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Prospective

SongSmith, la casserole de Redmond

Le lancement de la bêta de SongSmith ce week-end par Microsoft a fait rire à gorge déployée un peu partout sur le web. La tentative, très sérieuse, en dit pourtant long sur le désarroi qui prévaut actuellement à Redmond.

Boro

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Il est certaines bonnes résolutions qui passent rarement la première semaine de janvier, comme par exemple… oui, voilà : le Microsoft bashing… Nous avions décidé de depuis quelques mois de “lever le pied” sur ce sujet délicat et tout allait bien : au mois de septembre dernier, nous avions même résisté – difficilement, est vrai – à dire deux mots de la campagne “I’m a PC”. Il est vrai que celle-ci se suffisait malheureusement à elle-même, et que durant l’année 2007 nous n’avions pas été très tendres vis-à-vis de l’Ogre de Redmond et de la pratique de son management (voir notamment l’édito du 23 mars 2007), au risque d’être taxés de parti pris. Et voilà que, bêtement, c’est la rechute :langue…

Plus sérieusement, la coïncidence de la nouvelle campagne de communication de Microsoft, orchestrée autour du lancement de la bêta – payante – de SongSmith le 8 janvier et la sortie attendue d’iLife`09 avec Garageband, le 6 pourrait être qualifiée de tout sauf fortuite et appelle au minimum quelques commentaires, au moment où le géant du logiciel se bat pour essayer de faire renaître sinon le désir, du moins un semblant d’intérêt autour de Windows 7. Non sans succès semble-t-il, puisque les serveurs de Redmond qui proposaient la version bêta de l’OS au téléchargement ont du être redimentionnés ce week-end, face à l’affluence. Du moins selon le discours officiel.

“De la musique après toute chose”…

Qu’à Redmond on ait eu ou non vent de la mise-à-jour majeure du logiciel musical proposé par Apple depuis 2004, il serait vain de comparer SongSmith à Garageband : le premier se veut au mieux une sorte de calepin musical qui enrobe d’un accompagnement synthétique, même pas de niveau d’un orgue Botempi des années 80, la mélodie fredonnée par l’utilisateur ; l’autre est pensé comme un outil d’initiation et d’accompagnement dans la progression de la pratique musicale, grâce à des boucles instrumentales numérisées à partir de véritables instruments et joués par de véritables musiciens. A charge pour l’utilisateur de s’investir un peu : Garageband procède de la démocratisation d’eMagic, dont Apple a fait l’acquisition en 2002 et dont elle continue à faire évoluer les produits Logic et eLogic, destinés aux professionnels et à la formation. Microsoft s’est pourtant appuyé sur Garritan, Plogue ou PG Music, qui maîtrisent parfaitement les technologies de Musique Assistée par Ordinateur et qui proposent par ailleurs des produits aux professionnels.

Or que SongSmith comme Garageband acceptent les entrées d’instruments Midi ne change rien : Garageband permet de construire un véritable projet musical – morceaux, bande-son ou même podcast, phénomène au travers duquel Microsoft est totalement passé – tandis que SongSmith se contente d’habiller en différé les tentatives mélodiques de l’utilisateur avec des algorithmes du type de ceux utilisés par le Genius d’iTunes pour arranger de nouvelles listes de lectures…

Il ne s’agit d’ailleurs pas de persuader les utilisateurs lambda de Microsoft qu’il font de la musique de la sorte : l’interface, comme le spot digne de celui d’une poupée Ma(r)ttel au moment de Noël, sont – volontairement – ringards à souhait, tout comme la référence à peine voilée à Apple, à travers le MacBook Pro “flower power” mal camouflé est intentionnelle : dans ce type de spot tout est soigneusement pesé. Il s’agit tout simplement d’un nouvel avatar de la fameuse campagne de reconquête de Microsoft, dont le premier volet avec Jerry Seinfeld, qui cherchait à attirer l’attention, avait fait long feu. Le deuxième volet, développé sur le thème “I’m a PC” et qui avait été pertinemment analysé par les américains comme une tentative d’équivalent au “Say it Loud, I’m Black and I’m Proud” de la fin des années 60 n’avait guère eu plus de succès : censé dénoncer les stéréotypes dans lesquels les utilisateurs de PC étaient enfermés par les pubs d’Apple, celui-ci était lui-même émaillé d’une collection de stéréotype… et s’adressait d’ailleurs à un public lui-même davantage enclin à se conformer aux stéréotypes que la clientèle-type d’Apple… D’où son échec : si les gens switchent, c’est pour des raisons objectives – les scories charriées par Windows – mais également parce qu’ils ont envie de changer, c’est-à-dire soit ne plus se conformer au stéréotype (l’informatique c’est Windows), soit changer de stéréotype et adhérer au nouveau qui veut que le Mac soit hype, comme on voudra.—–

