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Prospective

La stratégie Apple : quels grands axes?

Apple a-t-il une stratégie cohérente et dans l’affirmative, quels en sont les grands axes de celle-ci et que doit-on en attendre ?

Tachyon le bien-nommé est un de nos lecteurs et pénètre ici jusqu’au coeur de la matière qu’il étudie, dans un essai de lecture de la stratégie logicielle, matérielle et de services d’Apple, au délà du Macintosh et de MacOS X.

MacPlus

Publié le

 

Par

par Tachyon

Avec la sortie continue de nouvelles iApplications, applications professionnelles et autres “petits” matériels et services en lignes, on peut se demander si Apple a une stratégie logicielle en dehors de sa stratégie OS, une stratégie “matériel” en dehors de ses lignes de Macintosh, et une stratégie “Services” tout court ? Et si oui, celles-ci sont-elles indépendantes des stratégies matériel et OS, en un mot, sont-elles destinées à faire d’Apple un éditeur de logicel comme les autres, MS ou Adobe par exemple, un fabricant d'”electronic devices” comme Sony que Philips cherche maintenant chercher à imiter – et un prestataires de services ou fournisseur de contenus comme Kodak ou Hachette ?

La lecture de quelques informations récentes comme le débat sur les raisons de l’échec d’Apple dans les années 90 ->http://apple.computerhistory.org/discuss/msgReader?mode=topic], et celui ouvert par Geraub dans son article [“Jobs le killer de Microsoft” m’ ont incité à vous faire part de quelques réflexions sur la stratégie d’Apple, mais ce n’est pas sans quelque angoisse que je poste cette première contribution. Soyez indulgents car, en plus… c’est long…

La plupart des briques de la stratégie de reconquête d’Apple sont maintenant en place. À l’évidence, le G5 et Panther en sont les parties visibles, mais sitôt apparues, elles ne sont plus les plus importantes. Déjà Apple se concentre sur d’autres objectifs, comme il n’a en fait jamais cessé de le faire depuis le retour aux affaires de Steve Jobs et l’arrivée de l’équipe d’Avie Tevanian. Certes, le Macintosh et OS X sont toujours au cœur de la stratégie d’Apple, mais la politique et les tactiques sont ailleurs ; car, après qu’Apple ait cessé de croire en Motorola et exploré bien d’autres pistes, le successeur du G4 n’a finalement nécessité “que” 18 mois de développement.

En fait, la succession d’OS 9 et du G4 ont joué le rôle du rideau de fumée, et ce n’est pas seulement la faute à quelque fournisseur de puces que le Macintosh et son OS jouent encore les utilités ; bientôt ils nous joueront “Macintosh, le retour”, en empruntant un chemin qui peut sembler différent, mais qui est bel et bien la marque d’Apple, celle qui consiste toujours à “apprendre l’homme à la machine”.
Si depuis quelques années, Apple s’exerce au billard, avec plusieurs “bornes avant”, constituées par les iApps et autres services ou “electronic devices“, sa stratégie est maintenant enfin tout à fait lisible et bien en place et justifie l’offensive commerciale en préparation [[NDLR : la présence exceptionnelle de Steve Jobs dans l’emission d’ Emmanuel Chain ‘Merci pour l’Info’ le soir même de sa Keynote parisienne en est très certainement un indice supplémentaire]. Croisons les doigts.

À la première question, la réponse est oui : Apple dispose bien d’une stratégie dont on peut maintenant clairement comprendre les fins. À la deuxième question, la réponse est à la fois oui et non. Oui, Apple souhaite élargir sa base de clients, même si ce n’est pas sur le Macintosh et son OS, mais non cela n’est pas indifférent aux produits Macintosh.

Apple suit en fait une stratégie globale qui lui est propre (pouvait-on vraiment attendre autre chose de Steve Jobs?), dont il est étonnant que la bourse ne tienne pas compte dans la valorisation du titre de la société, dont la capitalisation boursière est à peine supérieure à trois fois les 4,5 milliards de dollars de cash disponible,[[c’est à dire le même montant que lorsqu’Apple dominait le monde de la micro-informatique en 1987 avant son déclin, ou encore le triple de celui disponible lors du retour de Jobs aux affaires, quand certains jugeaient Apple moribond]] ce qui rend le titre – et la firme, attractive pour les prédateurs ou les alliés éventuels. Le bruit fait autour des dernières déclarations des dirigeants de Sun et de Sony – comme, pour Pixar, celui autour du renouvellement de son contrat avec Dysney – en sont une indication s’il en était besoin. Encore une fois, les ténors des marchés prouvent qu’ils n’entendent pas grand chose à la stratégie – je me souviendrai longtemps de la surprise de ce broker quand il revendit ses actions Apple à 130$ (avant le split), quelques mois à peine après l’avoir convaincu d’en acheter pour 300KF à moins de 20$ pièce. Quelques explications sur ma confiance dans la stratégie d’Apple ?

Une stratégie d’indépendance offensive et cohérente à court terme : ce qu’Apple nous offre déjà… ou presque

I – Fonder une gestion de Workflow [[NDLR : workflow litttérallement ‘flux de travail’ en tant que contenus productifs, “utiles”, quelque soit le contexte où ils sont générés par opposition au “funflow” qui fait référence aux contenus ludiques qu’est capable de délivrer un ordinateur mulimédia. Cette distinction recoupe à peu près celle d’une utilisation familliale ou professionnelle.]] Apple : 5 applications et quelques outils intégrés au système

