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Prospective

Changement de cycle à Cupertino?

Rubinstein, Fadell, Papermaster… derrière les noms, se cachent des hommes, et surtout des compétences. A chacun d’entre eux, correspond un moment dans l’histoire de la firme à la Pomme

Boro

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Une page s’est tournée à Cupertino avec le retrait annoncé de Tony Fadell et, comme ce fut auparavant le cas lorsqu’un responsable de haut-niveau a quitté l’entreprise, se termine très probablement un cycle industriel dans l’histoire de l’entreprise. Ce fut déjà le cas lorsqu’en mars 2006 – c’est à dire une fois la transition vers la plate-forme Intel largement sur les rails – Avie Tevanian qui présidait aux destinées d’OS X a quitté l’entreprise un peu à la surprise générale, à la suite de Jon Rubinstein qui avait lui dirigé la division iPod depuis sa création en mai 2004 après avoir eu la haute main sur l’ensemble du hardware d’Apple depuis le retour de Jobs aux manettes en 1997.

Anticipé depuis novembre 2005, ce départ avait été l’occasion d’un passage de témoin entre Rubinstein – dont les talents d’organisation étaient pour beaucoup dans le redressement industriel de la société et à qui on avait donc confié la création de toutes pièces de la division – et Fadell – dont l’intuition à propos de l’iPod et de son service à la demande, d’abord comme consultant sous la responsabilité de Rubinstein puis comme employé de la société, avait permis à Apple de se refaire une image en même temps qu’une santé financière…

Est-ce le signe que sa mission au sein de la société est désormais terminée ? Le bruit courrait qu’Apple cherchait un second à Fadell, capable de lui succéder, depuis près d’un an. Si l’on se souvient que depuis la promotion de Scott Forstall au titre de Senior Vice President pour l’iPhone Software en mai 2008, le profil et les attributions de Tony Fadell – Senior Vice Président pour le logiciel et le hardware de l’iPod depuis mars 2006 à la suite de Rubinstein – n’avaient pas évolué, alors qu’il était de plus en plus évident qu’avec l’iPod touch et une véritable plate-forme de développement c’était toute une famille de nouveaux produits qui était en gestation (voir la chronique du 6 mars), on commence à avoir une partie de la réponse… que vient compléter le calendrier des péripéties qui ont émaillé l’embauche de Mark Papermaster, pressenti pour prendre la suite de Fadell (voir la dépêche).

Une transition annoncée…

Annoncé officiellement le 4 novembre dernier en tant que Senior Vice-President, à la tête d’un portefeuille ”produits électroniques” regroupant enfin les équipes chargées de concevoir les futurs iPods et iPhones, en attendant la suite, Mark Papermaster aurait été pressenti dès février dernier pour prendre diriger “au plus haut niveau” la conception d’appareils électroniques grand-public. Mais en fait, c’est courant janvier que son nom est proposé parmi d’autres en interne par Robert Mansfield, son ancien coreligionnaire à l’Université d’Austin et collègue chez I.B.M., qui chapeaute à présent le développement du Mac à Cupertino. Traduction : chez Apple, on sent bien que l’iPod, tel qu’on l’a connu depuis 6 ans avec sa clickwheel a déjà accompli l’essentiel de son parcours, et qu’en même temps la nouvelle plate-forme composée de l’iPhone et de l’iPod touch prend pas mal, mais ne donne pas les résultats qu’on était en droit d’en attendre (voir la chronique du 17 janvier). La faute en revient aux limitation des web apps, quand les développeurs et surtout les entreprises veulent de véritables applications. Ce sera annoncé le 6 mars, et disponible avec les nouveaux modèles à la mi-juillet.

Mais entre-temps, c’est-à-dire quelques semaines après la première rencontre avec Jobs en février à Cupertino, le fameux poste de Vice-Président exécutif n’est plus à prendre : en clair, Tony Fadell ne part plus. Et pour cause : c’est lui qui a été désigné pour mener à bien le rachat de PA Semi – lequel sera officialisé par Apple à fin la avril – et doit en outre réussir l’intégration des équipe de Dan Dobberpuhl et celle de la technologie PWRficient à l’iPhone et à la famille des nouveaux devices ambulatoires en préparation à la suite de l’iPod touch. Pas question pour autant de laisser filer Papermaster, qui reste l’homme de la situation : celui-ci se voit proposer une position moins en vue, au design des portables. Papermaster décline : il est en effet à la tête de la division Serveurs Lames chez I.B.M., avec le titre de Vice-President et la responsabilité de tout l’éco-système qui y est associé, stockage compris, qui met en œuvre des processeurs aussi divers et variés que des x86 Xeon et Opteron, des Power 6 et PowerPC 970 et même des Cell…—–

