Suivez-nous

Prospective

Hadopi : la Commission tient bon

Non, c’est non : José Manuel Barroso a refusé de désavouer sa commissaire ; ce faisant, il a confirmé la volonté de Bruxelles de s’attaquer aux nouvelles rentes de situation du numérique

Boro

Publié le

 

Par

On ne plaisante pas avec les droits fondamentaux et les libertés publiques”. C’est en substance la teneur de la fin de non-recevoir opposé par le Président de la Commission européenne au président français. Comme nous l’annoncions tout-à-l’heure en avant-première (voir la dépêche), José Manuel Barroso n’a ainsi pas tardé à répondre à la lettre envoyée vendredi par le locataire de l’Elysée, qui lui demandait de s’engager personnellement – ainsi que Viviane Reding, la commissaire en charge du dossier – vis à vis du rejet par la Commission de l’amendement 138 du paquet Télécom. Assimilant l’accès à internet dans la société de l’information à un droit fondamental du citoyen, celui-ci rendait en effet caduc par avance toute velléité de recours à des mesures de type “riposte graduée”.

Or en faisant mine d’ignorer que Mme Reding avait accepté l’amendement présenté oralement, ce dont nous avions également rendu compté en exclusivité (voir la dépêche du 29 septembre), le Président français demandait de facto à son homologue de la Commission de forcer la commissaire compétente à manger son chapeau… ce que M. Barroso s’est bien entendu gardé de faire, soulignant tout au contraire son souci de respecter la volonté démocratique du Parlement européen, lequel avait voté l’amendement à une écrasante majorité, et revoyant la France à la pratique institutionnelle ordinaire en pareil cas, qui veut qu’un amendement présenté oralement doive faire l’objet d’un compromis entre le Parlement et le Conseil des ministres des pays membres avant de pouvoir s’imposer aux états membres. Dans les institutions européennes organisées sur le modèle classique du bi-camérisme, le Parlement de Strasbourg tient en effet le rôle de la chambre basse et le Conseil des ministres celui de la chambre haute, tandis que la Commission de Bruxelles tient les rênes de l’exécutif.

C’est donc comme on l’a dit et répété un peu partout un véritable camouflet pour “l’approche française de lutte contre le piratage”… en même temps que pour les méthodes de la présidence française qui se voit administrer une leçon sur les institutions européennes et la pratique normale d’institutions démocratiques, d’autant que José Manuel Barroso en profite pour proposer obligeamment son aide dans les négociations délicates qui s’annoncent avec le Conseil des ministres. Car si le concept de riposte graduée a été porté à bout de bras par la France (Universal), et si la Grande-Bretagne (EMI) a fait mine de s’y intéresser, les 25 autres pays n’ont pas les mêmes raisons de céder aux caprices des industriels du disque : l’allemand Berstelsmann s’est désengagé du secteur en revendant ses 50% de Sony-BMG au japonais, et un certain nombre de pays de l’Union ont d’ores et déjà marqué leur opposition au concept ; le Président de la Commission ne s’est d’ailleurs pas fait faute de souligner combien le sujet était brûlant sur la scène politique hexagonale.

Le chemin de l’adoption du projet “Hadopi” passera-t-il par Canossa ? C’est le plus probable, à moins que – divine surprise – le Conseil des ministres européens n’enterre définitivement celui-ci, l’envoyant rejoindre la riposte graduée version DADVSI dans les limbes… Le dossier semble en tous les cas maudit, et pourrait bien coûter son poste à la ministre de la culture, après avoir un celui de son prédécesseur : Christine Albanel se trouve plus que jamais sur un siège éjectable, après que l’Elysée ait repris le dossier vendredi. Même si Mme Albanel avait entrepris de déminer le terrain en rebaptisant “tribunal” la Haute Autorité Hadopi – celle-ci devait de toutes manières être composée de magistrats (voir l’interview du 29 septembre) – la ministre risque fort de payer les dégâts de cette véritable déroute en termes d’image, à l’échelon de l’Europe toute entière ; les fuites qui se sont multipliées dans cette affaire en disent d’ailleurs long sur l’agacement qui prévaut à Bruxelles vis-à-vis des manières de l’exécutif français et qui augure mal de la deuxième moitié de la présidence française de l’Union.

Mais une chose est sûre : les différentes instances européennes semblent bien décidées à s’attaquer aux différentes rentes de situation de l’économie du numérique, qu’il s’agît de télécommunications ou de contenus numériques. Les Majors du disque qui ont en main les droits de distribution de l’immense majorité des catalogues se sont ainsi vues dans l’obligation de reculer dans l’affaire du différentiel de prix pratiqué par les iTunes Store britannique et continentaux. Le tour de table sur le commerce électronique initié par Neelie Kroes pourrat-il déboucher sur la fin de la limitation artificielle des catalogues et l’abandon des DRM ?