Comme cela est la tendance dans l’autre monde, trois Applications de base, Mail, le Carnet d’adresses et le navigateur Safari constituent maintenant les add-ons indispensables d’un système d’exploitation. Apple y a souscrit, qui est en train de finir de combler son retard sur MS, avec la sortie de versions largement améliorées de Mail et de Carnet d’adresses dans MacOS X.3 Panther, juste après Safari :
Le Mailer tous standards d’Apple, copieusement amélioré, enfin interfacé à MS Exchange et gérant les priorités et fils de discussions, devrait nous convaincre de délaisser Entourage et nous faire enfin oublier les “bons vieux” Claris eMailer ou Netscape 4.77 de MacOS 9.
Le Carnet d’adresses, gestionnaire de contacts au format universel, n’est plus, sous Panther, le maillon faible d’Apple, insuffisant qu’il était jusqu’ici pour les utilisateurs professionnels, mais au contraire le cœur du système de contacts de l’utilisateur de Macintosh (data accessibles en local, via bluetooth, intra / internet, par le Mac, le PDA ou le téléphone mobile ou les applications elles-mêmes).
Safari, browser rapide et solide, le meilleur moteur libre disponible [un compagnon de route historique de Next, le multiplateforme OmniWeb, ne s’y est pas trompé qui l’a aussitôt adopté]], une interface remarquablement lisible et une intégration toute simple du meilleur moteur de recherche généraliste, Google.
Sherlock, dont la v.2 avait abandonné la lutte au profit de Google et du Finder qu’il se contentait de compléter intelligemment, va retrouver sa pleine utilité dans Panther, en attendant sans doute de venir loger au sein même d’une future version de Safari, que ce dernier devienne ou non un mode de navigation alternatif au Finder actuel.
Le Finder, qui n’offrait réellement, malgré ses 3 modes de présentation, qu’un seul mode de navigation et de rangement, sera complété par Exposé pour une deuxième approche de l’organisation des fichiers, inchangée depuis la sortie de Lisa et du Mac. En regard de ce long vide, Exposé est bien assez novateur pour nous faire attendre, jusqu’à la sortie de Longhorn chez MS, les fameuses
Piles ; ce serait tactiquement raisonnable de la part d’Apple. Et Apple disposera toujours, avec Safari, à l’instar de ce que pourrait devenir Internet Explorer sous Windows, d’une alternative crédible de navigation pour le Finder si le besoin se faisait sentir de répondre à MS, à défaut de le précéder. Apple devrait en fait largement anticiper avec un système allant bien plus loin que la gestion contextuelle des fichiers par un SGBD intégré à l’OS, comme MS dit y réfléchir pour Longhorn depuis qu’Apple, dont les recherches remontent au début des années 90, y travaille pour OS X.x. Reportez-vous absolument à la série d’articles sur [Hal et le Macintosh, de Boro, et prenez le temps de comprendre, cela en vaut la peine .

Il ne faut pas oublier non plus l’intégration, au fil des mois, de technologies discrètes mais déjà majeures telles que :
Rendez-vous, nouveau standard de l’industrie lancé ou popularisé par Apple comme le furent SCSI, FireWire, WiFi et… l’interface souris-menu déroulant
InkWell, l’intriguant rappel à la mémoire de Newton… et de l’absence d’un PDA pommelé, mais qui devrait bientôt montrer son utilité.

Ensemble, ces briques offrent les fondations d’une excellente gestion de workflow intégrée, purement Apple, pour un Macintosh “Hub numérique” lui aussi purement “Apple”.

II – Inventer la gestion de FunFlow pour joindre l’agréable à l’utile : 7 iApplications quasi gratuites…

Les 7 iApps livrées avec le système ou disponibles à petit prix dans la “Suite” iLife, viennent assister l’utilisateur dans la gestion de son Workflow (professionnel) au quotidien et introduisent la notion de Funflow (le “workflow” personnel de loisir). Ces iApps visent à rendre l’achat d’un Macintosh auto-suffisant pour l’utilisateur individuel. Bravo, c’est presque fait!

Le Workflow
iCal, gestionnaire d’emploi du temps individuel ou collectif, accessible en local, partagé ou sur votre espace internet “.mac” d’apple ;
iSync, synchronisation de données de tous types depuis un Macintosh vers des mobiles / PDAs ou votre espace internet “.mac” d’apple ;
iChat, messenger texte et audio et logiciel de vidéo-conférence à partir de MacOS X.3 Panther (octobre), compatible AOL Instant Messenger, Netscape Instant Messenger et bientôt ICQ et sans doute autres Messengers (janvier 2004 ?), conçu pour iSight et autres WebCams.

Ne manque plus ici qu’une suite bureautique minimale, compatible en mode natif, avec qui vous savez.

Le Funflow, la suite iLife
iTunes, bibliothèque musicale et studio d’écoute local, distant, radio… interface intégrant le iTunes Music Store et le lecteur MP3 iPod,
iPhoto, bibliothèque et retouche d’images simple, offrant depuis plus d’un an aux USA et à partir d’octobre prochain en Europe, la possibilité de faire tirer ses photos digitales par Apple : commande et envoi via Internet des originaux choisis, livraison dans un élégant livret légendé, relié, titré, personnalisé ;
iMovie, montage de films
iDVD, gravure de DVDs qui vient compléter la fonction gravure intégrée au Finder

On notera que la politique de bundle gratuit de ces iApps de Funflow s’accompagne de l’offre de services et de matériels payants.

III – Occuper le terrain à la confluence du Funflow et du Workflow : 2 “gadgets électroniques” payants

Ces deux “armes de construction massive” de base installée occupent les hauteurs du marché pour leurs caractéristiques et leur réussite et constituent les véritables chevaux de Troie d’Apple, par leur indépendance vis à vis de l’OS, sur le marché naissant du stockage et de la diffusion audio et vidéo.
iPod, stockage / diffusion et transport data et audio MP3, interface FireWire, représentant 50% du marché mondial des lecteurs MP3 ;
iSight, WebCam 30 fps, autofocus, 2 micros, saluée comme la meilleure du marché par la presse PC… qui regrette qu’elle ne soit pas encore utilisable sur Wintel avec un iChat PC.

