). Or le 1er août, l’autre fondeur de Santa Clara annonçait qu’il abandonnait son activité chipset… Si la rumeur n’est pas tout simplement fausse, il reste la possibilité que l’équipe de NVIDIA ait été re-déployée sur les équipes travaillant sur les GPU… à moins qu’elle n’ait traversé la voie rapide Junipero Serra en loucedé pour s’installer de l’autre côté, à Cupertino…—–

Une encore une fois, une question d’efficacité énergétique…

En ce qui concerne le Mac, Apple ne bénéficie pas seulement de la suprématie actuelle de la plate-fore Core 2 en termes de puissance, mais peut-être avant tout de la notoriété d’Intel. Même si – Dieu-merci – les Macs ne sont pas affublés du logo ‘Intel Inside’ ou ‘Centrino’, c’est bien la présence d’une puce Intel qui a rassuré suffisamment les indécis pour les inciter à sauter le pas : désormais ce ne sont plus la moitié des visiteurs des Apple Stores qui sont des nouveaux venus sur la plate-forme, mais bel et bien 50 % des clients d’Apple, tous canaux de distribution confondus, trimestre après trimestre depuis maintenant deux ans. En outre, si l’on considère que l’adoption de la plate-forme x86 a permis à Apple d’attirer à elle une quantité non négligeable d’utilisateurs de Windows, grâce la facilité de mise en place de solutions quand ils devaient continuer d’utiliser Windows coûte que coûte – que ce soit avec BootCamp ou grâce à la virtualisation – on voit mal la Pomme changer une nouvelle fois de monture, du moins en ce qui concerne les postes clients. Steve a d’ailleurs souligné dans son interview au New York Times combien il était satisfait de son partenariat avec Intel.

En revanche, la plate-forme développée par PA Semi serait à même de lui apporter une solution inespérée, et ce à chacune des extrémités de la chaîne de valeur représentée par Mac OS X, depuis l’iPod, l’iPhone, et leurs déclinaisons à venir, jusqu’au secteur des serveurs où Apple est en difficulté (voir la chronique du 3 mars)… en passant par l’Apple TV et toutes les connexions qu’il est possible d’imaginer entre ceux-là : mi 2006, le PWRficient était de 3 à 5 fois plus efficace que les Core 2 Intel de l’époque qui ont équipé la première génération de Macs Intel ; dès 2005, l’architecture scalaire du PWRficient prévoyait la faisabilité de processeurs 8 cores, tout en conservant une véritable plasticité dans la conception des SoC, capable de s’adapter virtuellement à tous les besoins.

A contrario, les déboires et les petits soucis rencontrés récemment par Apple avec MobileMe depuis les lancement simultané du nouveau service web, de l’iPhone 3G, des mises-à-jour 2.0 du firmware de l’iPhone EDGE et de l’iPod touch – sans parler de la version 7.7 d’iTunes pour faire bon poids et de l’AppStore, sur laquelle tous se sont jetés comme la vérole sur le bas-clergé – aura montré sans conteste qu’Apple ne maîtrise pas encore tous les maillons de sa chaîne de valeur qui passe désormais par le terminal de poche jusqu’à l’armoire-serveur réfrigérée du service en ligne ; ou du moins, que celle-ci n’est pas encore – et de son propre aveu – à l’échelle de ses ambitions affichées.

Heureusement, on apprend vite de ses erreurs à Cupertino, et ce d’autant plus qu’on y a d’ores et déjà toutes les cartes en main pour y remédier… et laisser cette fois la concurrence à des années-lumière. Or, s’il est aisé de se représenter que les problèmes d’autonomie rencontrés par l’iPhone pourront être rapidement améliorés par une version single core du PA6T, l’éclairage donné par les problèmes rencontrés lors du déploiement initial de Mobile Me trouve sa solution – une fois de plus ? – dans l’alchimie si étroite entre matériel et système d’exploitation dont Apple a gardé – cahin caha – le secret.

Connecting the dots…

Si les sources de Florian Innocente sont bonnes – ce dont nous ne doutons pas une seconde – c’est la charge de travail excessive générée par la couche utilisateur sur une infrastructure mal évaluée qui a provoqué la chute du système. En cause en particulier l’utilisation de Sproutcore pour générer la couche d’interface utilisateur sur le navigateur (voir la chronique du 2 août). Largement soutenu par Apple et déjà utilisé pour l’affichage des bibliothèques photos des utilisateurs de .Mac depuis iLife`08, Sproutcore est basé sur Javascript et doit pour l’instant être téléchargée avec l’application Mobile Me ; pour l’instant, car celui-ci devrait logiquement être intégré à Snow Leopard dans une version davantage optimisée en même temps que LLVM, un autre projet open-source qu’Apple a pris sous son aile au point d’embaucher Chris Lattner, l’un de ses initiateurs.

Or si les commentateurs ont semblé découvrir Low Level Virtual Machine à l’occasion de la dernière WWDC, à la suite de l’article d’Apple Insider, les lecteurs de MacPlus avaient pu dès la veille de la WWDC`07 avoir un aperçu de ce qui se préparait (voir ‘Leopard, le Big One ?). Et si la priorité d’alors était pour Apple le support des puces ARM, ainsi que l’optimisation du code OpenGL à la veille du lancement de l’iPhone, LLVM est une bibliothèque de compilation modulaire capable de compiler du code indépendamment du type de processeur et du langage utilisé – y compris du javascript – et de le compiler à la volée dans les couches basses du système, en même temps qu’un compilateur classique C, C++ de type GCC . Rien que dans ce cas, les bénéfices attendus du côté logiciel sont donc considérables et, on l’a vu, planifiés plusieurs années en avance ; à terme, Clang – le compilateur front end de LLVM – devrait même entièrement remplacer GCC dans Xcode (voir la dépêche du 2 septembre).