C’est cette dernière lecture que l’État-Major de Microsoft a faite, et qu’il tente de contrecarrer avec cette troisième contre-attaque. Le message martelé est clair, et repose sur le syllogisme suivant, dont la double proposition est avancée, de façon latente, dans la proposition du scénario : “la musique sur l’ordinateur, c’est vraiment un jeu d’enfant”, à la portée de “Mr Smith” ; puis manifeste et explicite, par le musicien dans la cafétéria : “Microsoft, hein? Donc c’est super-facile à utiliser…

Microsoft tente ainsi de répondre à une problématique complexe : Windows a en effet assis sa domination en s’imposant d’abord comme système dominant au sein des entreprises, puis dans le monde de l’éducation et chez les particuliers grâce à la banalisation de Mac OS par Windows 95, alors que la plate-forme d’Apple avait pratiquement arrêté d’évoluer. Or c’est auprès du grand-public qu’Apple réalise depuis quelques mois, après avoir retrouvé son leadership sur le marché de l’éducation aux Etats-Unis aussi, ses meilleures performances ; l’éditeur sait qu’il se bat à présent pour empêcher Apple de prendre pied significativement sur le marché de l’entreprise.

Un air de renouveau sur le marché IT ?

L’iPod a en effet littéralement éjecté Microsoft du marché de la musique, donnant à une part de plus en plus importante de la population le goût de la simplicité d’utilisation des solutions Apple, en même temps que l’intérêt pour l’ensemble de sa plate-forme. On s’en doute, l’iPhone a contribué à agrandir la brèche, tout comme la “stratégie Safari” qui commence également à porter ses fruits (voir la chronique du 16 juin 2007) ; ce ne sont plus quelques originaux qui insistent auprès des DSI pour conserver leur MacBook ou leur MacBook Pro au milieu de flotte entières d’Inspirons [[On sait d’ailleurs d’où en vient l’inspiration]], mais des institutions entières qui commencent à oser faire le choix d’Apple (voir la dépêche) à l’instar de ce que l’on a pu connaître dans le secteur de l’éducation, et plus récemment avec l’iPhone.

De référence incontournable, Microsoft se trouve réduit à la marge et contraint de “multiplier les coups” avec des versions bêtas (Surface, Windows 7, SongSmith) pour exister, en même temps que dans une position défensive. Ce fut le cas vis-à-vis de Linux, dans le secteur des serveurs, c’est désormais le tour du Mac depuis septembre dernier, sous l’égide de Crispin Porter + Bogusky, l’agence des cas désespérés. Le lent travail de sape entrepris par Apple depuis 2006 avec sa propre campagne ‘Get a Mac’, relayé par le patient quadrillage du territoire US par les Apple Stores où les Macs sont en libre accès, commence à produire clairement ses fruits ; le lancement raté de Vista qui s’éternise a fini de déciller la plupart de ses utilisateurs : le roi est nu.

Ce troisième volet, concomitant à une dernière tentative d’accréditer l’idée d’une “taxe Apple” acquittée par les clients du californien pour accéder à ses solutions, tente de renverser la tendance en tâchant de “ringardiser le ringardiseur”, avec un spot digne d’une pub lessivière des années 80, si ce n’est d’un film de Jacques Demy dans les années 60… :langue Or à Redmond, on avait visiblement pas anticipé qu’Apple monterait à ce point le niveau de Garageband : il n’est pas difficile de deviner qui, de Garageband ou de Songsmith, va susciter les préférences des kids qui sont toujours prescripteurs en matière de nouvelles technologies, alors qu’Apple frise désormais les 10% de parts de marché.

Il y a tout lieu de croire que c’est un vent de panique qui est en train de balayer les hautes sphères de Redmond… et que c’est une analyse similaire qui a été faite à Cupertino. Si la rumeur qui veut qu’Apple soit présente l’an prochain au Consumer Electronic Show de Las Vegas est avérée, cela signifierait que La Pomme se sentirait assez forte pour venir narguer Microsoft dans son pré carré du Nevada, en dehors de toute nouveauté-produit… à part peut-être la véritable Apple TV ? Trois ans après, La Pomme achèverait ainsi sa métamorphose en une société d’électronique grand-public, entamée à la MacWorld 2007 (voir l’édito du 11 janvier 2007) ; l’accord conclu avec LG pour 5 ans pourrait ainsi servir à faire disparaître l’ordinateur non plus derrière l’écran comme avec l’iMac G5, mais bel et bien derrière le téléviseur ! Autant dire que le géant du logiciel serait prêt à s’effondrer sur lui-même…

La contre-attaque de Redmond sur le front de la musique, qui se voulait sans doute la réponse du berger à la bergère – malgré les imperfections de Numbers, iWork qui monte petit à petit en puissance semble bien parti pour pour manger la la laine sur le dos d’Office, utilisé par les 3/4 des Macusers aux Etats-Unis – pourrait bien voir en définitive Microsoft déchanter. Et-ce pour autant son chant du cygne? ce serait sans doute aller plus vite que la mesure, du moins avant la sortie de Windows 7…

Songsmith sur le site Microsoft Labs

Garageband sur le site d’Apple

La campagne Gates et Seinfeld chez Microsoft

La campagne ‘I’m a PC’ chez Microsoft

La campagne ‘Get a Mac’ sur le site Apple