Ces matériels permettent de diffuser l’expérience Apple bien au-delà du cercle des afficionados, chez de nouveaux utilisateurs, des utilisateurs PC, de les familiariser avec la facilité d’utilisation, l’ergonomie Apple, sans se payer seulement de mots ; telle est la stratégie retenue par le constructeur à qui l’on a beaucoup reproché de ne plus communiquer sur la simplicité d’utilisation. En fait, Apple a compris qu’il ne suffisait pas d’en parler puisque la concurrence dit la même chose avec plus de moyens financiers, mais qu’il fallait le montrer, le faire goûter, comme les donuts. La campagne publicitaire en cours le montre très explicitement. Dans cet esprit, la création des Apple Stores est logique, elle vise à renforcer une image de marque déjà forte, en montrant les produits, design et simplicité, le style de vie Apple “iLife“, qui ne manquera pas de rejaillir sur le monde professionnel.

iPod et iSight s’adressent à une clientèle jeune, moins prisonnière de “standards” professionnels imposés, ce ne sont pas seulement des produits de mode, ils peuvent créer des standards comme le fit Sony avec le Walkman. N’entrant en concurrence avec aucun “monopole”, ils ont des chances de créer une base Apple installée réelle, sans avoir provoqué trop tôt une réaction massive de la concurrence des “gros”. En les attaquant par les ailes, là où ils ne l’attendaient pas, Apple les a pris de court – Microsoft l’a compris, qui commence à préparer la riposte, tant à iPod qu’à iSight. Ce sont deux pièces maîtresses dans la stratégie d’Apple.

IV – Capter et fidéliser une clientèle de masse : 2 services payants

Les deux services payants d’Apple, pour la vente de contenus, d’espace de stockage et la distribution audio et data, n’ont pas seulement pour but de créer de la valeur ajoutée, de faire plus de chiffre avec un seul client ; ïl s’agit aussi – d’abord ?- de créer une relation privilégiée avec la clientèle, de l’inciter à passer régulièrement “chez Apple”, de la fidéliser, de développer une relation d’affaire intense et complète afin qu’il ait moins besoin d’aller “ailleurs” :
DotMac, service de mise à disposition d’espace distant pour sauvegarde, espace privé et “espace public”, albums photos, sons, vidéos, logiciels, site Web personnel avec intégration du logiciel de création de sites qui a repris le nom de feu Claris HomePage, fournitures de services divers comme envoi de eCards, adresse Mail (WebMail, Imap, Pop), centralisation, message d’absence et renvoi d’adresse, etc., et fourniture incluse des logiciels : Virex, antivirus de McAfee avec mise à jour permanente automatisée, etc. ; Backup, sauvegarde automatisée, sur internet vers le compte utilisateur “.mac.com”, et gravure locale de CDs ou DVDs ; plus quelques goodies, pour patienter sans doute.
iTMS (iTunes Music Store), service d’achat de morceaux de musique en ligne, interfacé de façon transparente à iTunes et iPod – version Wintel fin 2003 ;

V – (Re)conquérir une clientèle professionnelle de créateurs et producteurs de Workflow : 4 logiciels professionnels payants et 2 “vieillards” cacochymes flanqués d’une promesse et d’une rumeur

Les créatifs

Un remarquable trio couvre les besoins d’un marché nouveau, qu’Apple a contribué à faire naître et croître, celui de la production et de la distribution de contenus audio et vidéo, comme autrefois celui de l’écrit avec la PAO papier et électronique :
Final Cut Pro, logiciel professionnel de montage de films, qui va plus loin que iMovie,
DVD Studio Pro, logiciel professionnel de gravure de DVDs Vidéo, qui va plus loin que iDVD
SoundTrack, logiciel professionnel de montage et édition de musique et bandes sons, qui complète et étend iTunes, iMovie et iPhoto.

Les productifs

Il s’agit du gros du marché logiciel, celui des productifs de la grande comme de la petite entreprise ou du travailleur indépendant, celui qui a créé le marché de masse, imposé “le” standard. Apple y manque toujours d’une suite bureautique complète, qui aille plus loin que l’antique intégré de bureautique AppleWorks… et ce n’est pas un hasard. De quoi dispose Apple actuellement ?
AppleWorks, dont on ne sait plus très bien s’il est destiné à subsister ou disparaître : intégré comprenant les fonctions de Traitement de texte, de Tableur / Grapheur, de Présentation, de Dessin bitmap et vectoriel, et de mise en page à la manière (toutes proportions gardées) de Ragtime et d’XPress, ou de feu Ready Set Go. Malgré tous ses atouts (simplicité, complétude), AppleWorks n’est plus à la hauteur de la concurrence, ni de MacOS X. La rumeur autour d’un iWorks, remplaçant hypothétique de Claris/AppleWorks, sous forme d’une “Suite” de modules logiciels communiquant entre eux, dont Keynote serait le premier représentant, tient la route.
FMPro ; bien que développé par la filiale FileMaker inc., ex-Claris, le débat sur sa réintégration possible au sein d’Apple montre assez son importance stratégique : sa prochaine version serait, nous promet-on, au moins à parité avec Access, se rapprochant (de combien ?) de 4D et d’Oracle… Il est temps, car FMP, malgré toutes ses qualités de simplicité, manque de nombreuses fonctions d’un vrai SGBD relationnel qui est aujourd’hui la brique indispensable au retour d’Apple dans le monde de l’entreprise par la grande porte ; cette porte que lui ouvrent le G5, Panther et ses outils serveurs logiciels et matériels.
Keynote, logiciel de présentation multimédia qui va plus loin que le module présentation d’AppleWorks, serait-il le premier élément d’une suite Apple Office de la reconquête ? En tout cas, il s’agit du module le moins dangereux pour MS, car concurrent du moins en vue de la suite Office, Powerpoint.

Dans les trois premiers cas, le marché des créatifs audio et vidéo, Apple a, comme pour la PAO il y a 18 ans, joué un rôle de pionnier en transformant un marché de niche en marché de masse. Mais à la différence de ce qui s’était passé il y a deux décennies, Apple n’a pas répété la même erreur et s’est assuré de garder la maîtrise de la chaîne complète (hard et soft) et notamment du maillon qui crée la valeur, le software. Apple a maintenant, ainsi que nous venons de le voir, verrouillé tous les créneaux de son innovation, autrefois ouverts pour compte (et bénéfices) de tiers comme Adobe, MS, Macromédia, etc. Adobe, qui doit largement à Apple sa bonne fortune de départ pour avoir popularisé et transformé en standard de fait son langage de description de page Postscript, a compris qu’il devrait mettre les bouchées doubles pour rester dans la course sur la plateforme, sauf à devoir l’abandonner par appartement au fur et à mesure que la course deviendra inégale. En fait, Adobe a déjà reçu un lot de consolation avec Quartz et l’intégration du pdf à MacOS X ; un paradoxe pour une société qui s’offrait au rachat par Apple à la fin des années 80.