Un passage de relais cahotique…

Fadell a-t-il mené à bien la reconfiguration de la division iPod avant d’en remettre les clefs à son successeur, comme le fit pour lui Jon Rubinstein ? On peut le penser, car durant le mois de septembre, Papermaster reçoit un nouveau coup de fil de Cupertino : rendez-vous est pris pour le 7 octobre, date à laquelle il rencontre Steve et Fadell notamment, et où il lui est cette fois explicitement formulé que Fadell s’en va, et que l’on cherche quelqu’un
pour prendre sa suite. Le lendemain, Papermaster rencontre l’équipe de Fadell et, après une journée de réflexion, Steve lui fait “une offre que l’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie”, et lui propose formellement de diriger la division iPod et iPhone. Nous somme le vendredi ; dès le lundi, Papermaster envoie sa lettre de démission chez Big Blue, qui essaie par tous les moyens de le retenir : d’abord en lui proposant une année entière de salaire pour rester, tout en lui rappelant la clause de non-concurrence d’un an incluse dans son contrat de travail, puis en portant immédiatement l’affaire devant les tribunaux, une fois acquis que le transfuge ne reviendra pas sur sa décision.

Alors pourquoi I.B.M. et Apple se disputent-elles ainsi un cadre certes de haut niveau, mais que jusqu’ici les cabinets de recrutement ne s’étaient pas arraché après 25 ans – c’est-à-dire la majeure partie de sa carrière – passés chez Big Blue ? Tout simplement parce que que ses compétences pointues, jusqu’ici cantonnées sur un secteur de pointe – pour ne pas dire un marché de niche qui est celui des serveurs-lames – rejoint désormais celles d’un marché grand public par excellence qui est celui des appareils électroniques nomades, à présent qu’à Cupertino on s’est mis en tête de leur faire embarquer des SoC conçus par PA Semi (Voir Racheter PA Semi, pourquoi faire ? première et deuxième partie). Le risque de voir débouler un concurrent doté d’un avantage concurrentiel considérable est bien réel pour I.B.M., même si Apple disposait déjà de compétences sur ce plan puisque c’est Cupertino qui avait conçu en 2003 les cartes-mères des serveurs-lames sous G5, commercialisées par Big Blue…

Pour autant, et même si les passerelles sont nombreuses dans la société, il serait sans doute excessif de penser que le recrutement de Mark Papermaster pour le poste de Tony Fadell, à la division iPod et iPhone, n’ait pu être planifiée que pour un an – histoire de laisser expirer la clause de non-concurrence du nouvel arrivant – tant les opportunités offertes par la technologie du PWRficient adaptée à la famille des “iBidules” et couplée à la version mobile de Mac OS X sont larges de tous les possibles, que ceux-ci soient ambulatoires ou pas soit en termes d’autonomie, soit en termes de puissance… si ce n’est pas les deux ! La possibilité d’intégrer des puces développées en interne est en effet à même de fournir à Apple la capacité de différentiation vis-à-vis de la concurrence sur ce marché qui aurait commencé de lui faire défaut, à présent que les écrans tactiles capacitifs projetés vont commencer à être plus largement disponibles, et les possibilités de développement d’applications nouvelles ne manquent pas.

… pour une nouvelle famille d’appareils annoncée ?

On peut citer l’Apple TV qui n’a jamais trouvé sa véritable formule pourrait fort bien se voir doter de capacités ludiques, l’iPhone et l’iPod touch faisant avantageusement office de manettes, voire être intégrée directement derrière un téléviseur intelligent, ou la fameuse MacTablet, enchâssable ou non dans l’épaisseur d’un iMac dont on a beaucoup évoqué le brevet, et qui pourrait constituer une réponse intéressante aux problématiques conjointes du NetBook et du livre électronique, sans parler d’un levier important pour attaquer le marché du K12… La Pomme a-t-elle différé à dessein le rafraîchissement de la gamme iMac, traditionnellement revue à la veille de la saison de Noël ?

Même si encore une fois les problématiques maîtrisées par Papermaster sont transversales et intéressent aussi bien les portables, les devices au sens large, les serveurs et même pourquoi pas les iMac, Apple n’aurait aucun intérêt à se fâcher tout à fait avec Big Blue, qui détient toujours la propriété intellectuelle attachée à la technologie POWER, et qui fabrique toujours vraisemblablement les processeurs PA6T destinés aux anciens clients de PA Semi ! Voilà pourquoi, et même si à Cupertino on se dit confiant sur l’issue de la procédure, après une première mesure conservatoire favorable à I.B.M., on se dirige sans doute vers un accord à l’amiable. La législation favorable aux entreprises californienne soulevée par John Gruber sur Daring Fireball a en outre peu de chances d’être appliquée, Big Blue ayant réussi à faire domicilier son affaire chez elle, dans l’état de New-York.

Une image explicite valant mieux qu’un long discours, selon l’axiome si cher à notre Itoo, le schéma ci-dessous qui reprend la courbes des ventes respectives de l’ iPod et de l’ iPhone montrent comment le premier arrive désormais à maturité, tandis que le second est en pleine phase d’adoption… et donc pourquoi il était largement temps de changer d’attelage, Tony Fadell ayant effectivement mené jusqu’au bout sa mission. N’empêche : qui n’aimerait pas savoir quelle a été cette fameuse proposition faite par Jobs à Papermaster, et qui n’arrive “qu’une seule fois dans une existence…” ?
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