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Édito

“On bat un internaute…”

Selon Les Échos et comme demandé par la mission Olivennes et annoncé par Christine Albanel au Midem, la riposte globale fera retour, après passage par le Conseil d’État pour éviter la censure du Conseil Constitutionnel.
Il n’est pourtant pas sûr que ces mesures d’endiguement qui en disent long sur le désarroi des industriels soient réellement efficaces.

Boro

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Selon Les Échos et comme demandé par la mission Olivennes et annoncé par Christine Albanel au Midem (voir l’édito du 30 janvier), la riposte globale fera retour, après passage par le Conseil d’État pour éviter la censure du Conseil Constitutionnel.

Comme toute punition, celle-ci sera graduée au fur et à mesure de l’entêtement dans la faute :

– une première fois pris la main dans le sac par les ayants-droit, l’internaute recevra un premier courriel signé de l’autorité administrative, et expédié par son FAI.

– le deuxième fois, il recevra un 2e message d’avertissement, qui l’exposera à une période probatoire de 6 mois.

– si le contrevenant persiste dans son erreur – errare humanum est, perseverare diabolicum – il verra son abonnement suspendu pendant 6 mois.

– enfin, pour le cas où une 4e infraction serait constatée dans une nouvelle période de 6 mois, une sanction plus radicale sera prononcée par l’autorité administrative portant cette fois la suppression de l’abonnent internet à 1 an, avec une inscription sur une liste noire des téléchargeurs pour empêcher le contrevenant de se réabonner aussi sec chez un autre FAI.

Et la mesure de suspension de 6 mois, et la résiliation de l’abonnement pour 1 an pourront faire l’objet d’une contestation devant l’autorité administrative, jadis prévue par la loi DADVSI pour la régulation des mesures techniques (ARMT) et rebaptisée Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, puis en appel devant une juridiction.

Ce qu’il est intéressant de relever, c’est que le lieu symbolique qui va énoncer le châtiment est précisément le gardien de la maîtrise agressive des contenus, avec la pérennisation des fameux DRM rebaptisés Mesures Techniques de protection. Tout le monde s’accorde pourtant à reconnaître qu’elles n’empoisonnent le quotidien que de ceux qui achètent pourtant légalement de la musique…

Autrement dit, les industriels du disque et un certain nombre d’artistes sont plus que jamais dans un état de suspicion tel vis à vis de leur public qu’ils ont substitué une relation de séduction à propos de leur production – c’est-à-dire autour de quelque chose qui relève tout de même du principe de plaisir – pour une relation au minimum de sado-masochisme – difficile de ne pas lâcher le gros mot d’agressivité anale – où il ne s’agit pas tant d’inciter le public à se procurer licitement son travail, moyennant rétribution, que de le punir de ne plus acheter suffisamment de CD… mais sans bien entendu renoncer à la maîtrise que leur donnent les DRM.

L’avidité orale dont peuvent faire preuve certains téléchargeurs n’est pas davantage adaptée mais, si nous avions déjà fait ici en 2005 l’hypothèse du Principe de Nirvana à l’œuvre chez les industriels de la création (voir la chronique du 3 mars 2005), il est étonnant de constater à quel point ces mêmes Moguls sont – 3 ans de crise plus tard – toujours prisonniers des mêmes comportements mortifères.

Les véritables “passages à tabac judiciaires” pour l’exemple, censés laisser pour morts économiquement les téléchargeurs pris au hasard la main dans le sac, ont seulement laissé place à la menace de castration systématique de l’accès internet de l’ensemble des déviants. Sera-t-elle efficace pour lutter dans la réalité de ce qui angoisse les industriels, à savoir le déclin des ventes de CD et désormais de DVD, et avec elle la baisse de leurs revenus qui en est le corollaire ? Il est permis d’en douter…

Inutile pourtant de désespérer. Un certain nombre artistes en ont tiré les conséquences et ont rompu avec la compulsion de répétition de l’industrie : en prenant le pari de laisser les internautes fixer librement le prix de leur dernier opus ou, sans aller jusque là, en proposant un accès beaucoup plus libre à des versions numériques de leur travail. Dans 10 ans, les mesures préconisées par la commission Olivennes seront-elles considérées comme les châtiments corporels de l’éducation de la fin du XIXe siècle ?