Dans les trois derniers cas, celui des productifs qui représentent le gros du marché logiciel professionnel, les rumeurs d’une arrivée – tardive pour ne pas faire fuir MS trop tôt de la plateforme Mac – des deux pièces les plus importantes, la Suite bureautique (iWorks ?) et un vrai SGBD relationnel (la v.7 de FileMaker ?), ne manquent pas de laisser songeur :
– Une “Suite bureautique” modulaire (iWorks ?) dont Keynote serait le premier maillon semble bien importante pour une simple iApp. Que serait alors une application équivalente dans la gamme professionnelle ?
– Quel usage enfin faire de FileMaker ? Un équivalent d’Access dans une suite bureautique à venir d’Apple ? Une application indépendante comme actuellement ?

Il demeure qu’il s’agit du créneau majeur et du seul restant à (ré)investir pour Apple ; il ne saurait donc être que celui de la prochaine reconquête. Mais quand et comment ? Pour demain, Apple Expo 2003 ?

VI – Pour résumer : l’indépendance est presque acquise et la révolution du Workflow Apple presque achevée dans le calme

Les briques intégrées au système, les iApps, les matériels et services supplémentaires offrent essentiellement au particulier ou au professionnel la gestion du flux de Workflow et Funflow, tandis que les applications professionnelles apportent des solutions de production de workflow suffisant à la majorité des utilisateurs avertis et à un grand nombre de professionnels dont l’activité, voire la création de valeur, dépend de leur micro-ordinateur.

Toutes ces applications ne visent pas seulement à affranchir Apple et ses clients de la dépendance des éditeurs comme MS ou Adobe dont la défaillance éventuelle eut été mortelle il y a peu, mais à offrir une nouvelle vision des outils de production individuelle et de groupe, une nouvelle expérience utilisateur, propre à générer la demande et… la création de valeur dont Apple a besoin pour se développer (Apple investit toujours 8% de son chiffre d’affaires dans la recherche, la moitié du pourcentage des années 80 mais plus du double de la plupart des “assembleurs” du monde PC (Pascal Cagni sur BFM).

Une stratégie exemplaire

Considérées dans leur ensemble, ces applications démontrent la poursuite d’une stratégie remarquablement construite, orchestrée et conduite – que la défaillance de Motorola, fondeur exclusif du processeur G4 a sans doute accélérée sinon déterminée. Tant mieux !

L’ensemble offre déjà l’intégration de presque tous les outils avancés de production et de gestion de workflow, ce mythe auquel s’attaquent tous les grands, le français Alcatel et sa filiale Nextenso en tête ; avec la production et la gestion du Funflow en prime. Le tout en une offre purement Apple.

Le plus intéressant est sans doute que pour Apple, il ne s’agit pas de la simple fourniture d’un outil supplémentaire ou d’un service payant parmi d’autres, mais d’une révolution culturelle d’entreprise, menée dans un cadre cohérent, dans la revisitation complète de l’interface (au sens large : la panoplie) des outils de l’utilisateur “branché” ; ce dernier, en effet, ne se contente plus aujourd’hui d’un simple micro-ordinateur, mais a bel et bien besoin de ce hub numérique évoqué il y a 18 mois par Steve Jobs, sans que grand monde ait alors compris ce qu’il voulait vraiment dire, hormis votre site préféré. La chose est aujourd’hui bien lisible.

Ensemble, ces briques manifestent aussi un modèle économique plus raisonnable, car réaliste et non hégémonique, que celui de l’autre monde. D’un côté, une vraie réflexion philosophique (une vision de l’homme et de la vie) en amont d’une stratégie, de l’autre une simple politique commerciale et quelques tactiques de communication et de vente. L’histoire est un éternel recommencement.


Une vision stratégique cohérente à long terme : ce qu’Apple nous prépare… sans doute

I – Vidéo-conférence et Vidéo-phonie pour tous en 2004 : iSight et iChat pour PC

iSight, loin d’être un gadget, prend tout son sens avec iChat et l’ouverture des services de téléphonie VoiceOnIP, tel que celui de Free, juste avant Apple Expo ! La vidéo-téléphonie et la vidéo-conférence ne font que commencer, et, une fois encore, Apple sera le pionnier de la diffusion de masse. La logique voudrait donc qu’une évolution prochaine d’iSight intègre FW2, USB2 et driver Windows, avec une version iChat pour Wintel (début 2004 ?) ; elle pourrait alors faire aussi bien qu’iPod sur le marché, en phase avec l’élargissement du parc d’accès haut débit (déjà 13% du parc aux US) enfin boosté par la poursuite du dégroupage local chez nous.

II – iTunes Vidéo Store en 2004 : iPodVidéo et iTunesVidéo pour Mac et PC

Quant à iPod, une prochaine évolution devra intégrer FW2 à 800Mbs (et USB2 pour les PC), et, bien sûr, la vidéo grâce à l’augmentation des capacités des disques et aux écrans de nouvelle génération plus lumineux et plus économes en énergie, dont on murmurait il y a peu qu’Apple serait un des premiers utilisateurs ; Kodak et Nikon y sont déjà pour la photo, Archos pour la vidéo.

Mais il manque à Apple, pour offrir un dispositif complet de gestion de Funflow, un iQuelqueChose, issu de QuickTime Player, iTunes et/ou iDVD, qui gèrerait, en toute logique, les films comme iTunes les chansons.

Pour Apple, il s’agit (seulement, est-on tenté de dire) d’implémenter et interfacer dans QuickTime quelques mécanismes de classement déjà utilisés dans iPhoto ou iTunes [NDLR : [Annodex que nous avons déjà évoqué pourrait donner une idée de ce à quoi ce type de classement pourrait ressembler]].