Mais, pour autant que “l’option serveur” ait été un temps écartée, à la lumière des dernières déconvenues d’Apple – et notamment son infrastructure matérielle débordée – en même temps que les difficultés de l’Xserve Xeon à s’imposer (voir la chronique du 3 mars) malgré une embellie toute récente,l’architecture proposée par PA Semi représente la solution idéale pour Apple en matière de serveurs… en l’absence de proposition équivalente d’Intel… Or la famille de l’EP80579 lancée le 23 juillet dernier, avec son architecture System on Chip et surtout le support de Darwin 6.2, tend à se rapprocher de la philosophie adoptée par PA Semi, et se destine d’ailleurs pour une part aux mêmes clients qu’elle : applications de sécurité, terminaux de transaction, système de stockages familiaux ou SMB, etc.

Intel peut-il hausser son niveau jusqu’aux applications de calcul distribué, les systèmes de stockages professionnels, les supercalculateurs ou les serveurs lame ? Rien ne permet pour l’instant de l’affirmer quand, du moins selon le tableau de marche de PA Semi, le PWRficient est prêt en 2008 : début janvier, Nec l’a d’ailleurs choisi pour piloter ses systèmes SAN.—–

Une 2e pierre philosophale ?

Apple peut-elle cantonner une plate-forme qui n’a aujourd’hui pas d’équivalent sur le nouveau segment des ultra-mobile – certes promis à une expansion exponentielle – et faire l’impasse sur celui du calcul hautes performances ou celui des infrastructures alors même que le PWRficient semble avoir été créé idéalement pour cela ? Dans une étude de cas présentée en 2006 par PA Semi, le coût de fonctionnement d’un Supercalculateur de 32 Téraflop était de 4,6 millions de dollars pour une plate-forme 2,2 GHz Opteron d’AMD, de 3,3 millions pour l’Intel Xeon de 3,2 GHz, et de 1,4 million pour le PWRficient ; au regard de la seule dépense électrique – fonctionnement et maintien à température – la facture sur 3 ans s’élèverait à 3,5 millions pour AMD, 3 millions pour Intel pour seulement 360 000 $ chez PA Semi. Quelles que soient les évolutions à prendre en compte, l’avantage n’est pas négligeable quand on se projette plus sérieusement sur le marché des services IT, lui-même en train d’exploser.

Une fois considéré que la décision de “marquer une pause dans le développement d’OS X” pour intégrer parfaitement le travail multi-core avec Grand Central et OpenCL était annoncée 2 mois après l’achat d’une société qui a mis au point un bijou de plate-forme modulable à l’envi – non seulement avec une roadmap équivalente à celle d’Intel en termes de cores pour une efficacité énergétique bien meilleure mais qui de plus est taillée pour le calcul parallèle – on est en droit de se demander s’il n’y a pas là une relation de cause à effet… à fortiori si l’on garde à l’esprit que l’intégration de LLVM au système permet au besoin de faire tourner du code ‘RISC’ dans les couches basses du système. Si l’on ajoute à cela la prise en compte du format ZFS et la possibilité théorique de travailler avec jusqu’à 16 To de RAM pour Snow Leopard, les perspectives offertes ont de quoi donner le vertige…

Le PA Semi se retrouverait ainsi associé à tous les ordinateurs de la Pomme, non pas tant à l’intérieur qu’associé aux services proposés par la marque, ou les services IT des entreprises et dont Wiki Server ou Podcast Producer ne sont que les prémices… sans même parler des ultra-mobiles – qu’ils soient tactiles, communicants ou non – auxquels l’iPhone a ouvert la voie.

La réponse à la question de départ est sans doute à chercher sur le versant psychologique et humain, et du charisme personnel de Steve Jobs. La légende veut que celui-ci ait recruté John Sculley, alors président de Pepsi, pour l’aider à lancer le premier Macintosh en lui lançant cette boutade : “Est-ce que vous voulez vendre de l’eau sucrée toute votre vie ou est-ce que vous voulez une chance de changer le monde?”. Moyennant quoi, Sculley avait vendu pendant 10 ans la même limonade chez Apple, après avoir viré celui qui l’avait recruté…

Avec les 278 millions payés par Apple, Dan Dobberpuhl et ses ingénieurs, dont certains avaient quitté des situations confortables pour fonder PA Semi auraient pu prendre une retraite bien méritée, ou fonder une autre start-up, au lieu quoi ils ont choisi de se mettre sous les ordres d’un patron disons… pas toujours très facile. On peut se demander ce que Jobs a pu proposer à quelqu’un d’aussi reconnu que Dan Dobberpuhl, a fortiori après l’avoir si profondément froissé 2 ans auparavant (voir la chronique du 1er mai). Changer le monde, une nouvelle fois ? Si tel a bien été le cas, Dobberpuhl savait que le type en face de lui ne plaisantait pas…

Lire également : PA-Semi (1)