Naturellement, en complément de la capacité de diffusion de vidéos, la possibilité d’acheter des films via internet, comme le iTunes Music Store pour la musique en serait une évolution naturelle. Apple n’aurait guère qu’à implémenter dans QuickTime Pro les mécanismes d’accès au Store utilisés dans iTunes, ce qui le relancerait sur la plateforme Windows, où il perd régulièrement du terrain face à WMP et Real Player, avant que MS et Real ne soient tout à fait prêts.

Compte tenu de l’enjeu pour Apple et du coup d’accélérateur récent (18 mois) que sa stratégie a vécu, on pourrait presque parier pour une présentation à San Francisco en janvier 2004… à moins qu’Apple-Expo ne nous réserve une surprise… en même temps que la version iTunes pour PC et le iTunes Music Store pour l’Europe ?

Au-delà du plaisir pour l’utilisateur ou de la nouvelle source de revenus pour Apple, un tel service représentera surtout un puissant modèle concurrent de la “vidéo on demand” promise par les cablo-opérateurs et opérateurs TV satellitaires. Pour une bande passante utilisée à peu près identique (répartie différemment), la valeur générée par un achat peut être supérieure à la location et bien plus attractive pour l’utilisateur. Apple concurrencerait-il alors les plus gros ? En tout cas, la confrontation avec les majors du cinéma et de la TV est inévitable maintenant que MS se lance dans la partie (déjà avec OD2 pour la musique). Il va falloir se bouger à Hollywood et Apple pourrait représenter un appui substanciel face aux tentacules de MS, maintenant que beaucoup d’opérateurs ont compris (à quel prix, Monsieur Messier !) que production et diffusion de contenus n’allaient pas forcément de pair.
Mais si les investissements matériels ne sont pas au niveau de la TV, ils ne sont pas négligeables tout de même. À cet égard, la réalisation récente des actifs d’Apple dans Arm et dans EarthLink n’est pas innocente, Apple ne conservant ses participations que dans Akamaï, seul partenaire utile en pareil moment… Il ne serait pas étonnant même qu’il les renforce pour assurer la diffusion de ces petits bouts “démo” de films dont le caractère indispensable est apparu pour les chansons dans l’iTunes Music Store.
MacOS X.3 sera bien le HubOS, pierre angulaire du micro du 21ème siècle et digne héritier de feu OpenDoc, décrit par comradE Ogilvy

III – Une fois l’indépendance conquise, la (re)conquête du mass-market bureautique

Il conviendrait de dire : après la conquête de l’indépendance, la conquête et la sécurisation des niches logicielles et matérielles à valeur ajoutée, vient le temps de la (re)conquête du mass-market bureautique professionnel. C’est là que l’on verra si Apple est définitivement guéri et si Steve Jobs a réussi l’impossible : faire suffisamment peur aux vedettes du développement d’Apple pour les remettre au travail en équipe dans l’intérêt de la compagnie, leur ego dans la poche.

Examinons d’abord les hypothèses de voir sortir une suite bureautique Apple ?

La rumeur nous parle d’un iWorks composé de modules communiquants entre eux, l’existence de Keynote appuie cette thèse et le nom d’iWorks évoque un homologue Workflow exact de ce qu’est iLife pour le Funflow : une suite d’applications indépendantes mais homogènes et communiquant entre elles. Or un tel iWorks, gratuit avec l’achat du système, ou à petit prix en achat séparé comme iLife, semble trop beau, trop gros – l’équivalent de la suite MS Office gratuitement ! Sauf à vouloir tuer la suite MS Office du premier coup, ce qui semble bien plus prétentieux qu’audacieux.

Non une iApp gratuite de bureautique ne saurait être que du niveau actuel d’AppleWorks. Ce dernier offre l’avantage de ne pas entrer en concurrence frontale avec la suite MS Office dont les responsables de grands compte (et bien d’autres) ne se sépareront pas facilement. Mais quel serait la valeur ajoutée d’un simple rebadgage d’Appleworks, quoique l’antique ClarisWorks y soit habitué ? Il y a quatre ans, sa réintégration au sein d’Apple avait pu marquer son importance stratégique mais il n’a pas progressé depuis la version 6 il y a 3 ans et sa déshérance semblait s’inscrire dans la continuité de l’incapacité qu’avait la filialeFileMakerdele faire évoluer.

Sans doute, comme pour FileMaker, cela peut-il aussi bien laisser penser au développement d’un produit entièrement nouveau, mais AppleWorks a le mérite d’exister, qui plus est sur les trois plateformes (MacOS X, 9 et Windows). Une fois débarassé de quelques bugs scandaleux car perdurant de version en version depuis plusieurs années (affichage du menu polices en polices réelles, stabilité des bases de données en mode Tableau, etc.) et avec une légère révision (préférence générale pour l’enregistrement automatique aux formats MS Office, ou mode bi-format automatique, l’un encapsulant l’autre, maintien de son traducteur intégré, MacLink, dans sa nouvelle version), AppleWorks peut être un bon candidat à une iApp : solution économique pour Apple, éprouvée, très complète,suffisantepourlaplupartdesbesoins,bi-plateformeet cependant sans danger immédiat pour MS.

À côté d’un Appleworks, qui pourrait être rebaptisé iWorks, s’il doit y avoir une suite de modules indépendants, de quelle provenance sera-t-elle ? Utilisation de logiciel OpenSource, développement maison, rachat d’une suite ou de logiciels concurrents ? Examinons les hypothèses :

OpenOffice & StarOffice, de Sun : depuis quelques années, Apple – et Jobs depuis Next – manifeste son attachement (qui n’est pas seulement désintéressé) pour le code libre ; or l’adoption de la suite OpenOffice, ou de sa mère StarOffice, de Sun, devrait devenir accessible à tous les utilisateurs, sans effort pour Apple, grâce à l’intégration de X11 (XWindows, le serveur de fenêtres d’Unix) dans MacOS X.3, puisque ce dernier nous servira des fenêtres via Quartz ni vu ni connu. La suite de Sun est bien compatible MS mais, elle apparaît insuffisamment finie pour servir de base à une application concurrente de MS Office badgée Apple.

• Arguments Pour : suite de fort bon niveau, complète (8 modules), intégration directe (avec l’option X11), très universelle (versions Wintel, différents parfums d’Unix et autres), compatible avec les formats de la suite MS Office

• Arguments Contre : pour lui donner le look and feel Apple, le travail serait beaucoup plus important que pour AppleWorks, applications de qualité inégales, présence d’un concurrent de FileMaker, plus dangereuse pour MS Office, ce qui ne semble pas en ligne avec la stratégie d’Apple qui, depuis quelques années, consiste à ne pas tirer les moustache du chat (pourtant JAG War ne signifie-t-il pas Jobs Against Gates War ?) :-).

Cette Suite peut donc constituer une hypothèse crédible pour une Suite professionnelle, éventuellement transitoire pour Apple, même si OpenOffice ne m’a, jusqu’ici, convaincu d’abandonner ni Word et Excel ni Appleworks, après Ragtime.

Mais les discussions seraient-elles si difficiles entre Apple et Sun que les dirigeants de ce dernier répètent à l’envi combien ils aimeraient travailler avec Apple ? Apple aurait-il essayé de racheter une forme d’exclusivité ou de droits complets sur la version actuelle de la Suite StarOffice de Sun… avant de la faire évoluer à sa guise ? Ou ne se contenterait-il pas tout simplement de faciliter l’accès à la version OpenOffice, gratuite, quand Sun aurait préfèré une vente de licence de masse ?

Le développement complet, “from scratch” à la Keynote, d’un traitement de texte et d’un tableur/grapheur à même de concurrencer Word et Excel, voire d’un équivalent d’Access. Mais l’opération n’est pas une mince affaire. Certes, il y a déjà Keynote, mais un logiciel de présentation n’est ni un tableur ni un traitement de texte ni un SGBD et je ne suis pas sûr qu’Apple ait pu, ces dernières années, mettre les ressources nécessaires pour développer de telles applications, même si les premiers démonstrateurs de Next montraient déjà avec quelle facilité on pouvait créer un (mini) traitement de texte en une vingtaine de minutes avec les outils de la plateforme.
Pas impossible, mais pas la voie la plus aisée et assurément la plus susceptible de “fâcher” MS, qui n’a déjà pas assuré la transition vers le G5 avec VirtualPC, non compatible pour “un certain temps”.

Le rachat de produits existants : Apple l’a déjà pratiqué dans le domaine de la musique et de la vidéo? Les candidats ne sont ni plus nombreux, ni plus gros :

• Un intégré, également multiplateforme, tel que RagTime ? Sa filiation avec le concept OpenDoc d’applications communiquantes, un temps promu, puis abandonné par Apple lui donne un avantage, de même que la sortie récente d’une version MacOS X. Mais son concept même d’intégré de PAO, malgré ses indéniables qualités, constitue-t-il un tel saut qualitatif et fonctionnel avec AppleWorks. Par ailleurs l’avantage qu’il offre de pouvoir attaquer à la fois la suite MS Office et les produits de PAO d’Adobe et Quark, pourrait se retourner trop vite contre Apple qui a encore besoin de ces deux-là tant que la base installée d’Apple ne les oblige pas, par les revenus générés à rester durablement sur la plateforme.

• Le mariage d’applications séparées telle que Quatro ou NisusWriter ? Pourquoi pas ? Il y a bien une nouvelle version light de ce dernier, ce qui suppose un future nouvelle version pro… Ou bien un remake du remarquable traitement de texte (était-ce Writer+, Write ou un autre nom ?) édité par Steve Jobs pour le Mac et pour Next à ses débuts ? Sa légèreté, son ergonomie, ses trouvailles et sa performance faisaient merveille. Joint au tableur en 3D qui avait suscité l’émoi la naissance de Next, à FileMaker Pro 7 et à Keynote, la Suite aurait belle allure.

À quel niveau se situera le successeur de FileMaker 6 ?

Cela dépendra largement des choix effectués pour la suite éventuelle d’Apple. Si AppleWorks devient iWorks, celui-ci dispose bien d’un module de gestion de fichiers suffisant pour une iApp, que des fonctions puisées dans FMP (Claris-AppleWorks et FileMaker ont des racines proches) pourrait éventuellement enrichir. Le successeur de FileMaker Pro 6 qui ne s’appellera pas FileMaker 7 tant est grand le saut qualitatif et fonctionnel (http://www.thinksecret.com/news/tsnotes4.html), tel qu’il a été décrit dans ThinkSecret, est lui aussi trop important pour être intégré dans une iSuite bureautique gratuite. Mais il serait le bienvenue dans la gamme professionnelle, voire dans une Suite professionnelle qui compterait déjà Keynote, comme Access dans MS Office. La description livrée par ThinkSecret est fort prometteuse, trop si on en juge par certains commentaires.

Apple est raisonnable depuis 5 ans, soyons patients à notre tour !

L’hypothèse de voir Apple attaquer MS de face avec une suite concurrente d’Office développée from scratch, est improbable dans un avenir proche, quelle qu’en soit l’envie. Commercialement la rentabilité ne serait pas garantie et ce serait tactiquement suicidaire, pour le moment, comme nous l’avons dit plus haut. Jobs n’est ni assez fou ni assez mégalo (et pourtant !) pour affronter MS de front ; il ne l’a pas fait jusqu’ici (Keynote et Powerpoint n’ont pas l’importance de Word ou Excel), pas plus que pour les produits de grande diffusion d’Adobe.

De plus je crois à une forme de loyauté et à la capacité de Steve de se souvenir que Word et Excel furent créés pour le Mac à sa demande, qu’ils contribuèrent largement à le rendre crédible et qu’ils existèrent de longues années sur Mac avant d’apparaître sur PC. Tout comme il n’a pas oublié sa rencontre avec son vieil ami (eh oui!) Bill Gates, pour obtenir publiquement le support nécessaire, sous forme d’une prise de participation – très courte – de MS dans Apple.

En fait, il semble impossible pour Apple de porter un tel coup à MS. Dans la mentalité des affaires US (dure mais beaucoup plus loyale qu’en Europe, quoiqu’on en dise), ceci semblerait par trop déloyal pour l’image d’Apple et pourrait être mortel pour la Mac Business Unit de MS (la plus grosse équipe de développeurs Mac hors Apple) de façon très prématurée, et, partant, trop périlleux pour Apple ; il eut fallu que les parts de marchés d’Apple soient bien plus élevées et qu’Apple se sente très fort sur le hard, l’OS et le soft, ce qui n’est encore le cas ni en hard (le G5 sort à peine et coûte à IBM, donc à Apple, beaucoup plus cher que prévu), ni en OS (MacOS X n’a pas encore fait décoller Apple), ni en soft (le messie tant attendu XPress pour X n’est pas encore installé dans le parc de renouvellement et une suite bureautique Apple aura tout à prouver pour faire trembler le trône du roi MS Office).

Mais MS aura senti le vent du boulet suffisamment proche pour prendre les devants et abaisser des tarifs beaucoup trop élévés sur Mac. Keynote n’aurait servi qu’à cela que ce ne serait déjà pas si mal.

L’hypothèse la plus probable est donc qu’Apple se contente, pour le moment, de nous proposer un iWorks/Claris-AppleWorks revisité (une v.6.5 ou 7 par exemple) en bundle avec les machines ou à petit prix en achat séparé à côté d’iLife, et, pour les besoins professionnels, Keynote et FileMaker Pro avec un accès facilité à OpenOffice ou StarOffice en guise de concurrent de MS Office – comme à toutes les applications XWindows/X11 d’ailleurs.

Apple maintiendrait ainsi tant le suspense que de distantes mais cordiales relations avec les uns et les autres, et cela pourrait bien justifier l’amertume des dirigeants de Sun qui auraient sans doute aimé vendre une licence de masse à Apple et/ou le voir assumer un portage complet de leur Suite.

Surtout, Apple poursuivrait sa stratégie bureautique qui, depuis FileMaker et Appleworks 5 (et le regretté HomePage dont le nom a été repris dans iTools), consiste à offrir des produits bureautiques tournant sous les deux environnements MacOS et Wintel.


Une stratégie complexe différenciée

Il est temps de faire le point de la stratégie d’Apple, hors Mac et OS. Apple mène ainsi un double jeu, une stratégie différente selon les marchés :

– Rappelons qu’une bonne stratégie ne se conçoit pas sans commencer par se renforcer chez soi.

Ainsi, dans le domaine professionnel des applications spécialisées (audio et vidéo ayant succédé à la PAO), qu’Apple considère comme sa chasse gardée stratégique, il n’hésite pas à réduire la base matérielle des applications qu’il rachète au seul parc Macintosh, en arrêtant le développement des versions Wintel, afin de tirer à lui l’achat de matériel par les créatifs dont la création de valeur dépend de leurs machines. Mais il ne le fait que sur des marchés sans risque réel, où il sait pouvoir convaincre les utilisateurs de switcher (switch de retour vers la plateforme Macintosh le plus souvent), et toujours avec des offres matériel/logiciel indolores (offres d’échange logiciel, bundles hard et soft, rabais sur l’achat de machines, etc.).

– Mais il faut aussi élargir la base installée et se préparer à toute éventualité.

Ainsi, dans le domaine Grand Public, personnel ou professionnel, Apple développe ses iApps, iLife, DotMac et iGadgets, ainsi que des applications professionnelles génériques, le plus souvent ouvertes vers les deux environnements… et l’Apple Store et ses magasins propriétaires pour leur donner une large visibilité que n’ont jamais assurée ni les chaînes ni les revendeurs indépendants. Car si l’on dit, en stratégie, qu’il faut être maître chez soi avant de s’éloigner de ses bases, les migrants savent bien qu’il faut aller chercher ailleurs ce que l’on ne trouve pas chez soi. Ainsi en est-il d’iPod (matériel), iTunes (logiciel) et bientôt iTMS pour PC (service), etc.

Discrétion avant tout

La stratégie d’Apple apparait ainsi remarquablement construite, orchestrée et conduite. Avec une régularité et une logique implacable, le concept du micro-ordinateur promu “hub digital” par Jobs il y a 18 mois, concept auquel beaucoup ne croyaient pas parce qu’ils ne le comprenaient pas, est en train de devenir une réalité, au service d’un utilisateur respecté et non au seul bénéfice d’un industriel exploiteur.

Steve Jobs a ainsi su renouveler son entreprise, ce que n’avait pas su faire son éxécuteur, John Sculley.

Et il l’a fait en douceur, sans alerter la concurrence et en ne brûlant ses vaisseaux qu’au dernier moment (MacOS 9 ne démarre plus les nouveaux modèles de Macintosh que depuis quelques semaines). Tout le dispositif s’est mis en place jusqu’à maintenant dans la discrétion et sans attaque frontale des éditeurs craints comme MS ou Adobe. Et cela devrait continuer : pas d’annonce avant que les produits n’approchent du stade final, pas de vaporware comme Apple (et d’autres) nous y avait habitués dans les années 90, et aucune attaque frontale des “gros” éditeurs partenaires. Cette culture du secret n’était-elle pas déjà celle de Jobs lorsque le Macintosh fut dévoilé en 1984, au plus fort du succès de l’Apple II ?

Steve Jobs a tiré les leçons du passé d’Apple, de la période qui ne fut pas la sienne, puisqu’il en avait été chassé par un marketeur sans vision. À eux deux, ils auraient pu faire “sauter la banque”. Espérons que Jobs sait à présent s’entourer de marketeurs talentueux et loyaux. En tout cas, tout est maintenant en place.

Dernières briques de la réussite

Replacer ses hommes sur l’échiquier

On comprend mieux que, une fois livrées les machines à base de G5, qui ramènent Apple à parité de performance avec Intel et AMD, une fois livrée la vraie version finale de MacOS X, que beaucoup voient en la version X.3 alias Panther, toutes les pistes logicielles évoquées plus haut justifient assez bien qu’Avie Tevanian, le patron du soft et VP d’Apple, ne se replie pas, comme certains croyaient pouvoir l’interprêter, dans une sorte de disgrâce inexplicable mais doive bel et bien se consacrer pleinement, “les mains dans le cambouis” selon l’expression employée par Steve Jobs lui-même, aux iApps et autres logiciels hors OS, qui deviennent absolument stratégiques pour Apple, des priorités absolues (la fameuse suite bureautique cette fois ?), tant pour la plateforme Mac que pour la croissance d’Apple sur la plateforme PC, une plateforme que le numéro 2 d’Apple connaît depuis bien avant Next…

Tendre sa toile et attendre plus loin, comme l’araignée

Pas question, le moins du monde, de scier la branche matérielle sur laquelle Apple est assis : développer les produits Apple (petits matériels et services) pour les utilisateurs de la plateforme PC, certes, mais pas de MacOS X pour Intel… en tout cas pas avant qu’un très grand nombre d’utilisateurs PC n’aient adopté quelque matériel ou service Apple, à côté de leur PC. En fait, pas question de leur proposer quoi que ce soit avant qu’ils en aient besoin au point de ne pouvoir s’en passer (iTunes, iPod, ITMS, et bientôt iSight et iChat ?) ou de switcher. Vous voyez bien que le Macintosh n’est jamais très loin.

Il y a longtemps que Steve Jobs a compris qu’Apple ne remonterait pas la pente du marché des OS en ligne droite (essayez donc de gravir ainsi une pente à 90%, comme se présente celle de Windows) mais en serpentant, c’est beaucoup moins fatiguant, bien plus réaliste et pas nécessairement plus long. Enfin, il n’est pas dit qu’au bout du compte, il soit nécessaire de la gravir tout à fait, si Apple développe des marchés de niches en quantité. Après tout, il y a longtemps que Sony vit de parts de marché plus ou moins petites dans de multiples niches. Notre vision est trop souvent influencée par la domination outrageuse de MS, mais la micro-informatique est en train de se décloisonner, c’est ce que font Apple et MS. Il ne sera bientôt plus d’usage de les comparer entre eux, même si nous arrivons au moment où Apple peut arrêter de faire profil bas et attaquer de nouveau le marché de l’entreprise (voir le doublement de ses forces de vente au Japon, leur refonte aux US), un marché déjà travaillé en profondeur par le côté obscur.

Stratégie, politique et tactique

Ainsi Steve Jobs serait bien le visionnaire que l’on dit. Ou plutôt Jobs et ses acolythes ont mené une vraie réflexion stratégique, tant technique qu’économique, et ils conduisent leur action d’une main sûre, dans le respect de quelques grands axes. Une stratégie en définit généralement 2 ou 3 pour 10 ou 12 ans, laissons-leur le temps.

Par rapport à Bill Gates et MS, il a manqué à Apple, jusqu’à présent, seulement le réseau d’influence adéquat, nul doute que l’arrivée d’Al Gore au Conseil d’Administration d’Apple contribuera à sortir Apple de son isolement politique, que l’image soixante-huitarde de Jobs et de Wozniack a tissé il y a bien longtemps. Avec cette arrivée, Jobs s’achète, en quelque sorte, un permis de gagner, ou plutôt de concourir. Tant mieux, même si l’on peut déplorer ce passage obligé.

Que Jobs ait choisi les Démocrates plutôt que les Républicains n’est guère étonnant, mais pas pour les seules raisons que l’on pourrait penser – les deux camps mènent à peu près la même politique, à l’intérieur comme à l’extérieur, il n’y a guère qu’une presse française aveugle ou inculte pour essayer de nous faire croire le contraire. Non, ce n’est pas tant pour son penchant politique que Jobs a choisi Al Gore que parce que celui-ci fut l’architecte du développement politique des autoroutes de l’information aux USA, qui a tant servi MS ; sa principale occupation comme Vice-président fut de promouvoir ce vecteur majeur de l’hégémonie américaine. En “enlevant” Al Gore, Jobs désolidarise MS d’une de ses bases, au moment même où MS se trouve largement “accompagné” par le camp Républicain, qui l’aide à “traverser les obstacles rencontrés en chemin”…

Jobs a-t-il fait le bon choix ? Sur un plan tactique, oui, car il a occupé le peu d’espace laissé vacant. Mais il a surtout fait un choix dicté tant par la raison que par le cœur. Est-ce un choix qui portera des fruits rapidement ? À court terme, ce n’est pas sûr, car Al Gore a annoncé qu’il ne serait plus candidat, et il est probable, au moment où la reprise économique est au rendez-vous aux USA, que Bush Junior, qui n’a commis aucune des erreurs de communication intérieure de son père, sera ré-élu. Dommage pour certains, et tant pis pour Apple, car la majorité absolue des votes dans 45 états appartient aux Républicains (si vous y voyez une corrélation avec le choix d’équipement des écoles, c’est que vous avez mauvais esprit) ; cela prendra donc plus longtemps pour Apple, mais une stratégie se conduit sur la durée, comme se bâtit une honorabilité, politique ou autre.

Finalement, peut-être est-ce tant mieux pour nous, Européens, car n’oublions pas qu’Al Gore fut aussi l’adversaire le plus farouche (et hyperactif) de la construction européenne et que nous lui devons en grande partie, pour cette raison, la guerre dans les Balkans et la construction des plus importantes bases militaires américaines hors des Ètats-Unis, à 2000 km de Paris, mais aussi l’installation d’états ethniquement purs et le désespoir persistant d’un million et demi de réfugiés (certains depuis 10 ans) dont un million (parmi lesquels 70.000 musulmans) ont trouvé abri dans la “terrible” Serbie, seul état de la région à être finalement demeuré pluri-ethnique. À cet égard, la politique des Bush et de ses “faucons” n’est guère différente de ce que fut celle du trio Clinton / Gore / Albright, qui n’avaient même pas l’excuse du 11 septembre.

Pourquoi cette incise géo-politique ? Simplement parce qu’il est utile de garder présent à l’esprit que, si la réflexion stratégique sert l’économie des entreprises, elle sert aussi l’art de la guerre, et que celui-ci est le plus souvent au service de la géo-économie. Rappelons-nous donc que les bons stratèges aujourd’hui ne travaillent pas que pour Apple et qu’une hégémonie peut en cacher une autre ; lisez MacPlus, vous dis-je !